En 2020 sortait Call of the Sea du jeune studio Out of the Blue. Un jeu à l’ambiance pas du tout lovecraftienne, mais qui traitait pourtant des mêmes thématiques. La narration était intelligente, les énigmes bien pensées, bref un excellent jeu. Autant dire que j’attendais American Arcadia avec impatience, et à raison.
Imaginez un monde dans lequel Walt Disney aurait eu la brillante idée de créer une ville uniquement dédiée à la téléréalité. Imaginez une réalité alternative où Walt Disney aurait acheté des milliers d’hectares pour y construire un lieu « utopique » où les habitants ne savent pas qu’ils servent à divertir des millions de personnes. Alors, imaginez ce qu’il pourrait se produire si un groupe de hackers décidait de dévoiler les terribles secrets qui se cachent à Arcadia.
C’est dans ce cadre peu réjouissant que se déroule l’histoire de Trevor Hills et Angela Solano. Le premier vit paisiblement sa petite routine à Arcadia : Lever à 7h30, saluer le voisin en passant, travailler jusqu’à pas d’heure puis rentrer et regarder la télé. Une vie trop tranquille au goût des spectateurs, le rendant presque invisible au sein de la téléréalité. Vous savez ce qu’on fait aux gens qui ne font pas d’audimat ? On les envoie en vacances, paraît-il – ces fameuses vacances dont on ne revient jamais –. Tandis que la seconde travaille chez Walton Media, l’entreprise qui gère les citoyens vivant dans ce lieu faussement paisible. Sauf qu’elle n’est pas une simple employée, elle est aussi membre d’un groupe de pirates cherchant à dévoiler la vérité au monde entier et aider ces pauvres âmes enchaînées à un audimat sans le savoir.
Deux points de vue pour deux gameplay différents. Les phases avec Trevor auront des allures de cinematic platformer : progresser toujours plus dans une fuite en avant, dans une vue 2,5D avec moult poursuites et obstacles à franchir. Des caisses à bouger pour monter dessus, des phases où la discrétion est de mise en restant dans l’ombre, des sauts millimétrés mais pas trop non plus. Inside ou Little Nightmares au choix, pas à leur meilleur mais assez proche, le côté horrifique en moins. Du côté d’Angela, une vue FPS avec des énigmes à résoudre. Généralement simples, elles sont suffisamment diversifiées pour ne pas s’ennuyer.
Prises séparément, ces séquences sont bonnes sans être mémorables. Mais lorsqu’elles sont mises côté à côte, elles insufflent un rythme haletant à American Arcadia. Grâce à des transitions fluides, on alterne entre l’un et l’autre et on ne s’ennuie jamais. Parce qu’avoir seulement l’un ou l’autre pendant les 7h que dure le jeu aurait probablement amené une forme de redondance, une difficulté à alimenter l’intérêt du joueur autrement que par le scénario. Là, avoir ces deux gameplay réussis rend l’expérience d’autant plus agréable qu’elle donne presque l’impression d’avoir deux jeux en un. Et cerise sur le gâteau, ça leur arrive de se mélanger : plusieurs séquences avec Trevor utilisent les capacités de hacking d’Angela pour ouvrir une porte, allumer la lumière, ralentir nos poursuivants, en somme tout ce qui est bon pour progresser sans embûche. Et c’est là où American Acardia brille le plus, lorsqu’on contrôle Trevor avec le stick gauche et la caméra salvatrice avec le stick droit.
Pour autant, quelques réserves sont à émettre. La plus importante réside sans doute dans l’absence de tension, élément lié à la simplicité du gameplay. Lors des phases où on incarne Trevor, 80% du gameplay consiste à avancer et sauter. Ce qui n’est pas un mal en soi, mais le devient lors des courses poursuites où on garde généralement une longueur d’avance sur nos poursuivants. Même chose du côté d’Angela – excepté une séquence bien spécifique qui exige d’être réussie dans un temps imparti – qui est beaucoup trop facile dans l’ensemble. Ce qui est d’autant plus dommageable que Call of the Sea avait d’excellentes énigmes. Je m’étonne moi-même de formuler ce souhait, mais des séquences d’infiltration aurait rajouté de la tension et de la logique à certains événements. Parce que nous demander de nous infiltrer dans un complexe « hautement sécurisé » sans jamais croiser un seul garde, c’est au mieux étrange, au pire totalement incohérent.
Cette facilité déconcertante sert probablement à conserver une certaine fluidité dans le rythme. Parce que, de son côté, la narration est très efficace : on est rapidement embarqué dans l’univers et on reste captivé jusqu’à la dernière seconde. Les personnages sont attachants, Arcadia est une ville mystérieuse, les enjeux sont clairs et bien établis dès le début. L’écriture possède ces petites pointes d’humour parfaitement distillées qui confère à l’histoire une tonalité parfaite : le sérieux d’un Truman Show et le second degré d’un Arrête-moi si tu peux. Humour parfaitement retranscrit par le doublage de très grande qualité : Yuri Lowenthal, Cissy Jones, Krizia Bajos et les autres comédiens de doublages incarnent complètement les personnages et les rendent vivants. Mélangé à la magnifique direction artistique pleine de couleurs dignes des années 70 et la mise en scène surprenante à plus d’un égard, la forme se mélange au fond dans une osmose quasi parfaite. À travers sa sublime mise en scène et son scénario, American Arcadia ne laisse pas l’ombre d’un doute quant à ses inspirations. Des classiques du cinéma comme Truman Show et Matrix, mais aussi vidéoludiques commme Batman Arkham Asylum et Inside. Des inspirations à la hauteur d’un hommage, tant elles sont visibles, mais avec suffisamment de distance pour ne pas altérer le récit.
Récit qui, d’ailleurs, n’hésite pas à faire un triste constat sur notre époque. La critique sous-entendue dans American Arcadia sur la société de divertissement est limpide, et particulièrement adaptée à notre époque. De mémoire, c’est le premier jeu vidéo qui critique des plateformes comme Twitch aussi intelligemment. J’ouvrais cette critique avec Walt Disney qui n’existe pas dans cet univers, mais comment ne pas faire le rapprochement avec Walton Media ? Tout est transparent et facilement applicable au monde réel. Une critique trop peu entendue de nos jours, où l’écologie et la triste domination du consumérisme devraient être au centre des considérations. J’irais même jusqu’à dire qu’American Arcadia reste un peu timide et ne va pas assez loin dans sa critique, tant le sujet est vaste et critiquable de toutes parts. Cependant, la fin est vraiment étonnante et d’un réalisme troublant, ce qui lui confère certes un goût doux-amer, mais dépeint d’autant plus avec brio la société dans laquelle nous vivons. American Arcadia n’est pas un sans-faute sur le fond, mais ce qu’il fait, il le fait bien. Et c’est ça le plus important.