Depuis pas mal de temps déjà, on aime rapprocher le cinéma du jeu vidéo qu’on considère souvent comme ayant une relation parent/enfant. Même si la comparaison me paraît absurde par bien des aspects, je ne m’en plaindrais pas aujourd’hui, parce que Sam Barlow a réussi à créer un jeu qui se regarde comme un film – ou plutôt trois.
Sam Barlow, c’est un nom qui résonne dorénavant avec jeu vidéo différent. Si le créateur est surtout connu pour avoir conçu Silent Hill : Origins et Silent Hill : Stattered Memories, il est depuis 2015 le fondateur principal de deux jeux : Her Story et Telling Lies. Et ce sont deux propositions singulières : ces deux « thrillers de bureau » comme les décrit Barlow consiste à mener une enquête à partir de courts extraits vidéos. Pour naviguer entre ces segments, il faut faire des recherches à partir de mots-clés que l’on écrit dans une barre de recherche. Si le studio de Barlow n’a pas des moyens énormes, il va malgré tout réussir à produire des œuvres spéciales dotées d’une narration accrocheuse. Ce sont des expériences inédites pour n ’importe quel joueur qui bénéficient d’une écriture maitrisée et de jeux d’acteurs convaincants. Avant de jouer à Immortality, je ne peux que vous conseiller d’aller les essayer pour voir la progression du créateur dans sa réflexion et sa façon de raconter des histoires.
Lorsqu’on lance Immortality pour la première fois, on déboule sur un écran rempli d’extraits vidéos. Et il y en a vraiment beaucoup : à vue de nez, on pourrait aisément tabler sur une centaine. Un tutoriel explique les bases, comme les différents filtres ou l’utilisation du stick droit pour zoomer et dézoomer. Une fois toutes les commandes comprises, on se lance dans l’aventure en cliquant sur un segment. Et là, c’est la panique : on ne capte rien, on ne sait pas qui est qui ni de qui ils parlent, on n’a aucun contexte ni aucune clé de compréhension. Personnellement, mon premier réflexe a été de vouloir prendre des notes. Une fois le segment intégralement visionné, je suis revenu en arrière pour noter les noms. Et là, le moyen de navigation à travers les vidéos se dévoile : il suffit d’appuyer sur Y (ou triangle) pour afficher un curseur. Avec ce curseur, on peut sélectionner un certain nombre d’éléments sur l’image mise en pause. Ça peut être une plante, une lumière, un micro, un canapé, un verre, et bien sûr les visages des protagonistes présents dans la scène. Et là, l’impression d’être submergé arrive : combien de temps va-t-il falloir pour réussir à avoir une idée claire de l’histoire que l’on cherche à nous raconter ? Cliquer sur un pinceau caché au fond de la pièce me donnera accès à une scène cachée ?
Il faut reprendre son calme et tenter d’y aller méthodiquement. Avec le curseur, je clique sur le visage de la personne centrale, Marissa Marcel. Armé de mon stylo et de mon cahier, je me lance dans le visionnage d’un deuxième extrait. Cette fois, le contexte est totalement différent : je ne regarde plus une interview dans une émission mais ce qui ressemble à un extrait de vieux film. Bien entendu, je ne comprends rien mais je continue de prendre des notes. Le réalisateur s’appellerait à priori Arthur, et je reviens à l’affichage de tous les segments (qui sont dorénavant que deux) pour voir les dates. Car oui, chaque extrait est nommé selon la date à laquelle il a été tourné. Je reviens dans l’extrait que je regardais, puis je clique sur le visage d’un acteur. Autre scène qui me confirme bien que c’est durant le tournage d’un film, qui à priori s’appelle Ambrosio.
Je continue mon bout de chemin, jusqu’à arriver à une scène qui semble être celle d’un autre film. Donc en fait, Immortality raconte l’histoire de deux films ? Ça va être long. Je découvre que ce film est tourné peu de temps après le premier et note les noms des personnages que je ne connais pas. De fil en aiguille, je finis par comprendre que l’histoire de Marissa Marcel, l’actrice principale des deux films, n’est pas la seule entourée de mystère : il est arrivé quelque chose de grave à l’acteur qui partage l’affiche avec Marissa, Glenwood. Mais quoi ? Il va falloir continuer à fouiller pour le savoir. Jusqu’au moment où j’arrive dans une scène filmée en 1999 : j’ai fait un bond de 30 ans dans le temps ! Il y a un troisième film ! Mais quel est le lien entre les trois, mis à part la présence de Marissa Marcel ? Elle représente assurément le fil rouge, mais je suis persuadé qu’il y a d’autres histoires à côté. Alors je navigue, encore et encore.
Je ne vais pas tourner autour du pot : Immortality est un jeu saisissant. Pièce par pièce, on commence à voir le puzzle dans son ensemble. Cette narration fragmentée permet d’élaborer des théories, de toujours découvrir quelque chose d’inattendu même après plusieurs heures de jeu et d’être happé de bout en bout. La seule frustration provient lorsqu’on s’approche de la fin. Parce qu’une fois qu’on détient la majorité des extraits, trouver le petit détail qui nous permet de découvrir le point final du scénario est loin d’être évident et impose le revisionnage encore et encore de scènes déjà vues. Mais ce défaut représente une goutte d’eau dans un océan de qualités.
Déjà, le scénario est extrêmement bien construit : on suit avec plaisir les mésaventures de Marissa Marcel et de ceux qui l’accompagnent. Mais ce n’est pas tout, parce que les trois films sont eux aussi très intéressants ! Et justement, on en vient à autant vouloir connaître la fin des films que l’histoire de ceux qui le créent. C’est là où le jeu fait fort, parce que toutes les fictions se rejoignent dans une construction diablement réussie. Que devient Antonio dans Ambrosio, ce prêtre de plus en plus en corrompu ? L’inspecteur Goodman découvre-t-il la personne derrière le meurtre du peintre Minsky et va-t-il réussir à l’arrêter ? La star Maria va-t-elle réussir à trouver le fin mot de l’histoire concernant le meurtre de sa doublure Heather ? Trois films que j’irais voir avec plaisir s’ils sortaient en salle. Un travail d’écriture que l’on doit à Allan Scott (Le Jeu de la Dame), Amelia Gray (Mr Robot) et Barry Gifford (Lost Highway), trois scénaristes ayant gagné plusieurs récompenses.
Et au-delà de l’histoire, la mise en scène est, elle aussi, exemplaire. Tout ce qui est présenté dans le jeu n’est que fiction, et pourtant immerge le joueur dans une réalité crédible grâce au travail des points de vue et du jeu des acteurs. Au-delà des films en eux-mêmes qui sont très bien réalisés et ressemblent à de « vrais » films, les tournages et les conversations entre les personnages semblent presque avoir appartenu à l’Histoire. Lorsqu’une scène commence, on a réellement l’impression d’assister au making-of d’un film. Et on ressent la maîtrise des développeurs pour nous donner tous les moyens d’y croire : on sent sans mal l’attention apportée aux détails. Ça, couplé au travail des acteurs qui offrent des performances parfaites, tout est là pour se plonger dans la vie de Marissa Marcel, afin de découvrir ce qui lui est arrivé.
Et pour ceux qui ont horreur de l’Anglais, bonne nouvelle ! Le jeu est traduit intégralement en français, avec des sous-titres de qualité. Sous-titres qui changent d’ailleurs selon le film, un autre détail qui ajoute à la crédibilité globale. Autre information importante, surtout pour ceux ayant fait les précédents jeux du studio : jouer à la manette est tout aussi confortable qu’au combo clavier souris. C’est même recommandé pour plus de confort.