Le jeu indé qui faisait rêver depuis son annonce arrive enfin. Avec ses dates de sortie repoussées et ses trailers qui montraient un monde incroyablement beau dans sa direction artistique, le studio Shedworks (composé de seulement deux personnes !) a su intéresser les joueurs, et même leur donner envie. Malheureusement, la démo en a refroidi certains, et le futur gros hit de la scène indépendante a perdu de son aura. Maintenant qu’on peut enfin mettre les mains dessus, qu’en est-il ? Sable remporte-t-il son pari ?
On l’attendait au tournant sur sa direction artistique, avec ses trailers qui faisaient rêver. Et aucun doute là-dessus, Sable remporte son pari haut la main. Avec ce cell-shading proche des BD de Moebius, les grandes étendues désertiques puis les complexes futuristes remplis de tours vertigineuses sont un véritable régal pour les mirettes. On s’émerveille à chaque découverte, et jamais on ne se lasse de ces panoramas. Car si on était en droit de douter quant à l’apparition d’une certaine monotonie à force de traverser des décors visuellement similaires, il n’en est rien. Les zones ont toutes une identité bien marquée, avec des environnements différents pour chacune d’entre elles. Bon, c’est sûr, la palette de couleur reste dans les mêmes tons et il ne faut pas s’attendre à tomber sur une jungle luxuriante ou une ville enneigée. Mais il y a toutefois bien des surprises à découvrir.
C’est en grande partie grâce à l’univers du jeu que l’on doit ces variations. Par exemple, il n’est pas rare de croiser des épaves de vaisseaux et des squelettes d’animaux de la taille d’une montagne. La construction du monde est pensée pour le rendre crédible, et c’est assurément réussi. Ce qui nous entoure semble avoir un vécu lointain, et ce n’est que par bribes ici et là qu’on en apprend au fur et à mesure de nos pérégrinations. Tous ces débris, ces IA qui relatent les derniers instants d’un équipage, ces objets technologiques d’une époque révolue nous racontent l’histoire d’un monde mystérieux. Et je crois bien que l’atmosphère du jeu doit beaucoup à cette narration environnementale. Il y a aussi toutes ces coutumes, tous ces lieux empreints d’histoire, ces peuples nomades et sédentaires qui en disent long sans jamais trop en dévoiler.
Pour moi – et là, c’est une bonne grosse dose de subjectivité, vous en faites ce que vous voulez – Sable dégage une ambiance poétique similaire à Journey. Chacun en aura une conception différente en fonction de sa sensibilité, mais voir ces grandes étendues désertiques, ce voyage initiatique calme et reposant, entraîné par de petites musiques chaleureuses, me rappelle ces longues glissades apaisantes dans l’œuvre de Jenova Chen. Et d’ailleurs, en parlant de musiques, il est à noter qu’elles accompagnent à la perfection l’atmosphère du jeu. Les compositions du groupe Japanese Breakfast nous emportent dans ce monde futuriste, tout en restant suffisamment discrètes et bien placées pour ne pas prendre trop d’espace.
Si l’univers intriguera le joueur curieux, il en va autrement de l’écriture. Les dialogues ne sont pas dépourvus de bonnes idées, avec notamment la protagoniste qui sert de narrateur, donnant une perspective différente aux interactions. Mais que ces conversations sont plates ! Les divers personnages rencontrés manquent tellement de personnalité que j’en venais à esquiver les conversations facultatives. Les objectifs de quêtes sont tous plus classiques les uns que les autres, et n’apportent vraiment rien de passionnant. Surtout qu’à l’heure où j’écris ces lignes, la version française n’est pas encore disponible – elle a été annoncée pour fin 2021 – et qu’il faut un niveau assez costaud en anglais pour tout capter. On est heureusement assez loin d’un Disco Elysium par exemple, mais quand même. Fort heureusement, l’univers et l’exploration se suffisent à eux-mêmes pour emporter le joueur.
Le plus gros problème de Sable réside néanmoins dans sa technique. Si sa direction artistique est un pur régal, elle n’en reste pas moins partiellement gâchée par de nombreuses saccades. Les images par seconde aiment onduler en parallèle des mouvements du véhicule à travers les dunes et conservent une certaine inconstance, quel que soit le décor. Et même ma config pourtant costaude (RTX 3080, 32 Go de ram, Ryzen 7 3800X, installé sur un SSD) n’a rien pu y faire, malgré l’abaissement des paramètres graphiques au strict minimum.
Visuellement parlant, les défauts sont peu nombreux mais on peut tout de même constater un certain clipping, et surtout des changements brusques de luminosité qui surviennent en fonction de l’angle de la caméra. En parlant de caméra, elle s’avère vraiment crispante par moment, notamment lors de l’exploration où elle aime s’imposer malgré notre volonté de voir où on met les pieds. Rajoutons à cela des bugs de collision et une physique à coucher dehors, et on obtient une expérience parfois frustrante. S’il ne fait aucun doute que ces soucis d’optimisation seront résolus à l’avenir, ils restent pour le moment problématiques.
Fort heureusement, ces légers défauts n’entravent pas le plaisir ressenti lors de l’exploration, ou du moins ils ne l’entachent que partiellement. L’inspiration de Shedworks s’affiche clairement dès les premières minutes : à peine la première falaise rencontrée, on sait qu’on tient là un Zelda : Breath of the Wild. L’identité de Sable est unique, mais la base de son gameplay est une réplique identique à celui du jeu de Nintendo. Le personnage principal peut en effet escalader à peu près n’importe quel élément du décor, excepté la coque des vaisseaux. Dès lors qu’il sprinte ou s’accroche à une surface, une barre d’endurance apparaît, et une fois au bout c’est la chute assurée.
Comme dans Zelda BOTW, le sentiment de liberté qui découle de cette mécanique est colossal. Et ce n’est pas la bulle qui permet de planer et rappeler au passage le paravoile qui me fera penser le contraire. Les seules barrières à l’exploration de ce monde sont les limites naturelles, à savoir d’immenses montagnes. D’autant plus qu’il existe malgré tout une progression dans le jeu, puisqu’il est possible d’augmenter sa barre d’endurance en collectant des chums, des petites créatures qui oscillent entre le mignon et l’étrange. Il est indéniable que ce sentiment de liberté octroyé par une exploration seulement limitée à notre curiosité et la barre d’endurance colle parfaitement avec l’ambiance du jeu et la quête initiatique du personnage principal.
Mais à part se promener, qu’est-ce qu’il y a de beau à faire ? Eh bien, déjà, il y a des sortes de mini-donjons, quelque peu similaire dans le principe aux sanctuaires dans Zelda BOTW. Alors attention, en termes de mécaniques, ils n’ont rien à voir et ne demanderont qu’un peu de réflexion et beaucoup d’escalade. Malgré leur simplicité et le manque d’originalité dans leur exécution, ils viennent néanmoins briser une certaine routine qui s’installe peu à peu à force de vadrouiller.
Pour le reste, ne vous attendez pas à affronter des hordes de monstres enragés. Sable ne dispose d’aucun combat, aucun ennemi ne viendra jamais vous barrer la route. Et ce n’est pas plus mal : la proposition de Shedworks se concentre essentiellement sur l’exploration. Le voyage initiatique du personnage principal est le cœur du jeu, avec ses qualités et ses défauts. Si ça peut être considéré comme un problème pour certains, ce manque d’activité donne pour moi au jeu une sorte d’aura, une identité qui ne cherche pas à en mettre toujours plus partout. Dans une industrie où la taille du monde et les heures de jeu superficielles deviennent un argument marketing, Sable souffle un vent de fraîcheur par sa simplicité et son ambiance relaxante.