Le label EA Originals, déjà composé de quelques jeux, continue sur sa lancée de jeux aux airs indépendants. Un peu à la manière d’Ubisoft et ses Child of Light et Soldats inconnus, EA dispose d’un lot clairsemé de petits jeux originaux, à l’image d’Unravel, It Takes Two ou encore BulletStorm, entre autres. L’un d’entre eux, Fe, avait laissé un souvenir contrasté aux joueurs. Mais Zoink, loin de dire son dernier mot, revient aujourd’hui avec Lost in Random. Au-delà de sa direction artistique tape-à-l’œil, il faut aussi voir le beau monde présent à l’écriture, notamment Ryan North, scénariste d’Adventure Time et récompensé plusieurs fois pour divers projets. Une écriture qui s’annonce savoureuse, dans un univers proche de ceux imaginés par Tim Burton. Mais Lost in Random a-t-il plus que ça à proposer ?
Dans l’industrie vidéoludique, Lost in Random n’a pas son pareil. À part peut-être Evil Twin : Cyprien’s Chronicles qui remonte à la PS2, rares sont les directions artistiques de cet acabit. Mais si on le compare avec des œuvres en provenance d’autres médiums, la ressemblance avec celles de Tim Burton et Henry Selick devient évidente, notamment L’Étrange Noël de Monsieur Jack, Les Noces funèbres ou encore Coraline. Déjà par ce qu’il raconte : les aventures initiatiques d’un personnage, remettant en cause le monde dans lequel il vit, qui part à la recherche de quelque chose – en l’occurrence sa sœur. Dans le monde d’Aléa, chaque individu doit jeter un dé à l’aube de ses 12 ans pour déterminer son futur lieu de vie. Impaire tombe sur un 6 et doit donc demeurer aux côtés de la reine maléfique. Sa sœur, Pair, se décide à la retrouver après avoir fait d’étranges rêves la concernant. C’est ainsi que débute un conte rempli de bizarreries, d’humour et de péripéties farfelues. Mais on y reviendra.
Les visuels de Lost in Random sont sublimes. Ils ont beau donner un air de déjà-vu tant ils se rapprochent des œuvres citées précédemment et de leur animation en stop motion, leur créativité confère au jeu une identité propre. Sombre et étrange, le monde d’Aléa se divise en six royaumes, en référence aux faces d’un dé classique. Chacun de ces lieux est lié à une thématique particulière, avec par exemple Doubleville où la dualité – physique comme psychique – est à son paroxysme. Les gens bipolaires, les gens avec deux têtes, une ville avec son miroir au-dessus, le maire et eriam, tout va par deux d’une manière ou d’une autre. Troyaume met en scène la rivalité entre les Triplés, qui a conduit à une guerre civile. Ces héritiers du trône se balancent d’énormes beignes par l’intermédiaire d’immenses robots, qui foutent un bordel pas possible. Et il en est ainsi pour chaque royaume. C’est justement ces particularités qui donnent toute son originalité à l’univers du jeu. Les concepts novateurs s’intègrent en plus parfaitement au gameplay. En somme, le cadre se montre aussi brillant que rafraichissant.
Enfin, peut-être pas sur Switch. Les autres versions s’en sortent à la perfection et affichent de belles textures, en plus d’une fluidité à toute épreuve. Mais la console de Nintendo, elle, peine à tenir un framerate constant. Déjà bloqués à 30 lorsqu’il ne se passe rien, les fps chutent au moindre décor un peu fourni, ou dès lors qu’un combat comporte plusieurs adversaires. Ce qui est d’autant plus problématique quand on voit à quel point les environnements sont dévisagés par des textures baveuses, remplies d’aliasing et d’un manque de détail aberrant. Le jeu est tout à fait jouable, et le mode portable permettra de profiter au mieux de l’expérience. Mais à choisir, prenez plutôt la version PC ou celle d’une autre console pour percevoir pleinement l’imagination débordante du studio.
Parce que les développeurs, ils en ont à revendre, de l’imagination. Et ça se voit à travers la jouabilité, notamment celle des combats. Plutôt que de se contenter d’affrontements classiques avec les habituelles attaques légères et lourdes, esquives et parades, Zoink intègre habilement le hasard dans son gameplay et entre de fait en synergie avec l’univers. Très tôt dans l’aventure, Pair rencontre Décisse, un dé doué de parole – incompréhensible par le commun des mortels toutefois – qui va l’aider à vaincre ses ennemis. Ces derniers disposent d’excroissances sur le corps, sur lesquelles on peut tirer avec notre lance-pierre pour récolter du minerai. Minerai qui sera mangé par Décisse, octroyant la capacité de le lancer et de piocher des cartes qui offrent différentes aptitudes et objets. Ça va de l’épée pour tabasser les adversaires, à la potion de soin en passant par des sorts aux effets variés. Sauf qu’elles ont un coût, et que le nombre de cartes utilisables est déterminé par le jet de Décisse – au début de l’aventure limité à un résultat inférieur ou égal à deux.
Ça a l’air compliqué dit comme ça, mais c’est juste parce que j’explique mal. Une fois en jeu, tout s’enchaîne fluidement et les différentes couches de gameplay s’imbriquent parfaitement. Avec tout ça, on se retrouve face à des affrontements efficaces et sympathiques, mais qui oublient d’ajouter un peu de peps dans leurs fondations. Les coups portés manquent de dynamisme et les esquives de précision. La visée n’est pas des plus agréables, et le bestiaire est aussi pauvre que la valeur énergétique d’un concombre. On a beau découvrir de nouvelles possibilités à travers l’étoffement de son deck au fur et à mesure des mondes traversés, l’ennui finit par s’installer à mesure que le jeu s’essouffle. Il peine à renouveler l’intérêt des affrontements, la faute à la répétitivité de certaine des mécaniques. Vous l’aurez compris, l’idée est bonne, et une partie de son exécution l’est non moins partiellement, mais on est loin du saint Graal.
N’en déplaise aux fans de jeux de rôle, déçus face à l’absence de choix de dés plus conséquent – Dévin ou Déhuit n’ont pas vraiment leur place dans l’univers – les autres observeront un système de combat original qui marie à merveille différents concepts. À défaut de toujours bien les appliquer. Malheureusement, le reste ne brille pas par son innovation : on avance le long de couloirs avec une liberté d’exploration limitée. Malgré la présence de collectibles à récupérer ici et là, on reste sur des rails tout au long du jeu. Et c’est d’ailleurs un des points qui m’a le plus surpris lors de ma petite dizaine d’heures sur le jeu. Parce que Lost in Random semblait avoir le profil parfait pour intégrer quelques phases de plateformes, qui auraient permis un peu plus de variation dans la boucle de gameplay. Mais non, le moindre saut exige la pression du bouton A, et basta comme dirait l’autre.
Quelques phases avec un jeu de plateau gigantesque viennent bouleverser une routine trop installée. Elles sont assez simples : lancer Décisse fait avancer un pion géant qui doit être amené au bout du plateau. Certaines cases offrent des bonus comme l’apparition d’une zone où le temps est ralenti ou l’arrêt de l’usure des armes, tandis que d’autres feront surgir des ennemis. Dans les faits, c’est toujours la même chanson que l’on écoute avec la même lassitude. Une bonne idée sur le papier, mais rien qui ne décroche la mâchoire dans la pratique.
Mais tout n’est pas noir, loin de la. Si Lost in Random n’est mécaniquement pas parfait, il en va autrement de son écriture. Dès les premières minutes, on décèle en cette dernière une richesse inattendue. Au-delà de son originalité, l’univers reste cohérent tout en apportant une profusion de bizarreries en tout genre. Rien qu’Unibourg, le royaume où l’aventure commence, montre des maisons en forme de théières, des sortes de robots-araignées géants, et autres extravagances. Chaque royaume dévoile une identité bien marquée, tout autant que ses habitants. Surtout que le jeu conserve un rythme rapide tout au long du voyage. Sa linéarité, malgré les faiblesses évoquées précédemment, lui confère aussi la possibilité de garder le joueur en haleine, impatient de découvrir ce que les développeurs ont bien pu inventer pour la suite. Si le scénario reste classique – un conte initiatique – il est suffisamment bien mis en scène pour surprendre lors des retournements de situation et attendrir pendant les séquences portées sur l’émotion.
Des gens étranges, on va en rencontrer un tas. Du mec à deux têtes au loup anthropomorphe pas rassurant en passant par un bonhomme à trois yeux, chacun possède une fantaisie particulière. Tout comme ce cher marchand, qui se trouve être une boutique physiquement parlant. On ne sait pas si c’est de famille, s’il est né comme ça ou si c’est un choix esthétique, mais le résultat est là. En plus de profiter d’un design atypique et franchement réussi, les personnages bénéficient aussi d’excellents dialogues. Rempli d’humour, Lost in Random aime jouer avec les mots, surprendre le joueur avec des échanges complètement barrés et faire des clins d’œil parfois subtils. Le Narrateur représente à la perfection l’humour du jeu : drôle sans en faire trop, ses interventions prêtent toujours à sourire, quand elles ne font pas tout simplement éclater de rire. Un peu à la manière d’un Immortal Fenyx Rising, mais en plus fin et surtout en beaucoup mieux. Finalement, le seul souci provient du manque de diversité dans le chara design. On rencontre souvent les mêmes têtes, sans raison particulière. Pas forcément dérangeante, l’absence d’hétérogénéité parmi les personnages vient diminuer le sentiment de découverte d’un royaume à l’autre.
Un défaut vite rattrapé par les doublages. D’une qualité impeccable et teintés de naturel, ils renforcent grandement l’attachement aux personnages et l’immersion dans l’univers. Par exemple, les petites intonations du Narrateur confèrent encore plus de force à son humour, déjà réussi à l’écrit. Ceci étant dit, il faut bien prendre en compte que les voix ne sont disponibles qu’en anglais. Mais loin de lui en tenir rigueur, il faut au contraire profiter de ces voix exquises. Et si on regarde plus globalement, l’aspect sonore entier est indéniablement réussi. Les musiques, composées par Blake Robinson (Terraria, The Stanley Parable) rappellent immédiatement celles de Danny Elfman, le compositeur qui accompagne souvent Tim Burton (mais pas que, puisqu’on lui doit entre autres le générique des Simpson). Autant dire qu’elles sont de qualité, et qu’elles embrassent à la perfection l’atmosphère du jeu.