J’avais beaucoup aimé Reigns. Parce qu’avec un concept tout bête, il réussissait à raconter une histoire et créer une immersion totale. Alors quand le studio à son origine, Nerial, a annoncé un jeu porté sur la triche se déroulant en France au XVIIIe siècle, j’étais forcément intrigué. Et autant le dire tout de suite : je n’ai pas été déçu.
On a tous déjà entendu parler de petites combines qui passent bien en soirée. Des tours qui ressembleraient presque à de la magie. Et bien, Card Shark propose de les apprendre et de les utiliser à travers des mini-jeux dans des parties endiablées. Dans cette France du XVIIIe siècle, on incarne un jeune muet travaillant dans une auberge qui rencontre fortuitement le comte de Saint-Germain, un vieux de la vieille dans le domaine de la tricherie. Ce bon comte va donc nous embarquer dans une aventure rocambolesque pour découvrir le fin mot sur une conspiration nommée « les douze bouteilles de lait » qui impliquerait le roi Louis XV lui-même.
Et avant d’approfondir la critique sur le gameplay, parlons du cadre. Parce que Card Shark est certes un jeu fondé entièrement sur son concept, mais il l’habille si magnifiquement qu’il serait criminel de ne pas élaborer un peu plus sur le sujet. Pour raconter son histoire, le jeu bénéficie d’une écriture totalement loufoque : les dialogues sont souvent drôles, les vannes fusent et côtoient l’absurde. Au-delà de la curiosité toujours grandissante de voir à quoi ressemblera la prochaine tricherie, le scénario en lui-même et les personnages donnent eux aussi envie de découvrir la suite des événements. Déjà, parce que les protagonistes rencontrés sont la plupart du temps hauts en couleur. Si les personnages fictifs se mélangent avec les personnages historiques comme Voltaire, ils sont tous dotés de répliques succulentes. Et puis, bien sûr, comprendre ce qui se trame derrière ce fameux complot donne une justification plus que bienvenue à ces pérégrinations dans toute la France, et même hors de ses frontières.
Bien sûr, comment ne pas parler du comte Saint-Germain, celui-là même qui nous initie à la tricherie ? Le comte est un personnage énigmatique, qui semble toujours avoir un coup d’avance — ou parfois, beaucoup de chance. Personnage historique ayant réellement existé (et dont les aventures extravagantes ont donné lieu à de nombreuses légendes), il est ici dépeint comme quelqu’un de futé mais pas vraiment honnête. La rencontre avec le personnage principal en est le meilleur exemple : alors que vous n’êtes qu’un serveur dans une taverne miteuse à Pau, une mauvaise partie de cartes se conclut sur la mort de votre opposant. Meurtre dont vous êtes rapidement accusé, vous obligeant à fuir le plus vite possible. C’est à ce moment que le comte de Saint-Germain vous propose son aide, qui, en réalité, cache plutôt la création d’un partenariat lui permettant d’affûter ses techniques de triche. Voilà le genre d’homme qu’il est, ce qui nous force à le suivre dans des aventures riches en rebondissements.
Et puis, comment ne pas parler de la direction artistique de toute beauté ? Que ce soit au niveau visuel ou sonore, tout dans Card Shark est un plaisir sensoriel. L’esthétique 2D des décors et des personnages est tout bonnement magnifique grâce à ses couleurs chatoyantes. L’ambiance dépeinte de cette vieille France, à l’aide de à des tonnes de détails, donne un cachet particulier au jeu, comme ce lustre doté de dizaines de bougies qu’il serait en réalité impossible à accrocher — ou peut-être que je ne vais pas assez souvent chez des gens riches. La musique, composée par Andrea Boccadoro, est elle aussi somptueuse et donne toujours plus d’impact à cette ambiance si singulière.
Maintenant, intéressons-nous plus en détail au gameplay du jeu. Dans Card Shark, vous vous baladerez de ville en ville pour escroquer les gens du coin et faire avancer l’histoire. C’est généralement lors de ces voyages que le comte Saint-Germain vous expliquera la nouvelle technique qu’il compte mettre en place, et c’est donc ce qui sert de tutoriel. Chaque mini jeu utilise soit de la réflexion, soit des QTE. Par exemple, le premier que l’on apprend consiste à verser du vin dans l’adversaire en inclinant le joystick vers la gauche, et profiter de ce laps de temps pour mémoriser la carte la plus forte de l’adversaire. Une fois fait, on passe un coup de chiffon dans un certain sens, ce qui détermine le symbole adéquat donné au comte. Dans d’autres, il faudra retenir des combinaisons ou réussir à appuyer sur une touche au bon moment.
Et c’est là où se trouve selon moi ce qui est à la fois le principal intérêt et le plus gros problème du jeu : apprendre de nouveaux trucages s’avère passionnant mais ce sont des plaies dans leurs exécutions. Parce que ce n’est pas un jeu de cartes : tout le gameplay est basé sur la triche et uniquement là-dessus. On arrive à une table, on met en place notre mauvais tour sous la surveillance croissante de notre adversaire — qui peut aller jusqu’à nous tuer s’il découvre le pot aux roses — et on part une fois ses poches vides. Alors, forcément, c’est toujours un plaisir d’en apprendre plus et de comprendre des techniques utilisées dans la réalité par des magiciens. On sent une progression à travers la technicité des tactiques mises en place au fur et à mesure de l’aventure et on se prend vraiment au jeu.
Mais ça a aussi ses déconvenues. Déjà, parce que les tutoriels s’épaississent eux aussi en fonction de la difficulté et deviennent peu à peu incompréhensibles. Lorsque l’on parle de difficulté, tout est affaire de sensibilité et d’expérience, il est donc loin d’être aisé d’estimer si vous aussi, vous allez avoir du mal à réussir convenablement à tricher sans être vu. Mais pour ma part, j’ai été au bout d’un moment dépassé et j’ai dû passer le jeu en facile pour avoir des aides et ainsi ne pas perdre toutes mes piécettes durement acquises. D’ailleurs, petit twist intéressant, la mort du personnage suite à une défaite n’incarne pas la fin de la partie : on tombe nez à nez avec la faucheuse. Cette dernière, toujours écrite dans un style succulent, offre une résurrection si on a l’argent nécessaire ou en cas de victoire dans un affrontement aux cartes. Par contre, capituler contre elle efface de manière permanente la sauvegarde. Donc autant tenter le tout pour le tout, surtout qu’il n’est jamais très difficile d’avoir l’ascendant sur elle.
Mais dans le monde des vivants, c’est autre chose. Les techniques les plus avancées s’appuient sur celles apprises précédemment. Elles demandent donc de mémoriser les bases pour ensuite les complexifier, et c’est là où Card Shark m’aura donné le plus de mal. Car les tutoriels pas toujours clairs en plus des dizaines de tours à connaître par cœur, augmentent drastiquement la difficulté. Si le plaisir de jeu est constant, il n’en reste pas moins compliqué de l’apprécier à sa juste valeur à cause de ce manque de clarté.