Quand Kunitsu-Gami: Path of the Goddess s’est montré pour la première fois l’année dernière, il a tout de suite su intriguer grâce à sa direction artistique pas banale. La deuxième surprise, c’est qu’il mélange tower defense et action, chose assez rare, d’autant plus quand on sait la quasi-inexistence des tower defense à l’heure actuelle. Dernière surprise et pas des moindres, il n’aura fallu attendre qu’une petite année pour pouvoir y jouer. Reste alors à savoir si son originalité est suffisante pour en faire une réussite.
Kunitsu-Gami raconte une histoire relativement simple : le mont Kafuku, où réside une déesse, est envahi par une substance qu’on qualifiera sans mal de démoniaque. Un peu à la manière d’un Ghibli, ce mal est dû à la corruption – un sujet récurrent dans les films de Miyazaki – qui vole les douze masques détenant les pouvoirs de la déesse. Pour repousser cette menace, on incarne Soh, le protecteur de la prêtresse Yoshiro, qui à travers le kagura – un rite shintoïste – est capable d’éradiquer la corruption.
Bon, c’en est presque transparent, mais l’histoire est anecdotique. Ce n’est qu’une simple justification à la boucle de gameplay du jeu. Ceci étant, ce n’est pas ce qu’elle raconte qui est intéressant, mais tout l’univers qu’elle déploie : le folklore japonais, qui reste méconnu en Occident. Des monstres combattus aux rites effectués pour les repousser, en passant en fait par le moindre élément du jeu, tout est dépaysant et apporte une ouverture sur cette mythologie. De ce point de vue, Kunitsu-Gami fait beaucoup penser à Okami, qui bénéficient tous deux d’une créativité époustouflante et plus qu’appréciable.
Mais ce n’est pas dans l’approfondissement de vos connaissances que le folklore nippon apporte la plus grande plus-value au jeu, ni dans son scénario qui, par ailleurs, ne possède aucun dialogue – encore que, cette caractéristique apporte elle aussi aussi une forme d’originalité. Non, c’est bien la direction artistique qui bénéficie le plus de ce cadre mythologique. C’est visuellement somptueux, remplis d’étrangetés étonnantes qui confèrent une ambiance très particulière. On est plongés dans un autre monde face à des monstruosités rarement vues. L’identité visuelle de Kunitsu-Gami est vraiment unique en son genre, et rien que pour ça, le jeu vaut au minimum le coup d’œil.
Mais c’est aussi un jeu qui ose un mélange qu’on pourrait considérer comme antinomique : le beat’em all et le tower defense. Le gameplay est divisé en deux partie : lorsque vous arrivez dans un village, il y a le jour et la nuit. Durant le jour, le but est principalement d’explorer afin de récolter les ressources, libérer les villageois pour leur assigner un rôle, mettre en place des défenses comme des barrières et faire avancer Yoshiro jusqu’à un endroit bien précis permettant ainsi de libérer le village des démons. C’est durant cette phase qu’on place les villageois stratégiquement pour empêcher les ennemis d’atteindre la prêtresse, et tout va dépendre de votre capacité à bien gérer vos ressources. Car oui, lorsque vous les libérez, leur assigner un rôle est indispensable pour leur permettre de se défendre. On retrouve les stéréotypes habituels : le bûcheron, la classe de base qui tape au corps-à-corps et n’a pas de grand avantage si ce n’est son coup réduit ; l’archer peu cher mais qui peut compter sur son attaque à distance ; la chamane – un rôle exclusivement féminin – qui peut soigner ; le sumo, exclusivement masculin, qui sert de tank et prend l’aggro des ennemis, etc.
Cet aspect du jeu est particulièrement réussi, premièrement car il remplit entièrement son office de tower defense, et deuxièmement car il donne toujours envie d’en voir plus : les classes se débloquant au fur et à mesure de la progression, on est constamment curieux de voir à quoi ressemblera la prochaine classe, quelle utilité elle aura et son impact sur notre stratégie. Parce qu’il faut toujours bien réfléchir : faut-il plutôt miser sur un plus grand nombre de bûcherons, ou investir dans un sumo qui coûte quand même six fois plus cher ? La phase d’exploration permettant d’obtenir quelques cristaux nécessaire à l’enrôlement des villageois, il faudra bien souvent les dépenser minutieusement et ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre. Comme tout bon tower defense, Kunitsu-Gami nous oblige à réfléchir et anticiper, et il se paye le luxe d’offrir plus que ça encore.
Tout ça se déroule durant le jour, et il faut après ça affronter la nuit. Dès que le soleil se couche, des vagues de monstres apparaissent et viennent assaillir vos défenses et vos soldats pour tenter de tuer Yoshiro. C’est à ce moment-là que vous entrez également en scène en contrôlant directement Soh : vous pouvez aller abattre les démons à coup de katana. Au début, la tâche semble aisée, car ce ne sont que des petits monstres que vous tuez rapidement, au point même où les villageois se tournent les pouces. Mais au fil des niveaux viennent progressivement des adversaires plus coriaces, plus nombreux et par différents points d’entrée sur la carte. Dès lors, vos troupes ne seront pas de trop pour vous épauler dans cette tâche difficile. Des démons explosifs, des démons qui en améliorent d’autres, des démons volants, des démons qui tapent à distance : la panoplie parfaite de l’armée prête à vous faire suer. Surtout que, bien sûr, la vie de Soh, celles des villageois et celle de Yoshiro ne sont pas infinies, et il faudra utiliser avec parcimonie les précieuses potions.
En tant que jeux d’action, Kunitsu-Gami ne brille pas nécessairement, mais fait correctement le job : une attaque basique, une attaque plus forte dépendante du nombre d’attaques basiques effectuées avant, une esquive et la capacité de blocage ; voilà votre arsenal. Simple, mais efficace : se retrouver dans la mêlée à tabasser du monstre a quelque chose de grisant, et malgré une légère lourdeur du personnage, la sensation est assez grisante. Bien sûr, ne vous attendez pas à un Souls ou à un Bayonetta, au risque de déchanter rapidement. Pour autant, Soh est réactif, la difficulté durant ces phases est bien dosée, et on prend plaisir à protéger la prêtresse. D’autant plus que c’est à ce moment-là qu’on constate si la stratégie était payante : avez-vous réparé une barrière qui protège vos arrières ? Vos archers en hauteurs déciment-ils les rangs ennemis ? Avez-vous fait bien calculé votre coup en faisant avancer Yoshiro, ou l’avez-vous au contraire exposé aux attaques ennemies ? Avez-vous préféré regrouper vos troupes ou les disperser sur la carte ? Les réponses à ces questions peuvent vous rendre la tâche plus éprouvante, ou au contraire la faciliter. C’est justement cet équilibre entre action manuelle et anticipation qui fait tout le seul du jeu.
Une fois le village libéré, reste alors deux phases avant d’avoir fait le tour de la boucle de gameplay. La première, celle du boss, est assurément la plus intense. Avec une poignée de villageois, vous allez devoir venir à bout de monstres massifs, tout en continuant de protéger Yoshiro. Généralement, chaque boss a une faiblesse qu’il faudra déceler et utiliser pour réussir à s’en sortir, ce qui n’est pas toujours évident : si certains sont relativement transparents, d’autres vont vous demander de bien les analyser pour trouver la manière optimale de les abattre. Et n’espérez pas simplement y parvenir en vous acharnant comme une brutasse, ça ne vous apportera qu’un game over. Game over que vous allez probablement rencontrer dans tous les cas, car les boss représentent des pics de difficultés souvent ardus, qui m’ont personnellement demandé parfois de recommencer une petite dizaine de fois pour les plus coriaces. Certains apprécieront cette difficulté inattendue, j’y vois plutôt un manque d’équilibrage.
Reste alors la dernière phase, celle qui me pose le plus problème. Une fois les villages libérés, vous pouvez y retourner pour employer des villageois à leur reconstruction. Rien de compliqué dans l’absolu, ça ne demande pas de réflexion particulière mais plutôt de la patience, car il faut attendre un certain laps de temps pour que les travaux soient terminés. Pas difficile, mais nécessaire, car ces travaux vous apporteront des ressources nécessaires à l’amélioration des classes. Donner plus de vie ou d’attaques, leur attribuer ou améliorer une capacité spécifique, tout ça se fait via une monnaie récupérée en réparant les villages. Ces passages peuvent donc paraître anecdotiques, et ils le sont d’une certaine manière, mais ils condensent à eux seuls la plupart des reproches que j’ai à faire à Kunitsu-Gami : c’est rébarbatif d’aller de village en village à chaque fois, là où une simple validation des travaux sur l’écran de la carte aurait gagné un temps considérable. Qui plus est, même une fois arrivé au village, on ne peut pas sprinter, et plus vous avancez dans le jeu, plus les villages sont vastes. On se retrouve donc à avancer à deux à l’heure en faisant des allers-retours entre chaque phase de récupération de village. Ce n’est pas dramatique, ça ne ruine pas l’expérience, mais un peu de quality of life pour rendre ces passages obligés plus courts n’auraient pas été de trop.
Rassurez-vous toutefois, ce n’est absolument pas ce qu’on retient de Kunitsu-Gami une fois terminé. On se rappelle surtout d’un jeu sans superflu, qui ne se perd pas dans des boucles de gameplay intriquées sans raison, du roguelite, ou du light-RPG comme on en voit partout. Ça peut paraître absurde, mais ça fait vraiment du bien de voir un jeu qui ne cherche pas à surfer sur les tendances, qui propose une expérience ramassée et maîtrisée de bout en bout – ou presque –. C’est clair et net, Kunitsu-Gami est assurément l’expérience rafraîchissante de cet été, bien loin du mimétisme des jeux plus conventionnels.