Impossible de passer à côté du phénomène Valheim qui explose tous les chiffres. 5 millions de jeux vendus en quelques semaines, 500 000 joueurs connectés simultanément… Tout le monde en parle, tout le monde y joue, c’est l’ouragan de ce début d’année. Le nouveau Fall Guys ou le prochain Among Us est désormais un jeu de survie dans un univers nordique (pour changer). Devant tant de passion, et à l’instar de tous ceux regardant ça de loin, je me suis demandé quelles étaient les clés d’un tel succès. J’ai donc pris mon clavier et ma souris à 2 mains, et me suis lancé dans l’aventure pour en comprendre les rouages.
Une autre chose que vous n’avez pas pu louper – et si c’est le cas, vous voilà bien en veine : une pandémie mondiale a réduit au strict minimum les rapports sociaux en 2020. Privés de bars, de restaurants, et plus globalement de tout lieu propice aux échanges humains, les êtres sociables que nous sommes se sont rapidement tournés vers des alternatives permettant de préserver ces interactions, ou sinon vers des jeux aux durées de vie rocambolesques. Après le succèsd’Animal Crossing et son souffle de liberté ainsi que ses personnages capitalistes, c’est par la suite Fall Guys et Among Us qui ont été les grands gagnants de 2020 en termes de popularité. Le premier est vite délaissé, malgré les efforts de Mediatonic pour garder le peu de joueurs qu’il lui reste, allant jusqu’à se faire racheter par Epic Games. Le deuxième, quant à lui, conserve une belle aura, alimentée par moult streams Twitch, mais disparaît dans les affres de l’oubli au fil du temps.
Des succès basés sur l’humain. Tandis que Fall Guys permet de vivre Interville en étant submergé par une marée humaine, Among Us, lui, fait de la discussion sa principale mécanique de jeu. Comment expliquer qu’un jeu sorti en 2018 se place au panthéon des réussites vidéoludiques deux ans après, si ce n’est par le manque de contact humain au quotidien ? Un désir de sociabilisation qui aide sans aucun doute Valheim à faire parler de lui. Un jeu en coopération jusqu’à 10, judicieux mélange d’exploration et de construction, attise forcément la soif d’aventure d’un groupe d’amis. Surtout lorsqu’il est au bout du rouleau à force d‘être piétiné par une vague humaine, ou de se dissoudre dans les larmes et le sang autour d’un imposteur. Un jeu qui propose de se serrer les coudes, tout en conservant une certaine liberté d’action et même de style de jeu – on y reviendra – s’offre indubitablement un panel de joueurs immense.
Un tel succès ne peut se résumer à cet aspect multijoueur, puisque les misanthropes peuvent y jouer seuls. On serait tenté de le justifier par son univers viking, une esthétique qui s’impose depuis quelques années comme la nouvelle mode, aux côtés du cyberpunk. God of War, Assassin’s Creed, Northgard, The Banner Saga: de l’action RPG avec un budget colossal au jeu de gestion en passant par le jeu indé narratif, on a droit à du viking à toute les sauces. Une vague qui finira inévitablement par lasser les joueurs, bien qu’ils restent encore prompts pour l’instant à apprécier ce genre d’univers, probablement désireux de retrouver des références à Ragnar Lodbrok – Ragnar aux braies velues de son nom francisé – et croiser Odin au détour d’une plaine brumeuse. Valheim a su trouver le juste milieu et pose son ambiance en utilisant la mythologie nordique, tout en étant suffisamment subtil pour ne pas abrutir le joueur de références à tout-va. Au-delà des noms à connotation nordique, d’un aspect mythologique présent dans les ennemis et les décors, ainsi que de quelques textes disséminés sur la carte, on pourrait tout aussi bien être dans la forêt de Brocéliande ou celle de Fontainebleau qu’on n’y verrait aucune différence, mis à part ces saletés de nains gris.
Mais jouer un Viking, ça explique pas son succès. Se contenter de surfer sur une mode aurait été la pire des erreurs pour Valheim, tant sa catégorie est désormais délaissée à cause d’un nombre trop grand de déceptions. Si certains noms comme The Forest ou Rust peuvent encore sonner comme de douces mélodies, le genre survival dans son ensembleest tombé en désuétude depuis quelques années après plusieurs essais ratés – pour ne pas dire désastreux. Valheim avait donc le champ libre pour s’imposer comme le nouveau ténor, le messie déblayant ce champ de ruines que tous attendaient avec des étoiles dans les yeux et des papillons dans le ventre. Un retour triomphal du genre, autant dans les chiffres que dans les cœurs, appuyé par des avis dithyrambiques sur Steam. On aime tous couper des arbres, cogner de la caillasse à coup de pioche et tuer des sangliers, tout ça pour se construire une maison bancale et se faire un vieux pantalon troué.
L’explication d’un tel phénomène provient bien du jeu en lui-même, et de ses mécaniques. Le premier constat saute aux yeux dès l’installation : le jeu pèse seulement 1 Go, une broutille quand on est habitué à voir des jeux aussi lourds qu’un tacos XL supplément fromage. Un poids plume qui impacte nécessairement les graphismes : excepté la lumière qui est très agréable, les textures ressemblent à celles d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre, à peu près la même époque que celle des animations. Le jeu sauve les meubles à l’aide d’une direction artistique pas vilaine, à défaut d’être originale et pour peu que le joueur se garde d’enlever la profondeur de champ. Mais ce que les développeurs ont bien compris – et on aimerait que d’autres en prennent de la graine, c’est l’importance de l’accessibilité. Grâce à sa légèreté et ses graphismes datés, Valheim tourne sur à peu près n’importe quelle machine. Nul besoin de courir le marathon des RTX 3080. Le ray-tracing c’est pas pour demain, et honnêtement, le jeu s’en passe très bien.
C’est plus facile que la vraie vie. Une fois le choc passé de la création de personnage, vous voilà aux commandes d’un fier Viking dans un monde inconnu, avec un corbeau qui vient vous donner des leçons. Rudimentaires, ces dernières ne vous expliqueront que les bases : c’est à vous de comprendre le monde dans lequel vous êtes, fixer vos objectifs et progresser parmi les dangers qui vous entourent. Et là encore, Valheim surprend : dotée d’une fluidité exemplaire, la progression guide implicitement le joueur dans ce qu’il doit faire pour évoluer, tout en lui laissant l’espace nécessaire pour expérimenter, explorer, rater, recommencer, et finalement réussir. Les néophytes du genre pourront lui reprocher de ne pas être assez dirigiste et les experts de ne pas être suffisamment complexe, mais c’est ce juste milieu qui fait sa force, en proposant une expérience ouverte à tout profil de joueur. Certes, l’ergonomie gagnerait à être améliorée et les mécaniques de survie sont simples (pas de gestion de la soif ni de la faim par exemple, même la mort est assez peu punitive), mais c’est ce qui permet de se concentrer sur le cœur du jeu, à savoir l’exploration et la construction, avec pour cette dernière l’imagination pour seule limite.
Parce que oui, vous allez y passer du temps, à courir partout et à faire mumuse avec des planches de bois. Que ce soit pour venir à bout des 5 boss actuellement présents dans le jeu, améliorer votre équipement, vous construire une jolie maison sur 4 étages ou simplement découvrir de nouveaux biomes, vous ne compterez pas les heures et aurez toujours quelque chose à faire ou un endroit à explorer. C’est là le principal atout de Valheim, qui parvient avec brio à insuffler constamment l’envie d’aller plus loin. Riche en possibilités, la liberté qu’il confère permet à chacun de se fixer ses propres objectifs et de se concentrer sur l’aspect qui lui parle le plus. Dans mon groupe composé de quatre personnes, deux sont plus axés sur l’exploration, tandis qu’un autre préfère construire des bâtiments, et le dernier s’intéresse plus à la gestion des ressources. Une répartition des tâches qui amène un équilibre permettant à chacun de progresser de manière égale en participant à la vie de groupe. À condition, bien sûr, de ne pas passer la soirée à se pousser d’une tour inutilement haute.
Un dernier point et pas des moindres, le statut d’accès anticipé pourrait pousser à la méfiance. Mais tenez-vous bien gentes dames et messieurs, que nenni ! C’est là aussi une des grandes forces de Valheim. Le jeu est stable, et mis à part un bug – d’ores et déjà résolu – qui supprimait votre personnage si le jeu se fermait de manière inopinée (une méthode autrement appelée « Alt + F4 » dans le milieu), aucun bug majeur ne vient ternir l’expérience. Anomalie dans le monde des jeux en accès anticipé, le titre bénéficie d’un suivi exemplaire : le peu de bugs qu‘on croise ici et là sont corrigés tellement vite qu’on a à peine le temps de s’en plaindre. Un exploit pour l’équipe d’Iron Gate, composée de cinq personnes seulement. Comme quoi, un jeu indépendant en accès anticipé peut s’avérer plus stable et moins cassé qu’une production AAA (non non, je ne parle absolument pas de Cyberpunk 2077 ou d’Assassin’s Creed).
Vous voilà désormais avec les clés en main pour comprendre l’engouement général pour Valheim. Si vous n’avez pas d’amis qui vous ont trainé dessus, je ne peux que vous conseiller de l’essayer, surtout si vous avez 16€ qui trainent. Bien entendu, le jeu se pare aussi des défauts inhérents au genre, en plus de graphismes pas forcément reluisants et une ergonomie perfectible. Mais ces défauts me semblent dérisoires face au plaisir ressenti une fois investi dans le jeu. Ce sentiment d’aventure et de liberté, couplé aux restrictions sanitaires actuelles qui entravent la libre circulation, apporte une satisfaction immédiate. À plusieurs, le titre offre une dimension sociale plus que plaisante, avec la création et la gestion d’un village, l’exploration où le sens d’orientation de certains amène des détours sans fin, les débats interminables sur le prochain objectif, et encore d’autres discussions parfois stériles, mais souvent drôles. Un jeu qui fait du bien – sauf quand vous tombez sur des moustiques pour la première fois – et qui le fait bien.