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  • Le développement chaotique de Final Fantasy XV

    Par DonBear
    Publié dans Coulisses
    2 sept. 2023
    44 min de lecture

    Quand Final Fantasy XII sort en 2006, c’est un véritable événement. Elle paraît bien loin l’époque où Sakaguchi nomme son jeu la dernière fantaisie en référence à la potentielle fermeture de Square à cause d’un loyer trop élevé. Sauf que ce 12ème Final Fantasy, c’est l’aboutissement d’un développement chaotique. Chez Square Enix en interne, c’est loin d’être la panacée, et la suite inquiète encore plus. Parce que chaque Final Fantasy qui sort doit être une vitrine technologique, et que l’arrivée de la nouvelle génération de console n’augure rien de bon.

    Lorsque sortent la Xbox 360 et la PS3, respectivement en 2005 et 2006, les développeurs japonais ont du mal à suivre la cadence technologique, tandis qu’à côté les développeurs occidentaux s’améliorent sans cesse. Alors continuer à faire de Final Fantasy une vitrine technologique, ça paraît compliqué. Surtout que la structure de Square Enix pose elle aussi un gros problème. Pour simplifier et en se limitant uniquement à la production vidéoludique, les équipes sont réparties dans des départements de production qui sont chacun dans des bureaux différents, situés eux-mêmes dans des villes différentes. Donc par exemple, l’équipe qui a développé Final Fantasy XII n’est pas la même que celle qui développe Final Fantasy XIII. Et à chaque nouvelle production, tout est recommencé de zéro, incluant aussi le moteur physique, tout en devant conserver un perfectionnisme presque maladif. En gros, les équipes perdent un temps fou car les informations ne circulent pas entre les différents départements. C’est justement ce que se dit Taku Murata, le directeur technique de la boite. Lui, il veut créer un département dédié à la centralisation des outils pour fluidifier un peu le travail des équipes. Et s’il se dit ça, c’est parce que le prochain FF, le treizième donc, est vraiment mal barré.

    Juste après la sortie de Final Fantasy X-2 en 2003, les premières idées pour FFXIII fleurissent déjà. Et je pense que vous l’aurez remarqué, mais Square Enix a décidé depuis FFVII de tirer le maximum de bénéfice avec des suites et des créations cross medias. Alors on se retrouve avec des films, des spin off, des jeux mobiles, des OAV, des remakes… En gros, tout ce qui peut marcher. Là-dessus, Yoichi Wada, le PDG de Square Enix de l’époque, il y va pas par quatre chemins : la stratégie polymorphique sert à « vendre plusieurs fois [aux consommateurs] quelque chose qui leur plait. » Et ce treizième épisode, avant même d’entrer en préproduction, on sait déjà qu’il va tourner autour de plusieurs jeux. Trois pour être exact : Final Fantasy XIII en toute logique, Final Fantasy Versus XIII qui deviendra finalement FF XV et Final Fantasy Agito, un jeu mobile qui deviendra finalement Type-0. Le projet Fabula Nova Crystallis est lancé.

    Versus XIII

    Sur le papier, le concept est prometteur. Plutôt que de faire de simples suites comme FFX et X-II, l’idée est de créer des jeux liés par une mythologie commune. Chaque équipe est totalement indépendante sur l’aspect créatif : elles peuvent faire les scénarios, les personnages, et les mondes qu’elles veulent, tant qu’elles respectent cette mythologie centrée autour des querelles d’entités divines, partagées entre un monde visible et l’autre invisible dont l’équilibre est mis à mal par une force nommée le chaos. Concept qui donnera d’ailleurs fal’Cie et l’Cie dans FFXIII.

    Mais à ce moment-là, Versus XIII est encore très abstrait. Et pour cause, l’équipe en charge du jeu dirigée par Tetsuya Nomura est occupée par Kingdom Hearts 2, qui met du temps à être développé. En plus de ça, une démo technique réalisée sur PS3 reprenant l’univers de FFVII crée un énorme engouement et motive les équipes de Square Enix à passer FFXIII et Versus XIII sur la nouvelle console de Sony, la PS3. Sauf que, comme je l’ai dit, le passage de flambeau entre les deux génération de console se fait dans la douleur. Pour réussir à proposer un jeu à la hauteur des attentes, un nouveau moteur est spécifiquement créé pour FFXIII, le White Engine. Et c’est là que Square Enix va faire sa première grosse erreur.

    En juin 2006, la grand messe du jeu vidéo commence. L’E3 de cette année est particulièrement attendu avec l’annonce probable de la PS3, qui va en décevoir d’ailleurs beaucoup avec l’une des pires conférences dans l’histoire du constructeur. Mais y avait quand même du bon avec Mass Effect, Bioshock, Twilight Princess, et d’autres encore.

    Square Enix dévoile durant sa conférence le projet Fabula Nova Crystallis. Avec une confiance proche de l’arrogance, le PDG de l’entreprise Yoïchi Wada annonce sans trembler des genoux que seul Square Enix peut proposer les expériences les plus abouties, qui combleront sans aucun doute les attentes de tout le monde. Trois bandes annonces sont montrées, dont celle de Versus XIII. Evidemment, devant une telle qualité visuelle, tout le monde est plus qu’emballé. Le directeur du jeu Tetsuya Nomura déclare être désolé de ne pas avoir de gameplay à montrer, mais assure sans sourciller que la qualité sera forcément au rendez-vous puisque le jeu est développé conjointement par les équipes de Kingdom Hearts et d’Advent Children. Selon lui, il aura des séquences d’action comme on en a jamais vu et un environnement moderne. La hype atteint de tels sommets qu’elle éclipse presque Final Fantasy XIII. Sauf que…

    Sauf qu’en réalité, le développement d’aucun des trois jeux présenté n’a vraiment commencé. Ces trailers ne sont que des target render, c’est-à-dire des extraits précalculées qui montrent seulement l’objectif que les équipes espèrent atteindre. Ce n’est pas le jeu tel qu’il est en l’état qui est montré, mais ce qu’il devrait normalement être à la fin du développement. Final Fantasy XIII n’a encore aucun élément jouable et Final Fantasy Agito est développé à l’aveugle, car les développeurs n’ont aucune idée de la puissance des smartphones à venir. Quant à Versus XIII, c’est le moins avancé des trois : l’équipe en est encore à créer des concepts art. Le scénario n’est pas écrit, le design du personnage principal est encore sujet à discussion, et il n’a d’ailleurs même pas de nom. Les développeurs vont même jusqu’à dire que si FFXIII est développé à 13%, Versus XIII n’en est qu’à 1,3%.

    Parce que dans les coulisses, le moteur de jeu White Engine, devenu entre temps le Crystal Tools, pose quelques problèmes. Il se base sur l’Unreal Engine 3, faute de moteur propriétaire adéquat pour la PS3 chez Square Enix. Les développeurs sont perdus face à des outils qu’ils n’ont jamais vu et totalement différents de ceux qu’ils utilisent, entièrement en anglais qui plus est. Le temps qu’ils se forment, le reste de l’équipe est paralysée et se retrouve mutée sur d’autres projets. Ca va durer plus d’un an comme ça, même si à côté des trailers dévoilent de nouveaux personnages et de nouveaux lieux. Et si ça ne suffisait pas, un autre problème va venir ralentir le développement : même lorsque le Crystal Tools finit par être disponible en version 1.0 en septembre 2007, il est décidé qu’il ne sera plus uniquement dédié à Final Fantasy XIII mais à tous les jeux Final Fantasy sur PS3, comprenant donc Versus XIII et le prochain épisode numéroté, le XIV. Une décision délirante, tant les trois projets sont à différents extrêmes : le premier est un RPG classique, le deuxième un jeu d’action et le troisième un MMORPG. Les besoins pour chaque projet sont sensiblement différents et ça va largement impacter le développement des trois jeux :

    « Nous avons fait l’erreur d’essayer [que le moteur] convienne à tous les projets en cours à cette période là. Cela a paralysé à la fois le développement du moteur et celui de FFXIII. Comme les caractéristiques du moteur ne pouvaient pas être fixées, celles du jeu ne l’étaient pas non plus. Les discussions se poursuivaient sans fin et les délais étaient sans cesse repoussés. » Motomu Toriyama (directeur FFXIII)

    Surtout que les ambitions de Nomura pour Versus XIII sont grandes. Il ne veut pas faire les choses à moitié pour ce projet qui lui tient à cœur : il veut supprimer les temps de chargement superflu et créer un environnement sans limite (interview). Mais dans les faits, le développement est toujours au point mort, parce que l’équipe de Versus XIII est appelée en renfort sur FFXIII. Lorsque Nomura explique que Versus XIII attend FFXIII dans une interview, on est en 2008. Deux ans ont passés, et le développement du jeu n’a toujours pas commencé.

    Quand Final Fantasy XIII sort en 2009, Versus XIII récupère de la main d’œuvre et le projet peut désormais avancer. Grâce à l’expérience acquise lors du développement de FFXIII, tout le monde espère que Versus XIII va enfin sortir de son bourbier. Et c’est plutôt juste, puisque le développement progresse bien. C’est en janvier 2011 que le jeu revient en grande pompe, presque 5 ans après son annonce. Cette fois, c’est un trailer de 7 minutes qui est présenté. On y voit de magnifiques images précalculées, des cinématiques utilisant le moteur de jeu, et surtout du gameplay. On entend pour la première fois le doublage. Tout comme en 2006, Versus XIII fait preuve d’une ambition folle : c’est visuellement somptueux, les transitions entre cinématiques et gameplay sont presque invisibles, le système de combat a l’air aussi riche que l’environnement est destructible, bref, tout est là pour vendre du rêve. Mais dans une interview donnée quelques jours plus tard, Nomura recommande malgré tout d’oublier Versus XIII pendant quelques temps, parce que la communication va se concentrer sur d’autres jeux dont FFXIII-2, une suite directe à FFXIII annoncé en même temps que la présentation de Versus XIII. Ce qu’on ne savait pas à l’époque, c’est qu’il s’agissait de la dernière fois où on verrait Versus XIII avant qu’il ne disparaisse. Pour toujours, cette fois.

    Là, c’est important de faire une petite pause dans l’histoire pour comprendre ce qui est arrivé à Versus XIII. Rappelez-vous, au début je vous ai dis que chaque équipe faisait un jeu dans son coin et recommençait tout de zéro. Une méthode qui a changé avec l’arrivée du Crystal Tools. Mais l’organisation et la composition des équipes, elles, n’ont pas bougés d’un iota. Square Enix cherche toujours à faire de Final Fantasy une vitrine technologique irréprochable. Et pour ça, les équipes de développement sont composées de cellules expertes dans leurs domaines. Comme le dit Motomu Toriyama, le directeur de Final Fantasy XIII, « La règle tacite était de tout créer jusque dans le moindre détail. » Un perfectionnisme démesuré qui fait du jeu l’un des plus beaux de sa génération, mais à quel prix ?

    Dans tous les domaines, le surplus de spécialisation était un souci. En réalité, plus le nombre de créateurs augmentait dans chaque département, plus le projet était boursouflé. Comme leurs rôles étaient tellement précis, la communication marchait de moins en moins bien et les informations n’étaient pas correctement partagées. […] Certains continuaient à produire des données sans connaître le statut le plus récent du projet. Motomu Toriyama

    Si on combine ces problèmes de communication avec le fait que la vision artistique soit toujours favorisée par rapport la faisabilité technique et qu’en plus on ajoute une ambition démesurée pour Versus XIII, on arrive à un jeu impossible à mener à terme. Il faut bien se rendre compte qu’il est totalement novateur pour l’époque : un RPG avec des graphismes réalistes, un mélange de genres avec un système de combat en équipe complexe très orienté action, le tout dans des environnements vastes et destructibles, c’est grandiose. En tout cas, c’est beaucoup trop de données à gérer pour la PS3. Sans rentrer dans les détails, l’architecture de la PS3 est particulièrement difficile à maitriser pour les développeurs. Si la Xbox 360 obtenait de meilleurs performances alors qu’elle était moins puissante que la PS3, c’est justement à cause de cette architecture qui séparait les 512 Mo de RAM en 2 entre le processeur et la carte graphique. Et ça explique d’ailleurs pourquoi FFXIII est principalement composé de longs couloirs, avec des transitions entre les combats et l’exploration : parce que la technique les empêchait de faire autrement. Sauf que Versus XIII va à l’opposé en cherchant la fluidité à tout prix. Et même si Nomura précise qu’il ne sera pas totalement ouvert, Versus devait avoir des zones très grandes puisqu’elles étaient censées être traversées en voiture.

    En gros, développer Versus sur PS3, c’est un enfer. Un monde ouvert orienté action, ça demande une optimisation sans pareil. Surtout dans un jeu avec un groupe de héros où il est donné au joueur la possibilité d’alterner entre chacun d’entre eux à tout moment. Avec en plus le perfectionnisme pointilleux exigé et l’ambition de Nomura qui veut créer un Final Fantasy comme on en a jamais vu, ça tourne vite au cauchemar. D’autant plus que la sortie catastrophique du MMO FFXIV en septembre 2010 change encore la donne. Versus XIII est loin d’être prioritaire face à un épisode numéroté, surtout quand celui-ci a d’énormes problèmes qu’il faut impérativement régler. Alors une grande partie de l’équipe est mobilisée pour réparer les pots cassés, c’est à dire les 400 pannes quotidiennes sur FFXIV.

    Une fois que Naoki Yoshida est venu sauver FF XIV en le recréant de zéro ou presque, une question se pose irrémédiablement : Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux abandonner l’idée de sortir Versus XIII sur PS3 pour le sortir sur la prochaine console de Sony, qui ne devrait pas tarder à arriver ?

    En cherchant à définir les mécaniques du jeu, nous avons peu à peu senti que ce serait compliqué à réaliser avec la génération actuelle. Nous avons fini par conclure qu’il nous serait difficile de tout reproduire sur PS3 sans sacrifier des choses. Tetsuya Nomura

    Mais ça reste une décision difficile, parce que l’immense parc de joueurs sur PS3 est à considérer dans la balance. 56 millions de joueur, c’est 56 millions de raisons de douter d’une sortie exclusive sur PS4. Alors l’idéal, ça serait de le sortir sur les deux consoles. Sauf que ça ne change pas grand chose au problème initial. Les développeurs sont exténués à force d’échecs pour rendre le jeu viable sur PS3. Au point même où certaines personnes importantes décident de quitter l’entreprise. C’est finalement une simple question qui va tout changer :

    Pendant que nous étions en train de travailler à la version alpha, la direction nous a demandé :

    “ Si vous êtes contraints de rester sur la génération actuelle, arriverez-vous à concrétiser ce que vous avez imaginé ? ”. Tetsuya Nomura

    La réponse est évidente. Même si les devs se battent bec et ongle pour optimiser chaque élément du jeu, Versus XIII est beaucoup trop ambitieux pour la PS3. Il faut abandonner cette idée de sortie à cheval sur les deux générations et le sortir uniquement sur PS4. Ce qui va entériner cette décision, c’est la transformation de Versus XIII en Final Fantasy XV. En réalité, ce changement de nom est une question qui s’est déjà posée plusieurs fois par le passé, la première fois étant peu de temps après la présentation à l’E3 en 2006. Mais Nomura a toujours refusé, déjà parce qu’il aime le concept de pendant obscur à Final Fantasy XIII, mais aussi parce qu’il considère qu’un épisode numéroté lui donnerait moins de liberté. Avec Versus XIII, il peut faire le jeu de ses rêves sans se brider par peur de briser les conventions. Mais l’annonce de FFXIII-2 change la donne, et plus ou moins forcer la chose pour ne pas créer trop de confusion auprès des fans. Une fois la confirmation faite qu’il aura toujours autant de liberté, Nomura finit par accepter. Versus XIII n’existe plus. Final Fantasy XV est né.

    Final Fantasy XV

    L’identité change, mais les doutes persistent. Le PDG Yôïchi Wada lui-même est fébrile. C’est pour cette raison qu’il va demander à Hajime Tabata de codiriger le jeu avec Nomura pour le sortir de son enlisement. Il place une grande confiance en lui parce qu’il a réussi à sauver Agito, le jeu mobile présent à la base dans Nova Fabula Cristallis. Après moult transformations, il est finalement devenu Final Fantasy Type-0 sur PS Vita, un jeu qui n’a pas fait l’unanimité mais qui a au moins le mérite de sortir dans un état décent. Avec ça, Wada se dit que c’est l’homme de la situation.

    Tous les projets de jeu vidéo ont leurs problèmes, il est vrai, mais dans le cas de Final Fantasy Versus XIII, cela faisait beaucoup trop longtemps qu’ils essayaient de les corriger. Il était en développement depuis six ans, et cela ne pouvait pas continuer sous cette forme. Tabata

    Ce nouveau Final Fantasy ne peut pas échouer. Le scandale autour de FFXIV et les bruits de couloirs autour de Versus XIII mettent en jeu la crédibilité de Square Enix. Un nouvel échec entérinerait définitivement la réputation de la boite. Quand Versus XIII devient Final Fantasy XV en juillet 2012, Yoïchi Wada donne six mois aux équipes pour proposer quelque chose de convaincant. Ceux qui ont bossé dessus pendant six ans sont complètement rincées, en plus d’avoir le moral dans les chaussettes. Mais heureusement, FFXIV étant enfin stable, du renfort arrive pour les aider. Et un atout de taille va jouer un rôle important : un nouveau moteur très prometteur, le Luminous Studio.

    Bon, petit retour en arrière. En 2009, Square Enix fait l’acquisition d’Eidos, l’éditeur britannique de Hitman et Tomb Raider, entre autres. Un choix qui paraît étrange, parce que racheter 93 millions d’euros une boite qui est au plus mal n’a pas vraiment de logique. Mais aux yeux de Wada, ça tombe presque sous le sens : Square Enix n’arrive pas à se dépêtrer de ses problèmes d’organisation, de son retard technologique et de tout ce que ça entraine au niveau de la production. Lorsqu’il visite les locaux d’Eidos, il découvre des outils technologiques bien plus avancés chez Crystal Dynamics, et comprend rapidement que le problème de l’éditeur, c’est qu’il publie trop vite ses jeux, sans prendre le temps de les peaufiner. L’exact inverse de Square Enix, ce qui l’amène à penser que la fusion des équipes pourrait aboutir à un juste milieu.

    Un pont se crée entre les équipes japonaises et occidentales. À peu près au même moment, Wada réussit à engager Yoshihisa Hashimoto, ingénieur travaillant chez SEGA et tout particulièrement sur le Hedgehog Engine. Un choix ingénieux, puisqu’il vient de réaliser une prouesse sur Sonic Unleashed avec la création d’une toute nouvelle technique d’illumination globale. En arrivant chez Square, Hashimoto se met à bosser sur un nouveau moteur avec les nouvelles équipes occidentales. Très confiant dans le projet, Wada nomme Hashimoto directeur technique de Square Enix et lance dans la foulée une grande campagne de recrutement. Tout ça mélangé aboutit à la création du Luminous Studio, dont le nom montre bien l’ambition placée en lui, et qui deviendra par la suite le Luminous Engine.

    Retour en 2012 : l’arrivée de Tabata et son équipe sur Final Fantasy XV en enthousiasme quelques uns mais en révulse beaucoup d’autres.

    Je n’ai pas dit oui tout de suite. J’en ai d’abord parlé avec mon équipe et, à vrai dire, environ 90 % y étaient opposés. Il y avait beaucoup d’animosité, car mon équipe ne voulait pas être intégrée dans celle de Tetsuya Nomura et elle était bien consciente des difficultés rencontrées par le projet. Tabata

    Forcément, les problèmes que connait le développement de Final Fantasy XV sont bien connus en interne. En plus de ça, la réputation de Nomura n’est pas des plus joviales : beaucoup le considèrent comme un tyran.

    Qui plus est, en étant mutée sur FFXV, l’équipe de Tabata doit abandonner le projet sur lequel elle s’affaire à ce moment là, à savoir un Final Fantasy se déroulant dans un univers fantastique inspiré du Japon médiéval. Malgré la récalcitrance de son équipe, Tabata finit par accepter et son arrivée permet de faire avancer correctement le projet. Le nouveau concept du jeu est présenté à Yoïchi Wada en janvier 2013. Il est validé dans la foulée, et la décision est prise de présenter le jeu à l’E3 de cette même année.

    Cet E3, c’est un événement primordial pour Square Enix. Un peu plus tôt dans l’année, Yoïchi Wada annonce des pertes désastreuses pour l’entreprise, à hauteur de 13 milliards de yens, soit 103 millions d’euros, et dépose au passage sa démission du poste de PDG. Son successeur, Yosuke Matsuda, arrive à un moment où il faut tout changer. Il choisit rapidement la direction à suivre : investir toujours plus dans les jeux mobiles, et réévaluer les jeux couteux pour optimiser leur rentabilité. En ce qui concerne les joueurs, il faut leur mettre des étoiles dans les yeux.

    Si Kingdom Hearts III va créer la surprise à l’E3 2013, le sublime trailer de FFXV va quant à lui susciter une joie profonde parmi les fans. Les images sont spectaculaires, la musique de Yoko Shimomura est grandiose, bref, du grand Final Fantasy qui n’hésite pas à montrer sa mue aux yeux de tous. Nomura promet que le jeu refera parler de lui prochainement, ce qui s’avèrera être faux. À part un trailer avec très peu de nouvelles images dévoilé au Tokyo Game Show de la même année, le jeu retombera dans le silence pendant quelques temps. Et surtout, ça sera la dernière annonce de Nomura en tant que directeur de Final Fantasy XV.

    Si la déclaration officielle est faite en septembre 2014, c’est en réalité en décembre 2013 que Nomura perd son poste, bien qu’il soit possible qu’il ai été écarté encore avant. Le communiqué officiel explique que ce choix a été fait pour répartir les talents :

    En tant que réalisateur de Final Fantasy XV, Tetsuya Nomura a principalement travaillé sur les bases de l’histoire et de l’univers, ainsi que sur la création des personnages. Désormais, il consacrera ses efforts à la production de titres que lui seul peut accomplir – à commencer par un autre projet majeur, Kingdom Hearts III –, et ainsi produire des jeux plus aboutis que jamais auparavant.

    Selon Tabata qui devient le seul maitre à bord, le changement n’est pas brutal et les nombreuses discussions avec Nomura lui ont permis de savoir où diriger le projet. Tout semble logique : Nomura doit être à temps plein sur Kingdom Hearts III, en plus du fait que la direction a décidé de faire de lui le directeur du prochain gros chantier de Square Enix, le remake de FFVII.

    Difficile de démêler le vrai du faux dans le départ de Nomura, mais à priori tout n’est pas aussi rose que le laisse le croire les communiqués officiels. Quand on pose la question à Nomura, il déclare que c’est une décision de l’entreprise. Le sous entendu est limpide. Alors, qu’est-ce qui pourrait expliquer la mise à l’écart de Nomura ? Ce ne sont bien sûr que des spéculations, ce qui suit n’est donc pas à prendre pour argent comptant.

    Le premier facteur qui pourrait l’expliquer, c’est la volonté de Nomura de décliner FFXV en plusieurs épisodes. Quand Versus XIII est devenu FFXV, Nomura s’est imaginé proposer un univers qui tiendrait sur plusieurs jeux, un peu comme le Nova Fabula Cristallis. Lors de l’E3 2013, Nomura parle « d’épopée Versus », alors que Tabata déclare au Tokyo Game Show qu’il n’a aucunement l’intention de diviser l’histoire. Final Fantasy XV sera un jeu unique. Une vision plus réaliste et qui convient sans doute mieux à Square Enix, tant le projet patauge dans un développement sans fin. Le second facteur, c’est le changement de PDG. Yoïchi Wada, l’ancien PDG, a sans aucun doute préservé Nomura. Rares sont les directeurs qui laisseraient se poursuivre le développement d’un jeu comme Versus XIII, qui a duré six ans sans rien donner. Son successeur, Matsuda, annonce la couleur en disant que c’est la fin des développements interminables. Forcément, l’idée de voir FFXV s’étaler sur plusieurs jeux ne lui convient pas, et le choix de faire de Tabata l’unique directeur du projet a du lui apparaitre comme une évidence.

    Du coup, il incombe à Tabata une tache sacrément difficile vu l’historique, et surtout pressurisante vu qu’il s’agit de son premier épisode numéroté. Déjà, il y a du pain sur la planche, mais il a en en plus ses supérieurs constamment au-dessus de son épaule. Maintenant il faut des résultats, le projet ne doit plus naviguer à vue et il faut une date de sortie. Avec le budget disponible et en analysant tout ce qu’il reste à faire, il estime la sortie possible en septembre 2016 et annonce d’ailleurs à son équipe que ce ne sera pas négociable. Mais Tabata comprend rapidement que l’organisation au sein de l’équipe est problèmatique, et qu’il doit y remédier. Il commence par s’occuper du principal problème qui règne dans les équipes de Square Enix depuis déjà trop longtemps : la communication. Pour se faire, il va tout bonnement supprimer la hiérarchie pour tenter d’aboutir à une organisation horizontale.

    Certains chefs d’équipe étaient à leur poste depuis une dizaine d’années. Cela donnait lieu à une hiérarchie clairement définie au sein de l’équipe, qui affectait non seulement les chances de succès du groupe, mais forçait aussi chaque membre à adhérer aux principes subjectifs de leur superviseur. Tabata

    Mais ce n’est pas tout, puisqu’il va aussi bousculer la façon de faire : habituellement, les game designer envoient leurs demandes aux artistes, qui envoient leurs illustrations aux techniciens pour l’intégrer dans le jeu. Là, chaque domaine progresse simultanément autour d’ateliers en équipes réduites qui durent environ 2 mois. Lorsqu’ils sont terminés, les membres sont repartis différemment pour créer une nouvelle dynamique.

    Vous pouviez être le chef d’une tâche puis rejoindre un autre groupe en tant que simple membre Ken’ichi Shida, animateur

    Mais il reste un problème de taille. Tabata constate qu’à cause de la popularité de la licence, certains membres de l’équipe ont un peu trop la confiance dans le simple fait de bosser sur un Final Fantasy, au point même où il leur devient impossible d’imaginer une autre façon de concevoir un FF que la leur. Un problème qu’il nomme la maladie Final Fantasy :

    Du fait d’un fort sentiment d’auto-affirmation, leur vision personnelle de FF prend le dessus sur les conditions de réussite de l’équipe, et si cette vision n’est pas accomplie, ils sont convaincus que ce n’est pas un vrai FF. Tabata

    Même si ce n’est pas la raison principale, il ne fait nul doute que Tabata a sciemment fait des choix drastiques concernant FFXV pour contrecarrer cette « maladie ». Le plus parlant est sans doute le monde ouvert à la sauce occidentale, alors même que les équipes n’en ont jamais créé auparavant. Et pour parvenir à le rendre crédible, elles vont abattre un boulot monstrueux.

    Créer un monde vaste et totalement ouvert permet de centrer le jeu autour du voyage. De fait, les paysages sont pour la première fois dans un FF au centre des considérations, avant même l’univers et le scénario. Le cadre du jeu est donc imaginé à l’échelle continentale en réfléchissant à une multitude de détails comme la température, le taux d’humidité, ou la direction des vents. Ce sont certes des détails qui ne sont jamais concrètement utilisés, mais qui prouvent l’enthousiasme des développeurs à créer un monde tangible. Pour mieux se représenter la topographie, l’équipe va aller jusqu’à créer une maquette en argile et vont aussi utiliser la photogrammetrie, c’est à dire prendre des objets en photo pour les numériser en trois dimensions. Beaucoup d’objets en jeu ont été ajoutés grâce à cette technique, et les développeurs en sont tellement fiers qu’ils en parlent sur Twitter.

    Si la nature et son climat bénéficient d’un soin tout particulier, les villes vont elles aussi fourmiller de détails. Parce que le but est de créer un monde réaliste et finalement proche du notre, allant d’ailleurs à l’inverse des habitudes de la série qui propose généralement des univers fantaisistes. Chacune des villes du jeu s’inspire d’un lieu bien réel. Insomnia, une ville qu’on verra finalement beaucoup plus dans le film que dans le jeu ressemble au quartier de Shinjuku à Tokyo. On peut aisément reconnaitre la mairie de Tokyo, que les équipes vont photographier pour s’en inspirer. Yusuke Naora conférence 2015. Dommage qu’on ne puisse pas en profiter dans le jeu, puisque le seul moment où on traverse la ville, c’est vers la fin quand elle est en ruines. On devait à la base la découvrir au début de l’aventure, mais les priorités du développement en ont décidé autrement.

    Pour en revenir aux lieux de FFXV et leurs inspirations, la région de Leide ressemble à la Route 66, dont le directeur artistique Isamu Kamikokuryô revenait justement après un voyage. Lestallum s’inspire largement de la Havane, notamment dans l’architecture, mais aussi par la présence des voitures américaines des années 50. Et Altissia, c’est bien sûr la Venise de FFXV. Alors évidemment, tout ça se mélange avec des éléments fantastiques comme la présence d’un énorme cratère à Duscae, mais pour autant, les ressemblances avec notre monde sont frappantes.

    On pourrait déjà se dire que le travail des développeurs est remarquable, mais ils ne vont pas s’arrêter là. Pour donner toujours plus de crédibilité au monde, une équipe va spécifiquement se pencher sur les justifications de chaque élément présent dans le jeu.

    Un sens du détail qui va même jusqu’à changer les langues dans les différentes villes. Insomnia possède des inscriptions en japonais, tandis que l’italien est prépondérant à Altissia. Il est fort probable que Tenebrae utilise la langue française vu le nom de famille de Lunafreya, Fleuret. Bon bien sûr, tout le monde parle la même langue à l’oral, puisque le but est quand même de rendre le jeu facilement compréhensible. Mais pour la version anglaise, on peut malgré tout noter des accents différents en fonction des régions. Régis, le père de Noctis, a par exemple un accent plus british.

    Quant à la faune et la flore, elle va elle aussi être le fruit d’un travail minutieux. Chaque animal peuplant le monde d’Eos est créé avec un sens du détail impressionnant. Ils ont tous un squelette, des muscles et des protubérances imaginés comme des évolutions naturelles d’espèces connues.

    Nous avons voulu créer un monde qui ne semblerait pas déplacé si des gens de la BBC ou de National Geographic faisaient un documentaire dessus. Hajime Tabata

    Même des bestiaux gigantesques comme le catoblépas, qui fait son grand retour depuis FFV, est analysé sous toutes les coutures pour être crédible.

    Pour soutenir son grand cou lorsqu’il cherche à se nourrir, il se sert des muscles solides de ses pattes avant, de sa longue colonne vertébrale et de son centre de gravité bas pour équilibrer son cou comme s’il s’agissait d’un pont suspendu. Chihiro Hashi, illustratrice

    La seule exception, c’est le Chocobo, l’animal emblématique de la licence. Dans chaque FF, pour avoir un côté mignon, ses proportions sont complètement déformées. L’équipe va alors faire quelques entorses au réalisme du jeu pour qu’il conserve toute sa mignonitude même s’il reste relativement crédible, notamment grâce à son plumage.

    Je pense qu’avec tout ça, vous avez une bonne vision du travail investi dans la crédibilité du monde d’Eos. Et en fait, ça va même plus loin que ça : comme FFXV raconte le voyage d’un groupe de potes, les développeurs vont eux aussi partir en excursion. Dès le début du développement de FFXV, des petits groupes sont envoyés à différents endroits du Japon. Tout le monde y est convié, même certains sous-traitants, avec deux objectifs assez clairs : booster la créativité des artistes, et souder les liens entre les membres de l’équipe. Pour des salaryman habitués à un cadre urbain, autant dire que ces aventures vont être la source de beaux souvenirs : randonnée, alpinisme, virée en bateau, démonstration militaire, et pleins d’autres activités inattendues. Certaines sont même carrément dangereuses, comme l’ascension du mont Kisokama, qui culmine quand même à 2500 mètres d’altitude.

    Une chaîne est accrochée sur la paroi rocheuse, servant de corde de sécurité pour l’escalade. À la moindre erreur, vous vous retrouviez la tête au-dessus du vide. Quand nous sommes redescendus sains et saufs de la montagne, tout le monde était complètement exténué. Yasuoki Nasu

    Toutes les petites phrases qu’on entend en se promenant dans FFXV viennent de ces excursions. Les petits « j’ai un caillou dans ma chaussure », « j’ai faim » et autres légèretés sont directement tirées de ces excursions. Un simple détail, mais qui ajoute pourtant beaucoup de réalisme au road trip de Noctis et ses amis. Comme vous vous en doutez, ils ont eux aussi été l’aboutissement d’un énorme travail. Déjà visuellement, les capacités de la PS4 permet d’avoir une tonne de détails : chaque personnage est composé de 100 000 polygones (dont 20 000 pour les cheveux), cinq fois plus que ce que permettait la génération de console précédente.

    S’ils ont l’air d’être sorti tout droit d’un boys band japonais, c’est en partie dû à leurs vêtements qu’on doit au travail du créateur de mode Hiromu Takahara. Il est présent sur le projet depuis 2008, lorsque Nomura se dit qu’il n’aura pas le temps de créer lui-même des tenues réalistes. Des vêtements qui sont d’ailleurs ajoutés au catalogue de la maison Roen dont Takahara fait partie. Mais si vous voulez vous les procurer, préparez-vous à casser la tirelire : la tenue de Noctis coûte environ 300 000 yens, soit 2300 euros, et celle de Prompto coute 440 000 yens, soit 3400 euros, chaussures non comprises !

    La personnalité de chaque luron est aussi minutieusement travaillée. Spécifiquement pour eux est crée un poste très particulier : directeur des personnages, occupé par Marie Iwanaga.

    Mon but est de prendre en charge la façon dont sont montrés les quatre personnages principaux. Je m’assure que leur personnalité est toujours identifiée sur tous les aspects du développement.

    Elle fait partie d’une équipe plus large qui s’appelle buddy system, qui veille à ce que chaque personne travaillant sur FFXV comprenne bien les traits de caractère de chaque personnage. Noctis par exemple ne doit surtout pas avoir l’air d’être un surhomme, un misanthrope ou un mec cool. Elle bosse en parallèle sur l’intelligence artificielle des acolytes, et c’est d’ailleurs grâce à cette équipe qu’on a eu droit aux photos prises par Prompto.

    Plutôt que d’avoir un simple mode photo, l’idée est d’intégrer les hobbies des personnages dans le gameplay, incluant l’amour de Prompto pour la photographie. Grâce à une IA qui évalue le potentiel photogénique d’une scène en prenant en compte divers critères, on se retrouve à chaque fin de journée avec une sélection de photos. Une bonne idée, qui va même jusqu’à être intégrée au scénario. D’ailleurs, la passion de Ignis, la cuisine, va donner lieu à ce que les développeurs appellent le meshi tero, équivalent japonais du porn food. Chaque plat est modélisé avec le plus grand soin grâce à l’utilisation de la photogrammétrie. Un élément plutôt sympa, exception faite des placements de produits comme Cup Noodle qui doivent être intéressants financièrement pour Square Enix, mais qui brisent un peu l’immersion dans ce monde imaginaire.

    Il reste toutefois un personnage important dont je n’ai pas encore parlé : la Regalia. Qui dit monde ouvert dit déplacement sur de grandes distances, surtout dans un monde aussi vaste qu’Eos. Quel serait le meilleur moyen de transport ? La réponse à cette question se trouve dans Versus XIII, puisque la Régalia était présente dès les premiers trailers. Rien de mieux qu’une virée en voiture sur la Route 66 pour représenter un road trip, qui est au cœur de FFXV. La Régalia est considéré par les développeurs comme le cinquième membre de la bande, expliquant tout le soin apporté à sa création.

    Le fait qu’une partie des développeurs soit fan de gros bolides a bien aidé à sa conception : le chef de l’équipe dédiée à la Régalia estime qu’elle doit ressembler aux modèles les plus luxueux et couter dans les alentours de 60 millions de yens, soit 500 000 euros. Avec une telle somme en tête, l’illustrateur Yusaku Nakaaki imagine des design farfelus. Mais voiture du roi Regis oblige, l’objectif devient finalement de la rendre la plus luxueuse possible. Les développeurs vont d’ailleurs entrer en contact avec un collectionneur de voiture de luxe pour venir observer ses modèles, et vont même jusqu’à lui demander s’ils peuvent pousser l’un d’eux, comme le font les héros au début du jeu.

    Même si on peut conduire, le but n’est pas de faire de FFXV un jeu de course : l’idée est de faire ressentir au joueur qu’il voyage. D’où la présence d’un mode automatique, et la présence d’un mode manuel qui permet de contrôler la voiture, mais qui la laisse globalement sur des rails. On peut tourner, mais faut drôlement insister. Finalement, l’utilité de la voiture, c’est pas de se prendre pour un champion du champignon, mais bien de se rendre rapidement quelque part en profitant du paysage. Une question reste cependant longtemps en suspend : faut-il mettre la conduite à gauche ou à droite ? À la base, les développeurs ont fait ce qu’ils connaissent, à savoir la conduite à gauche. Sauf que l’idée, c’est de coller à l’image du road trip américain, le choix est donc fait de conduire à droite.

    Il reste cependant une question en suspend : FFXV étant l’héritier de Versus XIII – si on peut dire ça comme ça –, comment intégrer un gameplay orienté action ? Ou du moins, comment faire en sorte que les fans l’acceptent ? La question du gameplay a toujours été primordiale dans les FF. En passant de Versus XIII à FFXV, il devient le premier épisode numéroté à pencher complètement vers l’action. Comme le dit Yoshinori Kitase en 2011, le combat en tour par tour perd en popularité :

    Au niveau du marché international, nous constatons que de nombreux joueurs se détournent des systèmes au tour par tour au profit de ce qu’on peut appeler l’action-RPG. C’est une tendance qu’il serait périlleux d’ignorer. Yoshinori Kitase

    Finalement, ce choix d’orienter le gameplay vers de l’action pure est logique. C’est ce que voulait Nomura avec Versus XIII, et c’est aussi ce que demandent les joueurs. Pas tous, certes, mais ça reste un choix cohérent pour que le jeu marche à l’international. Sauf que Tabata ne cherche pas non plus à faire du button smashing, autrement dit du martèlement de bouton. Il souhaite plutôt se concentrer sur le confort de jeu. Pour se faire, il va reprendre une idée qu’il a déjà intégrée dans Type-0, à savoir l’attaque automatique en restant appuyé sur un bouton. D’autant plus que, par la suite, un mode attente est ajouté, met le combat en pause quand le personnage arrête de bouger. Un juste milieu qui ne suffira sans doute pas aux fans les plus obtus, mais qui ressemble de loin à du combat en tour par tour.

    Mais Tabata va faire une bourde : lors d’une interview, il explique vouloir rendre le jeu plus « casual », qui va à l’inverse des jeux adressés aux « vrais » joueurs pour les esprits les plus étriqués. Evidemment les joueurs réagissent aussitôt, et Tabata comprend qu’il avance sur un terrain miné. Il doit jongler entre deux éléments difficiles à manier : d’un côté l’accessibilité pour contenter le plus grand nombre, et de l’autre la profondeur du gameplay et la présence de défis suffisamment corsés pour contenter les joueurs expérimentés.

    Quant à la magie, elle se base elle aussi sur une forme de réalisme. Le but n’est pas de proposer une multitude de sorts, mais plutôt de… lancer des petits flacons qui contiennent des cristaux liés à un élément. Et forcément, qui dit réalisme dit aussi que les alliés se prennent des dégâts s’ils ont du feu sous les pieds. Pour les invocations, l’équipe décide de se limiter à six d’entre elles, dont seulement quatre utilisables en combat. Ce choix s’explique par le fait qu’ils soient intégrés dans le scénario, et aussi par les difficultés que représentent leur création. Par exemple, pour le design de Leviathan qui fait quand même 1 km de hauteur et pèse 310 000 tonnes, les équipes vont disséquer des poissons et faire des études anatomiques d’animaux marins comme les baleines. Leviathan va demander deux mois de travail pour prendre vie.

    A côté de ce système de combat assez particulier, il doit aussi annoncer qu’il n’y aura qu’un seul personnage jouable, contrairement à ce qui était prévu pour Versus XIII. Et ça, c’est quelque chose de difficile à faire accepter aux joueurs, parce que les FF ont toujours proposé de contrôler un groupe de personnages. Tabata a néanmoins une justification qui tient la route :

    Si, au lieu de contrôler simplement Noctis, les joueurs pouvaient contrôler quatre ou cinq personnages […], il nous serait très difficile de restituer les sensations de jeu de ces personnages au même niveau de satisfaction qu’un seul, du fait des restrictions de temps, des limites de budget, etc. Puisque l’objectif nous semblait impossible, nous avons décidé qu’il serait plus raisonnable de créer des équipiers dotés d’une intelligence artificielle poussée et de les rendre véritablement réalistes. Tabata

    Un élément difficile à accepter pour les fans, mais qui sera finalement réparé dans une mise à jour après la sortie du jeu. Depuis décembre 2017, il est possible de contrôler n’importe quel personnage du groupe dans les combats. Et oui, vous l’avez peut-être remarqué, mais c’est déjà la deuxième fois que je parle de mise à jour changeant considérablement le gameplay après la sortie. Peut-être bien que FFXV est sorti beaucoup trop tôt pour son propre bien.

    Reste encore un sujet primordial à aborder : la musique. L’héritage musical, notamment à travers les sublimes compositions de Nobuo Uematsu, est très riche et ce FFXV se doit de proposer un univers musical à la hauteur. Pour se faire, on retrouve la compositrice Yoko Shimamura, à qui l’ont doit les OST des Kingdom Hearts et d’autres classiques du JRPG comme Live a Live, ou encore certains thèmes de Street Fighter 2.

    Elle rejoint le projet dès ses débuts. Nomura se dit que Versus XIII est partiellement développé par l’équipe de Kingdom Hearts, donc autant que la bande originale soit crée par la même compositrice. La musique crée pour le trailer présenté à l’E3 2006, Somnus, a largement contribué à la hype autour de Versus XIII. Mais forcément, un projet qui mouline pendant des années implique aussi des complications sur la création de la bande son. Pendant plusieurs années, Versus XIII cherche son identité et il est difficile de créer des musiques qui collent avec un univers pas entièrement construit. On ne sait pas combien de musiques ont été composées au total, mais on sait par contre que seul un tiers des musiques composées pour Versus XIII se sont retrouvées dans FFXV. Le changement de directeur l’a d’ailleurs forcé à s’adapter : Nomura était long à accepter une musique mais ne demandait quasiment aucune modification une fois que c’était fait. Tout l’inverse de Tabata, qui acceptait facilement mais revenait souvent pour changer quelque chose.

    Au-delà des différentes volontés musicales, FFXV est surtout un mastodonte qui demande un énorme travail de composition. De son propre aveu, Shimomura compose lentement, ce qui ne colle pas avec la production d’un jeu de cette ampleur. C’est pourquoi elle est épaulée par plusieurs compositeurs. Elle devient la compositrice principale, ce qui signifie qu’elle compose les grands thèmes du jeu, qui sont ensuite repris et adaptés par les compositeurs additionnels. Ils peuvent aussi composer des morceaux considérés comme moins importants. Par exemple, Shimomura n’a bossé sur aucun thème lié à une ville.

    L’un des aspects les plus importants de la musique de FFXV, c’est le fait qu’elle soit adaptative, autrement dit une bande son capable de s’adapter à ce qui se passe à l’écran de manière fluide. C’est le premier FF à mettre les pieds dans le plat, même si FFXIII-2 a aussi tenté quelques expérimentations de ce côté là. En même temps, il faut dire que le procédé est compliqué avec Final Fantasy, car ce sont généralement des jeux avec des musiques orchestrales aux structures complexes. Sho Iwamoto, un programmeur audio, va alors développer un outil appelé MAGI pour fournir des transitions entre deux arrangements d’une même piste en conservant le même minutage. Mais ce n’est pas tout, puisqu’il va ajouter un découpage en plusieurs sections successives d’une musique qui s’enchaineront selon l’étape d’une bataille. Sans rentrer dans le détail, ça peut sembler simple comme ça, mais comme les musiques sont relativement complexes avec des changements de rythme subtils, dans la pratique conserver une transition fluide est autrement plus compliqué.

    Reste bien sûr à choisir la traditionnelle chanson thème du jeu. Le but est d’avoir une musique universelle, ou du moins une musique qui inscrit FFXV dans la culture populaire. Le choix de l’artiste se fait sans difficulté, puisque Florence and the Machine a des millions de fans à travers le monde, notamment des vingtenaires qui représente un des publics cible de Tabata. Quant à la musique, il choisit Stand By Me, sans doute par son côté culte, par le fait que les paroles collent parfaitement au scénario, mais aussi car elle donne son nom à un film de Rob Reiner qui raconte le voyage de quatre jeunes garçons.

    Le développement fait son bout de chemin, tandis qu’à côté, quelque chose de fondamental va changer : la communication. Tabata et ses équipes vont faire preuve d’une grande transparence pendant tout le développement avec les Active Time Report, de longues émissions où Tabata informe les joueurs sur l’avancement du jeu. Clairement inspiré de ce que faisait Naoki Yoshida avec FFXIV, le but est double : mettre une nouvelle tête sur FFXV après le départ de Nomura, et récupérer la confiance des joueurs qui n’avaient que très peu d’informations à l’époque de Versus XIII. Triple même, puisqu’il s’agit aussi de prendre la température. Voir comment les joueurs réagissent à telle ou telle annonce.

    Et ça va même aller plus loin puisque dès septembre 2014, Tabata annonce qu’une démo sera bientôt disponible (elle sera distribuée en mars 2015), alors que le jeu est encore loin d’être complet. Le jeu annoncé en 2006 est enfin jouable pour la première fois, presque neuf ans plus tard. Cette démo, intitulée épisode Duscae, dure environ une heure et propose une quête spécifiquement crée pour l’occasion. Elle reprend les grandes lignes du début du jeu avec la panne de voiture, et intègre un combat avec le Béhémoth et même la possibilité d’invoquer Ramuh.

    En fait, l’épisode Duscae s’apparente plus à un prototype qu’à une démo. Le but est clairement de récolter les premières impressions des joueurs, au point même ou Square Enix envoie quelques jours après la sortie de la démo un formulaire à ceux l’ayant testé. Graphismes, dialogues, système de combat, tout y passe à travers des réponses à choix multiple et même la possibilité de laisser un commentaire, un peu comme si le jeu était en accès anticipé. En avril 2015, Tabata présente les résultats du sondage sans rien occulter, même les problèmes liés aux bugs. Une première dans le développement d’un Final Fantasy. L’épisode Duscae va même recevoir une mise à jour en juin de la même année, suite à la frustration des développeurs de ne pas avoir eu le temps de rajouter certains éléments. Une mise à jour pour une démo, c’est de mémoire unique dans l’histoire du jeu vidéo.

    Cet épisode Duscae marque un énorme changement dans le rapport entre les devs et les joueurs. Parce que ce sont eux qui vont partiellement dicter le chemin à prendre. Par exemple, Prompto n’est pas très apprécié, alors l’équipe va tout faire pour le rendre plus agréable. C’est de là que lui vient sa passion pour la photo et plus tard la fonctionnalité du carnet. Autre exemple : en septembre 2015, au Tokyo Game Show, Tabata annonce que le jeu n’aura pas de Moogle. La réaction des joueurs est telle qu’il décide de lancer un sondage sur Twitter. Les résultats sont clairs : 87 % de réponses positives sur le sondage japonais, et 78 % sur le sondage anglais.

    Félicitations, Moogle ! […] Je vais réfléchir à une façon simple et amusante d’intégrer les Moogles dans FFXV. Tabata

    Une méthode qui en enchantent certains, leur permettant d’être entendu par les devs, mais qui en agacent d’autres. Car ça peut donner l’impression que l’équipe ne sait pas où elle va. Les inquiétudes sont si grandes que l’équipe va se fendre d’un tweet pour rassurer les fans. Mais ça n’empêche pas d’y voir une certaine forme d’improvisation. Par exemple, lors de la gamescom 2015, les fans s’attendent à ce qu’une date de sortie soit dévoilée. Mais elle n’arrive finalement pas. La frustration des joueurs remonte jusqu’aux oreilles de Tabata, qui profite d’entretiens avec la presse durant le salon pour aborder le sujet.

    « Nous avons mal calculé les attentes relatives à cet événement, notamment ce que les gens voulaient y voir Nous voulons vous dire que vous n’aurez pas à attendre 2017. »

    Une manière détournée de dire que le jeu est prévu pour 2016, annonce qu’il fera quelques semaines plus tard lors de la Pax East. Mais la date exacte ne doit pas être balancée aussi facilement. FFXV est non seulement un jeu attendu depuis dix ans, mais c’est aussi le retour d’une licence culte.

    Le 30 mars 2016, au Shrine Auditorium de Los Angeles, se tient une conférence qui vise à montrer l’étendue de FFXV. On est loin de l’ambiance monotone des Active Time Report, et beaucoup plus dans le ton des show à l’américaine. Pendant une heure et demi vont s’enchainer les invités de renom comme Sakaguchi et des doubleurs du cast américain, des trailers exclusifs et un florilège d’annonces comme la série d’animation Brotherhood ou le film d’animation Kingsglaive. Et bien sûr, la date de sortie tant attendue est finalement annoncée.

    Ca sera donc pour le 30 septembre 2016. Tabata met un point d’honneur à respecter la date qu’il s’était fixé deux ans plus tôt. Mais il y a un hic : Final Fantasy XV est le premier de la série à avoir une sortie mondiale en simultané. Et la localisation, c’est quelque chose de long : il faut bien évidemment tout traduire, mais pour FFXV, il y a en plus une localisation intégrale (texte et voix) en anglais, français et en allemand. Plus la date fatidique approche, plus les doutes grandissent. FFXV a beau vouloir se faire beau pour l’E3 2016, l’effet tombe à plat. C’est extrêmement confus, le montage est ignoble, et la musique d’Afrojack dans le trailer dénote avec l’esprit du jeu.

    Dans les coulisses, l’équipe a du mal à s’en sortir avec l’optimisation du jeu. La décision semble inéluctable : il va falloir proposer un patch day one venant corriger de nombreux bugs. Mais qui dit sortie mondiale dit aussi nombre de situation variable, et beaucoup de joueurs n’auront pas forcément de connexion internet et s’en tiendront seulement à ce qui est présent sur le disque. Tabata étudie différentes solutions, comme le fait de proposer deux disques (un avec le jeu, l’autre avec le patch), mais en réalité, il n’y en a qu’une seule de viable. ANNONCE REPORT A deux mois de la sortie, c’est un pari énorme, dont le PDG Yosuke Matsuda n’est pas friand.

    On m’a beaucoup demandé s’il n’y avait vraiment aucun moyen de maintenir la date du 30 septembre. Je leur ai répondu que ce report était indispensable, le jeu n’étant pas fini de mon point de vue. Le P.-D.G. de Square Enix, Yôsuke Matsuda, n’a pas manqué de me faire remarquer que la société allait perdre de l’argent. Des investissements marketing avaient été engagés pour rien, il fallait continuer de payer l’équipe, certains consommateurs risquaient d’annuler leurs commandes… Mais, m’a-t-il dit, “ Si le produit final est meilleur, eh bien faites-le ”. Hajime Tabata

    Ces deux mois supplémentaires vont servir à implémenter le patch dans le jeu et à peaufiner toujours plus le jeu. Mais, finalement, malgré tous ces efforts, ça ne l’empêchera pas d’avoir un patch day one à la sortie.

    Après la sortie

    Final Fantasy sort le 29 novembre 2016, plus de 10 ans après le premier trailer de Versus XIII. Il reçoit des critiques plutôt élogieuses à l’international. En France, jeuxvideo.com lui met 18/20 et le qualifie de hit incontournable, gameblog et son 9/10 le voit comme un jeu imparfait qui laisse une émotion éternelle, et gamekult est un peu plus dur avec un 6/10, le définissant comme le Frankestein du RPG japonais. Quant au succès commercial, il est bien présent : seulement deux mois après la sortie, Square Enix annonce avoir écoulé 6 millions d’exemplaires, la majorité étant en dehors du Japon : là bas le jeu fait plutôt des scores décevant avec 700 000 exemplaires vendus à sa sortie, là où FFXIII était à 1,5 millions. Il dépasse en 2022 les 10 millions d’exemplaires vendus, faisant de lui le deuxième opus le plus vendu de la série derrière FFVII.

    Mais il y a quelque chose qui revient régulièrement dans la bouche des joueurs et des critiques : le jeu semble avoir souffert de son développement chaotique. Comme le dit Philipp Kollar dans son test pour Polygon, « ce jeu de plus de soixante heures n’a pas le temps dont il a besoin pour faire ce qu’il a à faire. » Jason Schrier dans ton test pour Kotaku en arrive plus ou moins à la même conclusion : « FFXV est décousu et désordonné, rempli de problèmes techniques et de choix de scénario malhabiles. ». Alors forcément, des questions se posent et finissent par arriver dans des intervews de Tabata. En 2017, le site Eurogamer lui demande s’il n’aurait pas mieux valu repousser le jeu une deuxième fois, Tabata répond sans détour :

    Le projet durait déjà depuis dix ans. Les projets ont une durée de vie, et on ne peut les porter que jusqu’à une certaine limite. Et, en parlant de limites, l’équipe […] avait déjà largement dépassé les siennes en matière d’endurance et de capacités. Alors si j’avais pris cette pression psychologique pour la remplacer par un nouvel objectif, ça n’aurait pas marché. Certains sont d’avis qu’il y a des choses que nous avons livrées après le lancement du jeu qui auraient dû y être dès le départ. Je comprends cette opinion, mais, physiquement parlant, ce n’était tout simplement pas possible. Hajime Tabata

    Repousser le jeu aurait signifié plus de crunch pour les équipes, qui étaient déjà à leur limite. On ne sait pas exactement à quoi ressemblaient les conditions de travail dans la dernière ligne droite avant la sortie, mais on peut facilement les imaginer. Le crunch est quelque chose de régulièrement dénoncé en Occident, comme on a pu le voir avec The Last of us 2. Mais au Japon, c’est différent. Déjà, la culture du travail est différente, et les enquêtes sur le crunch sont inexistantes.

    Il reste indéniable que FFXV est incomplet à sa sortie. Il manque des pans entiers d’histoire ce qui la rend parfois confuse. Mais comme l’avait annoncé Tabata avant la sortie du jeu, un système de mises à jour va voir le jour pour corriger tous les problèmes du jeu au fur et à mesure. Des mises à jour… et des DLC, inclus dans un Season Pass. Vu sous cet angle, FFXV a tout d’un jeu service, en mettant de côté les microtransactions. Pendant plus d’un an, le jeu va recevoir mensuellement des mises à jour : en février, le niveau passe de 99 à 120, en mars le chapitre 13 est retravaillé pour proposer une route alternative, en juin le modèle tout terrain de la régalia est disponible, en décembre arrive le changement de personnages pendant les combats, etc. Et à côté ça s’ajoute moult collaborations en tout genre, sur lesquelles je ne vais pas m’attarder vu le peu d’intérêt qu’elles apportent. Tout ça mélangé, on a donc un contenu supplémentaire trop mince pour justifier un retour sur le jeu pour ceux l’ayant déjà fini, mais qui améliore l’expérience des nouveaux venus.

    Un mois après la sortie, le nombre de personnes qui avaient fini le jeu […] était très faible. Seulement 30 %. Récemment, nous avons à nouveau vérifié cette donnée, et c’était passé à 60 %. Hajime Tabata

    Et ça va même aller plus loin que de simples mises à jour puisqu’un mode multijoueur va également pointer le bout de son nez. C’est quelque chose dans les cartons depuis longtemps : l’idée germe tranquillement dans l’esprit de Tabata dès 2013. Le plan initial était de proposer un mode coop permettant à quatre joueurs d’incarner chacun un des persos de la bande, mais l’idée est finalement laissée de côté car jugée trop compliquée à mettre en pratique.

    Si nous avions fait cela, le jeu aurait été sans fin. Ils [les joueurs] auraient dû jouer pendant des heures et des heures pour accomplir leur road trip. Nous avons donc dû nous en tenir à un jeu en solitaire. Hajime Tabata

    A la place, FFXV va proposer une campagne spécifique qui permet d’incarner un personnage qu’on crée soit même avec éditeur de personnage et tout le bazar. On fait partie des Lames Royales, un groupe de soldat d’élite présentés dans le film. L’histoire se déroule pendant les dix ans d’absence de Noctis, et change par petites touches le scénario du jeu. Il faut croire que les développeurs aiment le retcon (continuité rétroactive). Côté gameplay, les lames royales ayant les mêmes pouvoirs que noctis, le gameplay est similaire à celui de l’aventure principal. On joue cette campagne accompagné d’autres joueurs puisqu’il s’agit d’un contenu multijoueur, mais il est aussi possible de la faire en solo avec des bots à la place d’humains pour les plus misanthropes. Bien que des mises à jour viennent régulièrement améliorer l’expérience, l’engouement reste relativement restreint. A noter qu’une version PC, appelée édition Royale, sort le 6 mars 2018.

    Quant aux DLC, une équipe commence à bosser dessus dès aout 2016. Le but de ces épisodes, chacun centré sur les compagnons de Noctis, est à la fois de combler les trous du scénario et de proposer des gameplay différents. Le premier épisode à sortir, celui de Gladiolus, doit être développé en peu de temps et raconter une histoire simple. C’est aussi celui dont le gameplay se rapproche le plus du jeu de base, même s’il est beaucoup plus axé sur la défense. De mon point de vue, il n’a pas grand chose d’intéressant à raconter ni à jouer, mais il a au moins le mérite de faire revenir un personnage récurrent des Final Fantasy, Gilgamesh.

    Le deuxième DLC, consacré à Prompto, est autrement plus intéressant puisqu’il creuse les origines du personnage. Parce que, encore une fois, il ne faut pas compter sur FFXV pour étayer plus que ça le fait que Prompto soit le fils d’un proche de l’empereur de Niflheim, l’envahisseur d’Insomnia et cause de tous les troubles de Noctis. Pire encore, cette information n’est même pas dévoilée dans le jeu mais dans un guide officiel – une mise à jour en 2018 rajoute l’info dans la fiche du personnage. Ce qui donne d’ailleurs lieu à une scène surréaliste dans le jeu si on a le malheur de ne pas penser à regarder tout ce qu’il y a autour. Cet épisode vient donc lui aussi combler les trous et donner un peu d’épaisseur à l’histoire qui en avait bien besoin.

    Le troisième et dernier DLC concerne donc logiquement Ignis. Un défi de taille, tant sa personnalité s’efface face à celle des autres. Plus discret, c’est le cerveau du groupe, quelqu’un de plus discret, et son DLC doit donc être l’occasion de le mettre en avant. La première idée qui vient aux équipes, c’est de créer un gameplay basé sur la stratégie, pour aller avec son côté tacticien. Sauf que ce n’est pas la facette de sa personnalité qu’ils veulent mettre en avant, et vont donc créer un gameplay assez nerveux pour accentuer son côté impatient quand il s’agit d’aider Noctis. Et surtout, il faut trouver une justification à sa cécité, encore une fois un énorme pan de scénario passé sous silence dans le jeu principal. L’occasion est aussi toute trouvée pour approfondir le personnage de Ravus, qui n’a pas vraiment eu son heure de gloire jusque là. Mais la vraie particularité de ce dernier DLC, c’est surtout le fait qu’il propose une fin alternative !

    Plutôt que de simplement montrer l’autre face du jeu principal, nous avons voulu faire “ le jeu d’Ignis ”. Montrer son propre destin. L’histoire principale a été conçue comme un jeu menant vers une fin unique, tandis que dans “ Épisode Ignis ”, le joueur devient Ignis et peut se dresser contre ce destin. Hajime Tabata

    Ce n’est pas une fin canonique, mais plutôt une fin alternative un peu plus heureuse. De quoi consoler les fans les plus attristés par la fin originale.

    Un dernier DLC, non compris dans le Season Pass, sort en 2019 et se concentre sur l’histoire d’Ardyn. Une autre victime du développement tumultueux du jeu, tant le scénario en dévoile peu sur son grand méchant. Un problème résolu avec ce nouveau DLC qui se passe 35 ans avant les événements du jeu. Et surtout, ce DLC permet enfin de voir Insomnia de plus près ! Les joueurs peuvent enfin découvrir ce lieu emblématique sans qu’il ne soit en ruine, chose qui n’était pas possible dans l’aventure principale.

    La campagne d’Ardyn est effectivement le dernier DLC, mais il devait initialement en être autrement. A la Pax East en avril 2018, l’équipe annonce une nouvelle fournée de DLC. Le premier est donc centré sur Ardyn, le deuxième doit raconter le combat de Niflheim contre le Mal de la planète du point de vue d’Aranea, le troisième sera centré sur Luna, et le dernier reviendra sur Noctis et concluera la grande histoire de FFXV. Une nouvelle série de DLC sobrement intitulé l’aube de l’avenir, qui ne doit pas seulement enrichir le jeu mais bien le transformer avec une nouvelle fin canonique. Mais comme on commence à en avoir l’habitude avec ce FF au développement si mouvementé, tout ne va pas se passer comme prévu.

    La société a procédé à un important changement de direction et la décision a été prise de réévaluer ces projets, menant à la conclusion que la production d’ “ Épisode Aranea ”, “ Épisode Lunafreya ” et “ Épisode Noctis ” […] sera annulée.

    Mais alors, que faire de tout ces scénarios finalement jeté à la poubelle ? Un produit dérivé, pardi ! Enfin, en quelques sortes, puisqu’ils vont être compilés dans un roman publié le 25 avril 2019. Ecrit par Jun Eishima qui a déjà écrit sur l’univers de FFXIII, et Nier Automata, entre autres, ce livre propose une histoire alternative avec comme point de départ le choix d’Ardyn face à Bahamut. Et quitte à faire des changements, autant y aller franchement : Bahamut devient le grand méchant, Lunafreya revient à la vie, Noctis survit et les deux se marient à la fin.

    Bien évidemment, ce n’est pas le seul puisqu’il va y avoir une ribambelle de produits dérivés. Je ne sais pas si vous vous rappelez de la stratégie polymorphique dont j’ai parlé au tout début de la vidéo, mais là on est en plein dedans. Dès décembre 2013, quand Tabata reprend les rênes de FFXV, l’éventualité d’un film est posée sur la table. Avec Takeshi Nozue, qui a coréalisé Advent Children, ils en viennent à se dire qu’un certain public reste attaché aux Final Fantasy mais n’ont pas forcément le temps de s’y consacrer, et qu’un film pourrait ainsi renouer avec ce public éloigné. J’ai dit tout à l’heure qu’Insomnia a finalement été retiré du début du jeu à cause des propriétés du développement, et bien voilà : l’attaque d’Insomnia a été retirée du jeu pour permettre au film de relater ces événements.

    Au niveau de l’histoire, le jeu et le film auraient dû se retrouver ensemble dans un même produit, mais en vérité, nous n’aurions pas pu tout faire en un seul jeu. […] Je ne pense pas que cela affecte l’un ou l’autre projet. Que vous voyiez l’histoire à travers le jeu ou le film, je ne pense pas que cette décision affecte la façon dont nous la racontons. Hajime Tabata

    Mais le film doit sortir avant le jeu, ce qui laisse aux équipes environ deux ans et demi. Un projet infaisable en si peu de temps, ce qui va conduire Square Enix à faire appel à la sous-traitance. Et pas qu’un peu, puisqu’une cinquantaine de partenaire internationaux vont bosser sur le film. Il y aurait beaucoup à dire sur le travail effectué dessus, notamment visuel, au point même où ça mériterait une vidéo à part entière. Je vais donc m’abstenir, tout en précisant au passage que le casting américain est de haute volée avec des noms comme Aaron Paul, Sean Bean, ou encore Lena Headey.

    Mais c’est pas fini ! A coté de ça, une série animée nommée Brotherhood va voir le jour pour approfondir les personnages principaux. Et aussi un jeu mobile, Pocket Edition, qui reprend globalement le contenu du jeu principal. Et un autre avec Justice Monsters Five, qui est une compilation de petites activités. Et aussi un petit jeu en bonus de précommande, A King’s Tale, ou Regis raconte un de ses souvenirs à son fils, l’occasion de tabasser du monstre dans un hommage aux beat’em up de la vieille époque. Et aussi un jeu de pêche en réalité virtuelle, Monster of the deep. Bref, l’univers de FFXV est sans doute l’un des plus large de la licence, fait assez ironique quand on imagine Nomura être mis de côté par cette même volonté.

    Conclusion

    Quelle drôle d’histoire. Final Fantasy XV est à la fois un échec et un miracle. Un échec qui paraît évident tant le développement a été mouvementé : changement de directeur, changement de moteur, changement de scénario, et même changement de jeu tout court, au point où on en est. Mais c’est aussi un miracle : c’est la première grosse production de l’équipe, c’est le premier monde ouvert pour un Final fantasy numéroté hors MMO, c’est le premier jeu à utiliser le Luminous Engine, c’est la première sortie mondiale simultanée pour la série, et le jeu est malgré tout sorti dans un état fonctionnel. Avec beaucoup de lacunes, c’est indéniable, mais fonctionnel.

    La conclusion de Gamekult me paraît être de bon ton : FFXV est une sorte de Frankestein, ce qui se ressent d’ailleurs largement dans le jeu lui-même. A commencer par son scénario : Si on prend le jeu tel quel, on commence sans savoir pourquoi on est là, on finit par apprendre qu’Insomnia a été attaquée par un autre empire sans savoir pourquoi puisqu’on a le droit qu’à de très courts extraits du film pour nous l’expliquer, puis on se met à la recherche des armes royales mais sans vraiment comprendre en quoi ça peut être utile, puis on se met à devenir copains avec les dieux toujours sans savoir pourquoi, puis gladio se barre, entre temps on discute aussi avec lunafreya par l’intermédiaire d’un chien mais sans la connaitre, on ne comprend pas non plus pourquoi le chancelier de nifelheim nous aide alors que c’est censé être notre ennemi, on fait des donjons inintéressants au possible et l’histoire perd du temps dans des circonvolutions inutiles, bref je vais pas raconter tout le jeu comme ça mais c’est un bordel sans nom. Sans avoir vu le film qui est d’ailleurs excellent, les objectifs que nous donnent le jeu semblent flous, tout autant que le but de tous les personnages qui composent l’intrigue. Pareil pour les absences de nos camarades qui reviennent avec de nouvelles cicatrices ou en étant aveugle sans que ce ne soit jamais expliqué, à moins de faire les DLC. Tabata avait promis un jeu qui serait une seule entité, autant dire que c’est loupé. Vouloir montrer les événements uniquement du point de vue de Noctis force le scénario à passer sous silence des éléments indispensables à la compréhension du scénario. La mort de Régis et la chute d’Insomnia, la mort de Ravus, la transformation de l’empereur : la liste est vraiment longue, et tout ça est invisibilisé. Quant aux DLC, ils apportent certes des éclaircissements, mais je pense que la plupart des gens qui ont fini le jeu avant leur sortie ont pas forcément très envie de s’y replonger.

    Structurellement, le jeu a aussi des problèmes : initialement un monde ouvert de A à Z, la deuxième moitié du jeu devient finalement linéaire. Le trajet en train n’est d’ailleurs pas développé par les équipes de Tabata mais par un sous traitant Tawanais, XPEC. Oui, un pan entier du jeu est créé par un sous traitant, exception faite des questions de scénario. La programmation, la conception de niveau, les graphismes, tout ça est fait en externe. Un choix qui peut se comprendre vu la taille de l’équipe de développement (environ 300 personnes) et l’ampleur du projet, mais qui montre bien à quel point l’ambition peut s’avérer contre productive lorsqu’elle outrepasse la réalité.

    Même du côté du gameplay, c’est pas toujours folichon : y a certes de bonnes idées, mais ça reste pour moi souvent très confus. Le côté aléatoire des invocations donne l’impression qu’on a aucun controle sur elles, le jeu se résume globalement à esquiver et rester appuyer sur une touche pour taper, la personnalisation des personnages est très mince, la conduite est pas très agréable, bref, une kyrielle de problèmes qui rendent les sensations manettes en main très oubliables.

    Et pourtant, qu’il est difficile de détester ce Final Fantasy XV. Parce que cette virée entre potes qui se transforme en tragédie shakespierienne a le don de rendre ses personnages attachants et son monde intrigant. Le passage à l’âge adulte, la prise de responsabilité, le combat contre le destin, tout ça s’insère dans ce qui est à la base un simple road trip. Les photos de prompto, les petites phrases balancées quand on explore, la découverte de nouveaux lieux, les balades en voiture, j’avais l’impression de faire partie de cette bande. Puis d’autres sentiments arrivent : la mort de Lunafreya, l’ellipse de 10 ans, puis cette fin marquante. Quand j’ai vu le générique commencer à défiler, j’étais ému. Le scénario a beau avoir une tonne de problème, j’ai senti que j’avais vécu une histoire qui m’avait touché. Final Fantasy XV a un nombre de défauts bien trop élevé pour être considéré comme un bon jeu, mais on ne peut retirer toute sa sincérité. Pour moi, Final Fantasy XV fait partie des belles imperfections, comme je les appelle : ces oeuvres qui ont des problèmes, mais qui dégagent quelque chose d’unique. En ce sens, ce quinzième épisode est clairement unique en son genre. On peut lui reprocher beaucoup de chose, mais on ne peut nier tout l’investissement des équipes pour aboutir à un jeu bancal, certes, mais rempli de bonnes choses. Nous n’avons pas eu le Versus XIII rêvé de Nomura, mais je pense pouvoir dire qu’on a eu une aventure qui valait le coup malgré tout.

    Sources

    Le livre La légende Final Fantasy XV (version numérique) : https://www.thirdeditions.com/ebooks/286-la-legende-final-fantasy-xv-ebook.html

    La chaine Youtube Final Fantasy XV https://www.youtube.com/@FinalFantasyXV/videos

    Reportage de JV.com sur le développement du jeu : https://www.dailymotion.com/video/x89mb06

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    Sommaire

    1
    Versus XIII
    2
    Final Fantasy XV
    3
    Après la sortie
    4
    Conclusion
    5
    Sources

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