La licence Horizon n’a vraiment pas de bol. Le premier était sorti à peu près en même temps que Zelda Breath of The Wild, un des jeux les plus appréciés sur cette génération. Et le deuxième se frotte à un autre géant de l’industrie : Elden Ring. Autant dire que les deux opus se sont vite retrouvés éclipsés par leurs adversaires. Et pourtant, on apprenait récemment que Horizon Zero Dawn s’est vendu à 20 millions d’exemplaires. Un succès établi au fil des années, qui se montre encourageant pour sa suite.
Un succès mérité, puisque ce premier épisode était de qualité. Si la structure du jeu reprenait peu ou prou les éléments d’un monde ouvert Ubisoft, l’univers postapocalyptique quant à lui était original. On rencontre des tribus, chacune avec sa religion et son modèle de société, et on progresse à la recherche de la vérité concernant les origines d’Aloy. Là où se trouve toute l’innovation, c’est qu’on croise très rapidement des robots, calqués sur des espèces animales. Bref, du rarement vu dans le jeu vidéo, avec en plus un scénario soigné, et des révélations de fin qui font d’Horizon Zero Dawn un des mondes ouverts les plus intéressants avec The Witcher 3.
Mais sa qualité d’écriture ne l’empêchait pas de souffrir d’une structure déjà poussiéreuse en 2017. Une carte remplie de points d’intérêts, des tours – certes très agréables puisque ce sont des robots diplodocus – pour dévoiler la carte, du loot en pagaille, un aspect RPG peu poussé et encore moins intéressant… Tous les codes étaient repris tels quels, sans aucune prise de risque. Alors voilà la grande question qu’on se pose concernant ce Horizon Forbidden West : réussit-il à conserver la qualité d’écriture de son aîné, et surtout, réussit-il à se libérer des chaînes du monde ouvert lambda ?
Comme son prédécesseur, Horizon Forbidden West fait preuve d’une écriture riche, que ce soit au niveau de l’univers, des personnages ou du scénario. Ce qui m’amène justement au conseil le plus important de cet article : si vous êtes intéressés par le jeu, il est indispensable d’avoir fait le premier Horizon. Étant une suite directe, Forbidden West intègre bien un résumé des aventures d’Aloy dans Zero Dawn, mais il condense une intrigue étalée sur 30 heures en une ou deux minutes. Autant vous dire que si vous n’êtes pas familier de l’univers, vous n’allez pas comprendre grand-chose, ou du moins, ne pourrez apprécier pleinement la proposition du studio.
Parce que ces terres américaines où la nature a repris ses droits sont remplies d’histoires et de cultures. C’est là la plus grande qualité du jeu : au fur et à mesure que le voyage d’Aloy l’emmène vers l’ouest prohibé à la manière d’un Sam Porter Bridges, elle va rencontrer moult peuples. Chacun avec ses croyances et ses coutumes, toutes ancrées dans un monde couvert de ruines d’un autre temps. Ce rapport à notre civilisation éteinte est toujours habilement utilisé, mélange de technologie à travers des hologrammes et d’interprétations païennes. Par exemple, une tribu établie dans un ancien musée considère que les hologrammes présentant un événement historique recèlent un message des Anciens – c’est à dire nous dans le futur – et que ces paroles correspondent à des sortes de commandement. Ou encore le chef d’un groupe qui se fait appeler le « Pédégé ». Et il en va de même pour les très nombreuses communautés que l’on rencontre au fil de nos aventures. L’univers ainsi que les personnages avec lesquels on interagit sont crédibles et offrent constamment des dialogues pertinents.
Des échanges qui mettent en avant l’évolution d’Aloy, dont le développement est vraiment intéressant. Elle n’est plus la fille naïve partie à la découverte du monde, mais bien une héroïne sûre d’elle, consciente de ses capacités et de ses connaissances. Au point même d’être isolée, du fait de sa compréhension du monde. Si sa réputation de sauveuse de Meridian la précède partout où elle va, ce sont bien ses aptitudes et ses savoirs qui l’élèvent au-dessus des autres. Un poids lourd à porter, puisqu’elle se considère ainsi comme l’unique personne capable de sauver le monde. Aloy était attachante dans le premier opus, elle est désormais badass. Ses acolytes ne bénéficient cependant pas du même traitement, et sont pour la majorité d’entre eux les simples faire-valoir de l’héroïne.
Et elle en aura bien besoin au vu des embûches sur son chemin. Difficile de parler du scénario sans rien divulguer, mais sachez que l’aventure est remplie de twists et vous emmènera aux quatre coins de la carte. Il y a bien quelques longueurs et des ficelles scénaristiques un peu grossières, mais qui sont néanmoins pardonné tant le voyage tient en haleine jusqu’au bout. Une odyssée aux enjeux mis rapidement en place et surtout vraiment bien rythmée pour ne pas s’ennuyer une seule seconde. Comptez au minimum une trentaine d’heures en ligne droite pour en voir le bout, avec une fin qui appelle sans aucun doute à une suite. Forbidden West ne prend pas le temps de réintroduire les personnages importants du premier opus, ce qui peut être déconcertant pour ceux l’ayant fait à sa sortie en 2017.
De nombreuses quêtes secondaires permettront aux plus curieux de se détourner quelque temps du scénario principal, et ils auront bien raison. Car ces récits « annexes » sont eux aussi dotés d’une écriture de qualité rarement vue dans un monde ouvert. On parle ici d’arcs scénaristiques complets qui peuvent parfois prendre plusieurs heures de développement, avec des personnages attachants et des enjeux concrets - et même dans certains cas des choix moraux. En parlant d’eux, ils sont très décevants puisqu’ils n’apportent rien ni ne modifient en rien le déroulement de l’histoire. À quoi bon avoir pris du temps de développement pour les intégrer s’ils n’ont aucune répercussion tangible ?
Pour raconter son histoire, Horizon Forbidden West se dote d’un monde visuellement merveilleux. Et encore, je pèse mes mots. Ce monde ouvert est tout bonnement magnifique, que ce soit techniquement ou artistiquement. Pour le premier point, il n’y a rien à redire : les textures, la profondeur de champ, les animations, l’eau, les lumières : tout est un véritable bonheur pour les yeux. On s’immerge dans un monde qu’on prend plaisir à découvrir simplement par son ambiance. De nombreux biomes octroient des panoramas hétérogènes, mais équivalents dans leur qualité. Le désert, les montagnes enneigées, la jungle, d’immenses plages… toutes les cases sont cochées pour offrir le plus de diversité possible. Et ça fonctionne à merveille. D’autant plus que l’interface dynamique s’adapte parfaitement aux situations, chose assez rare dans le jeu vidéo pour être soulignée.
Les cinématiques ne sont pas en reste et adoptent une approche cinématographique du plus bel effet. Le souffle épique du scénario se voit valorisé par une mise en scène bien exécutée, à 1000 lieues des banals champs contrechamp du premier opus. Les échanges sont dynamiques, l’action est prenante et c’est un délice à regarder. Un plaisir procuré également par l’excellente modélisation des personnages, qui montre bien le saut dans la nouvelle génération. Bien sûr certains s’en sortaient très bien – The Last of Us 2 notamment – mais on parle ici d’animations soignées même pour des personnages lambda ! Vraiment, je ne peux que tirer mon chapeau.
Une ambiance portée aussi par la musique. Elle est composée par un collectif d’artistes dont Niels Van Der Leest (compositeur de Zero Dawn) fait partie. Et elle fonctionne à merveille : elle accompagne toujours parfaitement les événements. Elle est très vaste (chaque tribu a sa propre musique) et colle totalement aux différentes cultures rencontrées. Bon, il arrive parfois qu’elle lorgne un peu trop le volume des dialogues, mais rien de vraiment problématique. Un mois de février rempli de musiques à écouter, avec Dying Light 2 et Elden Ring aux côté de Forbidden West.
Abordons maintenant ce qui constitue pour moi le plus gros problème du jeu : l’exploration. Comme je viens de le dire, Horizon Forbidden West a un monde formidable à découvrir, notamment grâce à ses visuels. Mais l’enchantement est parasité par deux éléments, à savoir le remplissage et la frustration.
Le premier point semble évident dès lors qu’on ouvre la carte : des points d’interrogation partout. À la manière d’un The Witcher 3, la carte – sauf si on utilise des filtres – est surchargée par des points d’intérêts. Ce ne serait pas un problème s’ils étaient tous passionnants. Mais en réalité, 60 % d’entre eux donnent plus l’impression d’être là pour dynamiser le monde, comme si Guerilla Games avait peur que le joueur s’ennuie. Je parle ici des camps de rebelles à vider, des feux de camp (qui permettent de sauvegarder) tous les 200 mètres, des activités tertiaires peu intéressantes comme les défis de chasse ou les contrats de ferrailleurs. Tout ça devient rapidement étouffant, et surtout superficiel. Il y a cela dit toujours de bonnes idées : les ruines à explorer, le jeu de attackh (un mini jeu tactical), les creusets de machines, etc.
Et pourtant, il y a de quoi parfois s’extasier. Trouver un grand cou pour dévoiler la carte est toujours efficace malgré la redite des tours – récurrentes depuis Assassin’s Creed en 2007, il s’agirait de renouveler un peu la chose. Tomber sur une ruine au hasard d’un chemin et réussir des énigmes environnementales pour obtenir une amélioration reste grisant. Mais on a l’impression que les critiques dithyrambiques concernant l’exploration de Zelda Breath of the Wild n’ont pas suffi pour permettre à l’industrie de se détacher de ce remplissage. Par contre la paravoile… Si ! elle est bien présente et très utile, une nouveauté permettant une exploration plus souple et agréable, aux côtés de l’escalade toujours aussi sympathique.
Quant au deuxième point, il découle en partie du premier et est induit par l’impossibilité d’avancer à son rythme. Prenons un exemple très simple : plutôt que d’aller à l’objectif principal, vous décidez de visiter ce point d’interrogation énigmatique pas loin. Et bien, à moins d’avoir déjà débloqué les outils nécessaires, vous ne pourrez pas savoir ce qui se cache derrière ce mur à détruire, ou derrière ce passage sous-marin puisque vous n’aurez pas assez d’oxygène. Alors forcément, quand ça arrive plusieurs fois, on finit par se dire que tant pis, on verra ça à la fin du jeu – ce qu’on ne fait pas réellement, évidemment. Sauf pour les complétionnistes à la recherche du platine. Le monde devient irrémédiablement moins organique, et beaucoup plus calibré par ce que les développeurs souhaitent montrer à tel ou tel moment de l’aventure.
Et puis bien sûr, rajoutons à tout cela la tonne de loot à récupérer partout. Cet excès superflu de récompense ne marche pas à cause d’un point essentiel : il est bien trop massif pour donner un sens à ce qui devrait s’apparenter à une récompense. Très rapidement – à peine quelques heures de jeu – je ne regardais même plus ce que je récoltais, tant la surabondance était constante. Le moindre coffre, le moindre ennemi vaincu déballe une pléthore d’objets récupérés, et un inventaire qui n’en finit plus de se remplir. Et c’est bien dommage, car l’artisanat demande de fait beaucoup d’éléments différents pour améliorer armes et armures, ce qui pousse le joueur à faire attention à ce qu’il récupère. Abordons rapidement un point qui pourrait en chagriner certains : la tuerie en masse de la faune locale. Pour améliorer les carquois et autres sacoches, il va falloir empiler les cadavres d’animaux (très variés eux aussi). Des actes qui pourront en dégouter certains, malgré l’aspect presque indispensable de la chose – passer de 20 à 34 flèches disponibles, par exemple, fait une énorme différence en combat.
Pour finir cette partie, j’aimerais faire le point sur un sujet très souvent relevé : l’inarrêtable flot de paroles d’Aloy. Certains ont été frustrés qu’Aloy commente ce qu’elle voit, donnant au passage la solution. En ce qui me concerne, ça ne m’a pas dérangé, même si je comprends l’agacement de certains, et je pense donc qu’il faudrait que ce soit un choix paramétrable. Cependant, le flot presque constant de paroles devient irritant à la longue, surtout qu’il n’apporte rien. Aloy n’a pas besoin de s’exprimer toutes les 20 secondes pour avoir du caractère, surtout pour établir des constats visibles par soi-même. Pire encore, ses monologues brisent régulièrement la poésie subreptice qui s’installe lorsque l’on contemple un paysage. Le silence du désert ou des monts enneigés est constamment mis à mal par les commentaires de l’héroïne, en plus de donner l’impression d’une sorte de schizophrénie des plus étranges. Moi aussi, j’aime bien me parler à moi-même, mais je ne vais pas m’extasier à voix haute lorsque j’arrose mes fleurs.
Côté gameplay, Horizon Forbidden West reprend les bases de son prédécesseur, qui ont fait leurs preuves. Rien de bien nouveau sous le soleil donc : on peut combattre à distance avec différentes armes et différents types de dégâts à appliquer (feu, acide, plasma, gel, etc.) où le but est de viser les points faibles ; au corps à corps à base d’attaques légères, puissantes et l’esquive ; et pour finir l’infiltration avec des pièges et des coups critiques bien placés. Ce qui fonctionne bien dans l’ensemble, excepté le combat rapproché : l’impossibilité de cibler l’adversaire rend souvent les affrontements brouillons, en plus de mécaniques assez peu divertissantes. À noter que les retours haptiques et les gâchettes adaptatives de la PlayStation 5 font de vraies merveilles, et prouvent s’il le fallait encore que DualSense est l’une des meilleures manettes existantes à ce jour.
La grande variation provient du bestiaire, qui s’est drastiquement enrichi. On trouve parmi les robots de nombreuses espèces avec différents types (feu, acide, etc.), ce qui permet d’avoir des stratégies très variées en fonction de ce qu’on a en face. On retrouve les gros ennemis emblématiques du premier, ainsi que des machines inédites visuellement impressionnantes. Ce qui m’amène aux combats de boss : ils sont tous vraiment prenants, et rencontrer un éléphant furieux faisant 5 fois la taille d’Aloy prend aux tripes. Bien qu’ils ne soient pas spécialement exigeants du point de vue stratégique (qui consiste simplement à viser les points faibles et utiliser l’élément approprié), ils sont néanmoins agréables, surtout avec la mise en place d’une verticalité dans les zones de combat.
Pour réussir à faire face à ces nombreux défis, Aloy pourra compter sur un développement revu de ses compétences. Ce sont désormais 7 arbres de compétences qui s’offrent au joueur, lui octroyant la possibilité de se spécialiser dans le domaine qu’il préfère. Les soins, le combat au corps à corps, le combat à distance, ou encore la discrétion sont autant d’arbres qui permettront de modeler Aloy selon ce qu’on préfère comme type de gameplay. Couplé avec les nombreuses armes et armures, voilà de quoi passer plusieurs heures à perfectionner son build.