C’est lors de l’E3 2019 qu’a été dévoilé Cris Tale. Annoncé comme « un hommage aux JRPG classiques comme Final Fantasy, Chrono Trigger, Persona, entre autres franchises », le jeu développe un concept intéressant : l’écran est divisé en trois parties, chacune représentant une temporalité différente. Mais est-ce que son originalité suffit à en faire un RPG réussi ?
Cris Tale raconte l’histoire de Crisbell – comme quoi le jeu porte bien son nom –, une orpheline qui se découvre des pouvoirs temporels très puissants. Elle obtient, après une course poursuite avec une grenouille dotée de parole, la capacité à modifier le passé pour changer le présent, en plus de voir les événements du futur. Suite à l’obtention de ses pouvoirs et au départ forcé de son village natal, elle va chercher à les améliorer afin de défaire l’impératrice du temps, une grande méchante pas gentille au plan machiavélique. Elle se fera de nombreux amis sur la route et essayera de découvrir la vérité concernant ses origines.
Derrière ce résumé quelque peu sarcastique se cachent à la fois une part de vérité, notamment dans le fait que le postulat de base est très cliché et déjà vu mille fois, et une part de mauvaise foi. Parce que le synopsis de Cris Tale évolue rapidement pour devenir bien plus intéressant qu’il n’y paraît, et surtout, intégrer des thématiques fortes et inattendues. Si celle de la causalité s’avère sous-exploitée, le titre aborde des sujets comme les inégalités sociales ou le deuil. D’autant plus que le jeu peut même se targuer de développer en profondeur ses personnages, rendant leur moralité ambivalente. Les alliés prennent parfois de mauvaises décisions malgré leur bon fond et les méchants se voient dotés de justifications compréhensibles, les rendant attachants. Ainsi plane une nuance de gris sur le combat du bien contre le mal.
Globalement, le scénario se laisse suivre agréablement malgré des dialogues plats. Ils sont le plus souvent descriptifs et peu naturels, mais profitent d’un doublage intégral de bonne qualité. J’aurais apprécié toutefois que les conversations servent à explorer un peu plus l’univers, qui n’est que peu ou prou détaillé. Les informations indispensables sont bien présentes, mais quid de tout le reste ? Cris Tale reste très obscur sur de nombreux points. Prenons par exemple la technologie : on croise quelques fois des voitures, alors que le jeu semble se dérouler dans un univers médiéval. Comment se fait-ce ? Comment se mélangent magie et technologie dans ce monde, et pourquoi n’y a-t-il pas d’armes à feu si des voitures existent ? Jamais le jeu ne l’expliquera. Et il en va de même pour de multiples autres aspects, comme la religion ou la magie. Et que penser de Matias, la grenouille qui parle ? Au vu de la réaction de Crisbell, cela semble anormal, alors que la grande majorité des personnages ne s’en étonnera jamais.
Ce scénario, avec ses qualités et ses défauts, sert surtout à mettre en avant la principale caractéristique du jeu : la possibilité de voir différentes temporalités, et interagir avec celles-ci. Dans Cris Tale, l’écran se scindera très rapidement en trois, avec à gauche le passé, au milieu le présent, et à droite le futur. Il devient donc possible de voir la ville où l’on se trouve dans le temps d’autrefois, et dans le temps à venir. Si cela offre des visuels somptueux à contempler, les possibilités s’avèrent quant à elles limitées. En effet, on ne peut qu’envoyer Matias écouter les discussions d’un personnage plus jeune, trouver un objet disparu, ou encore ouvrir un coffre présent seulement dans une temporalité. Le concept, très intéressant sur le papier, reste la plupart du temps inexploité, bien qu’il pousse le joueur à regarder chaque détail à l’écran.
Et pourtant, on sent la volonté des développeurs d’intégrer la notion du temps à chaque instant de la boucle de gameplay. Les quêtes secondaires, par exemple, représentent parfaitement le problème que me pose ce potentiel inexploité. Bien qu’assez simples et rébarbatives (aller chercher tel objet à tel endroit), elles restent intéressantes grâce à leurs enjeux. Aider quelqu’un peut modifier son futur, car les actions du présent ont des conséquences sur le futur. Face à ce constat, j’étais curieux de voir ce qu’il allait advenir des ces PNJ dont l’avenir obscur s’éclaircit grâce à nos bonnes actions, et il faut bien avouer que là fut ma déception. En effet, les aider changera bien leur futur, mais dans les faits, il ne s’agit que de changer la présentation du personnage à droite de l’écran. Pas de conséquences outre mesure, excepté la certitude d’avoir aidé quelqu’un dans le besoin. C’est bien et ça marche, mais c’est encore une fois loin de révolutionner le genre et d’exploiter complètement l’idée initiale.
Ceci dit, le temps est bien mieux utilisé dans les combats. Reprenant la formule des grands classiques du JRPG, Cris Tale se pare de combats en tour par tour. Dans ces derniers, l’emplacement des ennemis est primordial stratégiquement : à gauche se trouvent les ennemis que Crisbell pourra envoyer dans le passé, et à droite ceux qu’elle pourra envoyer dans le futur. Cela permet de créer de bonnes synergies, en créant par exemple un combo avec un personnage capable d’empoisonner un ennemi. Crisbell envoie les ennemis dans le passé (qui tapent moins fort puisqu’ils sont plus faibles), un mage les empoisonne, et Crisbell les renvoie dans le présent, infligeant instantanément les dégâts de poisons prévus initialement sur plusieurs tours. Ajoutons à cela le fait que chaque personnage utilise des sorts et des capacités spécifiques, et on se retrouve face à un excellent système de combat, stratégique et exigeant. D’autant plus que l’interface est remarquable, avec un style proche de Persona 5, en plus d’être très lisible.
Si le studio colombien Dreams Uncorporated tente d’innover sur de nombreux points, la colonne vertébrale du jeu reste quant à elle très classique. Au-delà de sa base scénaristique commune à la grande majorité des JRPG, Cris Tale reprend tous les poncifs du genre. Que ce soit l’interface et ses composants, la carte du monde qui permet d’aller de ville en ville, les combats, la structure narrative, ou encore les compétences, le titre est une véritable lettre d’amour aux RPG japonais des années 90, notamment Chrono Trigger et Final Fantasy VI. Tout y est, et vous rappellera les nombreuses heures passées à parcourir des terres pixelisées. Malheureusement, le studio a aussi embarqué les points négatifs de ces chefs-d’œuvre : les temps de chargement sont par exemple très nombreux et brisent le rythme de l’aventure. À chaque changement de zone s’opère un chargement, autrement dit très régulièrement. Les combats, aussi intéressants qu’ils soient, demeurent aléatoires et ne peuvent pas être évités. Les monstres qui vous attaquent ne sont pas visibles et ne peuvent donc pas être esquivés. Un farm dont on ne peut s’abstenir, ce qui pourra en agacer certains.
Malgré son classicisme, Cris Tale innove par l’intégration du temps dans son gameplay, mais aussi par sa direction artistique. Chatoyante, cette dernière s’inspire de nombreux titre comme Persona ou Paper Mario, tout en parvenant à se créer une identité propre. Les formes géométriques du chara-design, les détails dans les décors et l’aspect cartoon donnent une vraie patte au jeu, qui se révèle agréable à découvrir. La mise en scène lors des cinématiques est certes pauvre, mais elle n’empêche aucunement de s’en mettre plein les yeux et de profiter du charme des visuels. Techniquement, le jeu est propre comme un sou neuf, et je n’ai relevé aucun clipping ni aucun aliasing.
Les musiques sont du même acabit. Composées par Norihiko Hibino (Metal Gear Solid, Bayonetta, Yakuza 2) et Tyson Wernli (un peu moins connu que son acolyte), elles offrent un mélange hétéroclite de musiques rock, lyriques et symphoniques. Les mélodies sont entêtantes, et donnent un charme identique à celui de JRPG plus traditionnels. Parfois répétitives – notamment celle des combats –, elles enrichissent l’expérience en accompagnant parfaitement ce qui se déroule à l’écran et emplissent le joueur de ce sentiment d’aventure spécifique aux RPG japonais.
Concernant la version PC – version sur laquelle j’ai testé le jeu –, le jeu tourne sans aucun souci. Les chargements, bien que nombreux sont rapides. Le jeu tourne comme une fleur. Le seul bémol concerne l’accessibilité : peu d’options graphiques sont présentes, et surtout aucune option d’accessibilité.