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  • Test Essays on empathy : l'histoire d'un studio

    Par DonBear
    Publié dans Tests
    26 mai 2021
    6 min de lecture
    Test Essays on empathy : l'histoire d'un studio

    Deconstructeam est un studio qui aime innover. On en voyait déjà les prémisses dans Gods Will Be Watching, leur premier titre commercialisé. Il associait intelligemment des éléments de roguelike avec une forte composante narrative. Mais c’est leur chef-d’œuvre, The Red Strings Club, qui démontrera toute l’étendue de leur maitrise. Magnifiquement écrit, mettant en scène des personnages incroyablement attachants, tout en essayant d’introduire des phases de gameplay originales au service du récit, le titre fait aisément partie de mes jeux cyberpunk favoris. Alors forcément, lorsque j’ai appris la sortie de Essays on Empathy, une anthologie des jeux non commerciaux de l’équipe, je n’ai pas hésité une seconde à me le procurer. Je ne savais pas où je mettais les pieds, mais je savais que je ne serais pas déçu. Et je dois bien avouer que la collection m’a surpris, à plus d’un niveau.

    Une qualité inégale

    Ainsi, la quasi-totalité des jeux non commercialisés de Deconstructeam est présente, de leur tout premier à leur dernier en date, créé spécifiquement pour cette collection. Chacun d’entre eux explore une thématique ou une mécanique mise en avant par le gameplay. Ce qui ne les empêche d’avoir au moins un aspect en commun : leur côté expérimental. Tous les jeux de la collection, excepté le dernier, proviennent de game jam, des évènements de quelques jours où des équipes se réunissent pour créer un jeu autour d’un thème. Forcément, ce sont des expériences courtes – comptez entre 30 et 90 minutes pour venir à bout de chaque jeu – construites à partir d’un aspect spécifique. N’espérez pas un système de sauvegarde ou des aventures grandiloquentes, mais plutôt sur des conceptions astucieuses. Se trouvent d’ailleurs dans le lot Zen and the Art of Transhumanism et Supercontinent Ltd, connus des fans de The Red Strings Club, puisque ce dernier a été imaginé à la suite de ces deux titres.

    Essays on Empathy Screenshot

    Qui dit ludographie dit nécessairement qualité inégale – excepté pour la musique, composée par Paula “Fingerspit” Ruiz, qui s’avère d’une justesse exemplaire tout du long. Le premier par exemple, Underground Hangover, est celui qui m’a le moins captivé. Le principe est simple : on y joue un mineur échoué sur une planète qui doit récupérer des matériaux pour réussir à s’échapper. Pour se faire, il faudra descendre profondément dans des souterrains, où l’on pourra s’aider d’un grappin. À défaut d’être novatrice, l’idée s’avère intéressante sur le papier, mais le devient beaucoup moins dans la pratique. Malgré la présence d’améliorations des capacités du personnage et l’envie de découverte, le manque de renouvellement dans le gameplay et l’absence de narration empêchent le joueur de s’investir totalement. Mais d’autres, comme Eternal Home Floristry, font preuve d’une certaine originalité et d’une indéniable maitrise de la narration. Dans celui-ci, on incarne un tueur en série qui se réfugie chez un fleuriste. Sa relation avec ce dernier, son évolution, et les événements lors de l’aventure sont particulièrement bien écrits et emportent le joueur dès les premières secondes. La principale mécanique de gameplay – choisir des fleurs pour composer un bouquet en fonction de leur signification – apporte une poésie bienvenue dans ce monde de brutes, à défaut d’être exaltante. Mais je pense que si vous êtes en train de lire ces lignes, vous avez bien compris qu’on n’a pas à faire ici à des titres reposant sur un gameplay nerveux.

    Essays on Empathy Screenshot

    Pour en revenir à la collection, on sent nettement un avant et un après The Red Strings Club. Que ce soit dans l’écriture, la mise en avant d’une mécanique de gameplay ou la corrélation entre les deux, tous ces éléments s’améliorent à chaque nouveau jeu. Il en va de même pour les thématiques choisies et leur importance : Deconstructeam livre des œuvres de plus en plus personnelles, mises en valeur par une jouabilité au service de la narration. Je pense en particulier à Behind Every Great One et De Tres al Cuarto. Deux excellents jeux qui réussissent avec brio à aborder des sujets pourtant pas faciles. Le premier raconte l’histoire de Victorine, une femme au foyer, et son mari Gabriel, un peintre à l’égo sensiblement démesuré. De déconvenues en mésaventures, la situation ainsi que le stress de Victorine va empirer, jusqu’à ce que… à vous de découvrir la suite. Un fardeau subtilement mis en scène, avec un jeu de couleurs travaillé et des angles de caméras intelligents, qui se rapprochent progressivement, donnant par la même occasion une sensation de claustrophobie. Le deuxième raconte l’histoire de Garza et Bonachera, deux comédiens homosexuels qui tentent de percer dans le monde fermé de l’humour. Construit comme un deck-building, le jeu se déroule en deux phases : les spectacles, où l’on utilise des cartes qui représentent la viabilité de nos punchlines, et les soirées plus intimes, l’occasion de développer des thématiques plus sérieuses comme l’homophobie ou le rapport humain à la réussite. Malgré des blagues assez nulles, le jeu est bourré de bonnes idées et réussit à emporter le joueur dans son récit.

    Essays on Empathy Screenshot

    À noter par ailleurs l’absence de Interview with the Whisperer. Dans une interview donnée à screenrant, Deconstructeam le justifie ainsi :

    Interview with the Whisperer n’est pas là parce qu’il utilise un serveur de chatbot, nous devons payer environ 20 dollars par mois pour maintenir ce vieil homme en vie. Puisque, finalement, nous ne voudrons pas payer la maintenance de ce vieil homme pour toujours, nous ne l’incluons pas ici.

    Un choix parfaitement justifié donc, surtout pour un studio qui ne roule pas sur l’or. Si jamais vous êtes curieux, le jeu est disponible sur la page itch.io de Deconstructeam. Cet aparté me permet de revenir sur la gratuité des jeux présents dans la collection sur itch.io. Pourquoi dépenser 11 € dans ce cas ? Au-delà du fait qu’un jeu inédit a été ajouté – et qu’il est seulement disponible dans cette anthologie –, et qu’il apporte bien plus que les jeux en eux-même, se procurer Essays on Empathy est aussi un message envoyé aux développeurs indépendants. On a souvent tendance à l’oublier, mais ce sont les ventes de jeux qui permettent aux développeurs de rempiler pour leur prochaine idée. Le meilleur moyen de montrer à un studio de développement qu’on aime son travail, c’est de le soutenir en l’achetant (et sans passer par le marché gris, du style Instant Gaming ou G2A).

    Deconstructeam et son histoire

    Plus qu’un jeu vidéo ordinaire ou une simple suite de petits jeux, c’est surtout l’évolution de Deconstructeam qui nous est décrite à travers cette collection. Chaque jeu est accompagné d’une galerie comprenant des story-boards et autres documents, et surtout de vidéos. Dans ces interviews, Jordi de Paco, Marina González et Paula “Fingerspit” Ruiz délivrent leurs pensées sur l’œuvre associée, tout en abordant au passage une pléthore de sujets. Ils discutent notamment de leur processus de création, de gameplay, de game design, de leurs doutes, d’inspiration, etc. Ces échanges donnent un aperçu des difficultés rencontrées et octroie une meilleure compréhension des problématiques axuquelles font face les développeurs lors de la création d’un jeu. Par exemple, Fingerspit raconte pour Eternal Home Floristry qu’elle n’avait pas d’inspiration et n’arrivait pas à composer, et était coincée dans un sentiment effroyable de frustration et de déception. Surtout avec la limite de temps imposé par le format d’une game jam, qui rajoute un stress non négligeable. Une difficulté qu’on aurait jamais pensé possible, tant le résultat est d’une beauté enivrante. Toutes ces petites anecdotes, que le trio livre à cœur ouvert, permettent d’empathiser avec eux et de voir leurs créations sous un autre angle, plus humain.

    Ils discutent aussi de sujets assez peu abordés mais pourtant cruciaux dans la création, comme la barrière de la langue. Deconstructeam est un studio espagnol, qui propose des jeux narratifs, soit généralement des jeux avec beaucoup de texte. L’anglais n’étant pas leur langue natale, leur compréhension et leurs capacités à raisonner dans la langue de Shakespear est forcément moindre qu’un natif anglais ou américain. Et comme l’explique Jordi de Paco, cela lui a déjà posé problème à plusieurs reprises lors de l’écriture. Mais s’ils parlent de leurs problèmes, ils abordent aussi des choses positives, comme leur relation avec leur éditeur, Devolver. Ce dernier a beaucoup aidé le studio et l’a même soutenu dans ses moments difficiles, prouvant ainsi leur capacité à épauler les développeurs qu’ils prennent sous leur aile. Devolver, au-delà de son image un peu barrée, semble être un éditeur à l’écoute et réellement impliqué dans les jeux qu’ils décident d’éditer.

    Essays on Empathy Screenshot

    Mais ils abordent aussi des sujets plus graves et plus personnels. Fingerspit parle par exemple de sa transidentité et des difficultés que ses choix ont engendrées. Elle aborde aussi le fait qu’elle ne connaissait aucune autre personne dans sa situation, l’isolant dans des questionnements qu’elle ne pouvait partager. Un sujet important pour le trio, qui en parle avec sincérité. Ils parlent aussi de dépression, un sujet délicat mais qui est abordé avec beaucoup de recul et d’humanité. D’ailleurs, c’est dans la la dernière vidéo – celle liée à Des Tros – qu’ils parlent le plus le cœur ouvert, notamment de leur burn-out, de leur rapport au confinement, et de tout un tas de sujets pas très joyeux. Mais c’est justement cette franchise qui rend la proposition d’autant plus agréable, car elle permet de vraiment comprendre le parcours de l’équipe et d’ainsi avoir une meilleure lecture de leurs œuvres.

    Essays on Empathy Screenshot

    Points positifs


    L'histoire d'un studio à travers ses œuvres
    Une musique incroyable
    Une vision artistique mise en avant
    De Tres al Cuarto
    Des expériences très différentes
    Une proposition personnelle

    Points négatifs


    C'est très court
    Peu de surprises
    Plus un concept qu'un jeu
    À réserver aux fans de Deconstructeam

    7
    C'est chouette
    Essays on Empathy est bien plus qu'une anthologie de jeux : c'est l'histoire de Deconstructeam racontée par son équipe. Ce qu'on retient après en avoir fait le tour, ce ne sont pas les expériences vécues, mais plutôt le récit de trois personnes, de leurs problèmes, leurs envies, et plus globalement leurs façons de voir la vie. Si la plupart des joueurs ont découvert le studio grâce à The Red Strings Club, Essay on Empathy permet de faire une sorte de rétrospective sur le parcours des développeurs. Et voir ainsi leurs pensées mises à nu permet de mieux comprendre leurs intentions artistiques, et d'apprécier d'autant plus leurs œuvres. Ce qui tombe plutôt bien, car certaines sont simplement sublimes, comme Eternal Home Floristry ou Behind Every Great One. Globalement, chaque titre est très différent du précédent et fait passer le joueur à travers tout un tas d'émotions : ils offrent tous des expériences distinctes, bien qu'ils ne soient pas tous d'une qualité égale. Ce qui n'est absolument pas dérangeant, tant chaque œuvre semble marquer une étape dans la construction artistique de Deconstructeam. En somme, une idée originale qui, je l'espère, inspirera d'autres studios à faire de même.

    Tags

    Essays on EmpathyDeconstructeamnarratif

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    Une qualité inégale
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    Deconstructeam et son histoire

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