On est le 26 janvier 2024, aux alentours de 21h. Alors que je m’apprête à lancer ce jeu que j’ai tant attendu, certains doutes me reviennent. Le premier et le plus important, c’est le nouveau lieu principal, situé à Hawaï. C’est le premier Yakuza qui se déroule en dehors du Japon, et forcément, la potentielle absence de regard sur la société nippone porté par ceux y vivent m’inquiète. Deuxièmement, la tonne de contenu me paraît presque aberrante : j’y suis habitué avec la série, mais les trailers montrent plusieurs jeux en un, au point où je me dis que l’intensité dramatique risque d’être impactée. Et pour finir, je ne peux m’empêcher de suer à grosses gouttes chaque fois que je vois la coupe de cheveux de Kiryu. Je m’attarde rarement sur le physique, mais là, on parle d’un personnage que j’ai vu évoluer pendant 30 ans de sa vie, avec qui j’ai autant ri que pleuré, que j’ai l’impression de connaître aussi bien qu’un ami proche. Et le voir avec une coupe d’ado qui se serait un peu trop emporté sur la quantité de gel, mine de rien, ça m’inquiétait. Mais qu’importe. Parce que dans le fond, envers et contre tout, j’ai confiance dans les équipes de Ryu Ga Gotoku Studio. Alors j’ai lancé le jeu.
Je n’ai pas eu à attendre longtemps avec d’esquisser un sourire. Simplement retrouver Ichiban Kasuga est un plaisir en soi. Le nouveau personnage principal depuis Like a Dragon, héritier du Dragon de Dojima, a réussi l’impossible défi qu’on lui a mis sur les épaules : reprendre avec brio le rôle laissé vacant par Kiryu, tout en proposant autre chose. Il n’a évidemment pas son charisme, son code d’honneur ou cette étrange mélancolie qui l’accompagne partout où il va. Mais il a une gentillesse, une innocence presque naïve, une bonhomie et une sincérité vraiment unique. Il rappelle forcément Luffy de One Piece, ce qui n’est pas étonnant puisque le scénariste principal, Yokoyama, déclare lui-même s’en être inspiré pour écrire son personnage. Et il a bien fait, puisqu’on tient là un des personnages les plus attachants du monde du jeu vidéo.
Retrouver Ichiban rime donc avec joie immédiate. Après la tonne d’événements dans Like a Dragon, il s’est trouvé un emploi à Hello Work, sorte de Pôle Emploi – France Travail de son joli nom actuel – dans la ville de Yokohama. Avec bien sûr comme objectif d’aider ceux qui l’entourent, plus spécifiquement les yakuzas qui n’arrivent pas à s’intégrer dans la société civile. Comme à son habitude, la série parle des laissés-pour-compte, ceux que la société rejette, ceux qui luttent pour vivre dignement. Et encore une fois, elle s’ancre dans le réel : les problèmes d’intégrations des yakuzas, notamment avec les lois qui les empêchent de trouver un emploi ou un logement, sont à l’heure actuelle un vrai sujet de discussion au Japon.
D’emblée, en à peine une demi-heure de jeu, Infinite Wealth met les pieds dans le plat et montre sans ambiguïté sa volonté d’aborder des thématiques toujours aussi riches et étonnamment concrètes. Qui plus est, des thématiques qui font écho à des polémiques contemporaines : ce pauvre Ichiban perd son emploi lorsque un Vtuber décide de balancer des fake news à son sujet. Sans parler de cancel culture, car je pense sincèrement que ce n’est pas le message des développeurs, le jeu parle frontalement de l’impact que peuvent avoir de fausses informations diffusées via les réseaux sociaux. Il montre bien que la vérité peut aisément être montée de toute pièce et le chaos que ça entraîne sur la vie des victimes.
Mais entre deux cinématiques, j’ai eu l’occasion d’échapper au tunnel narratif pour faire quelques à-côtés. Et là, je me suis rapidement rendu compte de la présence d’améliorations aussi subtiles que bienvenues. Par exemple, la carte permet de voir directement les détails d’un magasin ou de se déplacer beaucoup plus facilement en taxi. Une radio est disponible, permettant d’écouter ses musiques préférées partout, et… Des discussions en japonais non sous-titrées. Un peu frustrant lorsqu’on est capable de capter uniquement quelques mots. Mais pour le reste, même si ça peut sembler être un rien, c’est un confort non-négligeable. Par ailleurs, la personnalité d’Ichiban et la progression dans les diverses branches qui la compose ont beaucoup plus d’importance que dans Like a Dragon et impactent directement le gameplay. Au lieu de simplement donner accès à des dialogues supplémentaires, ces améliorations octroient des bonus intéressants.
Ils sont utiles notamment dans les combats, qui ont eux aussi été remaniés. Avec le premier Like a Dragon, ou plutôt le huitième Yakuza, la série change totalement de gameplay pour passer du beat’em all au RPG en tour par tour. Une transition réussie, mais qui accusait ici et là quelques défauts irritants. Heureusement, Infinite Wealth efface ces légères déconvenues et rend le système de combat beaucoup plus intéressant. Déjà, on peut maintenant faire bouger le personnage dans une petite zone, permettant un placement idéal pour balancer ses compétences. Compétences qui affichent désormais leur zone d’impact, un impératif pour préparer au mieux sa stratégie. Une petite icône indique si on va prendre un objet pour tabasser le sbire en face.
En somme, des petits plus qui ne transforment pas drastiquement les mécaniques, mais qui apportent un certain confort et bonifient les combats. Ceci étant dit, ne nous voilons pas la face : ils restent très classiques dans leurs fondements. Ils se basent toujours sur le système de forces et de faiblesses en fonction d’éléments déjà vu partout comme le feu ou l’eau et un système de bonus/malus. Ce n’est pas un mal, loin s’en faut, mais sa simplicité n’appelle pas à de grandes réflexions stratégiques et se concentre plutôt sur l’amusement procuré par des techniques toujours plus déjantées.
Bon, là, j’ai beau toujours être au début de l’aventure, j’ai déjà quelques heures au compteur parce que je n’ai bien évidemment pas pu m’empêcher d’aller à la salle d’arcade et de me promener dans Yokohama. C’est à ce moment-là que j’ai remarqué que je ne pouvais pas faire trois pas sans tomber sur un truc à ramasser. Force est de constater que ça devient vite agaçant : quand on est, comme moi, incapable de faire abstraction du moindre truc qui brille par terre, on passe son temps à s’arrêter pour des broutilles. Surtout que, par la suite, ça continue quand même à pulluler à tous les coins de rues alors qu’on en a plus besoin. On ne perd plus de temps à s’arrêter, mais ça brise quelque peu la beauté des décors malgré tout. Je continue mon bonhomme de chemin, jusqu’au moment où l’histoire commence réellement : Ichiban doit aller rencontrer sa mère à Hawaï.
Une fois sorti de l’avion, j’ai été immédiatement dépaysé. L’ambiance n’a rien à avoir avec aucune des villes parcourues dans les précédents jeux. Par contre, comme les villes japonaises, elle est bourrée de détails, en plus d’être vraiment sublime. C’est une nouvelle fois une franche réussite, simplement se promener fait sans aucun doute partie des grands plaisirs du jeu. Ça détonne complètement avec les villes japonaises, tout en étant crédible et agréable à découvrir.
D’ailleurs, comme je n’ai jamais été à Hawaï, j’ai été regarder des vidéos pour voir si ça collait. Et encore une fois, le travail du studio est irréprochable : on est face à une reproduction en 3D d’un lieu réel. La ville est grande, sacrément grande même, puisqu’elle fait neuf fois la taille de Kamurocho. Elle dispose de plusieurs quartiers avec diverses ambiances, dont plusieurs jamais vues dans un Yakuza. Les différences culturelles se ressentent constamment via la devanture des boutiques et de nombreux petits détails ici et là.
Ceci étant dit, tout n’est pas rose. Déjà, visuellement, c’est très inégal. Cette critique peut d’ailleurs être faite à tous les niveaux : prenons les visages comme exemple. Ils sont magnifiques dans les cinématiques, remplis d’émotions et de détails qui les rendent juste fascinant à regarder. Mais à l’inverse, lors de simples dialogues, certaines personnes semblent n’avoir vraiment pas été gâtées par mère nature, parce que les modélisations sont hideuses. Dans ces moments-là, la différence entre les intonations dans la voix et le manque d’animation faciale nuit clairement à la crédibilité de la scène. Autre exemple : le pathfinding des PNJ. La ville est superbe, la densité de la foule est crédible, mais sa façon de se déplacer n’a souvent aucun sens. On voit des gens se manger des poteaux, se mettre à courir pour s’arrêter 10 mètres plus loin sans aucune raison, nos alliés nous bloquent la route régulièrement. Sans aller jusqu’à dire que c’est une catastrophe, disons que l’immersion en pâtit quand même pas mal.
Ce grand écart qualitatif est constant : les jeux de lumières sont magnifiques, mais les textures tirent tout aussi régulièrement la tronche et font parfois peine à voir. Le moteur du jeu, le Dragon Engine, est vieillissant. Ça se ressent d’autant plus à Honolulu, une ville qu’on arpente plus de jour que de nuit, alors que le Dragon Engine était initialement pensé pour sublimer les néons du quartier rouge de Tokyo. Autre exemple : l’eau est vraiment immonde, et comme c’est le premier Yakuza où on peut nager, on s’en rend compte très rapidement. C’est d’autant plus dommage qu’on passe quand même pas mal de temps à l’avoir dans le champ de vision. Néanmoins, ça reste du pinaillage, le jeu est globalement agréable visuellement, Honolulu est géniale à visiter, et les cinématiques sont toujours aussi belles avec un excellent travail sur la gestuelle des personnages et la fluidité de l’action. Les scènes de combats sont peu nombreuses mais elles bénéficient de chorégraphies impressionnantes, l’ambiance est toujours aussi immersive, les doublages toujours aussi réussis, c’est un plaisir de suivre l’intrigue.
D’ailleurs, revenons-y deux minutes. Après être arrivé à Hawaï, le pauvre Ichiban subit de nombreuses déconvenues. Oui, une journée typique pour lui ressemble à la plus extraordinaire d’entre elles pour le commun des mortels. Il rencontre donc moult personnages hauts en couleurs et finit par être arrêté. Infinite Wealth aborde à plusieurs reprises la corruption de la police, mais elle prend des proportions terribles dans cette scène. On en arrive rapidement au point où Ichiban doit s’enfuir avec les menottes au poignet, introduisant le retour du personnage qu’on attendait tous : Kiryu. Lui aussi cherche la mère d’Ichiban, pour des raisons obscures, et va donc s’allier avec celui qui l’a aidé lors de la Grande Dissolution.
Le retour de Kiryu était certes attendu grâce aux nombreux trailers qui en dévoilent toujours trop et surtout grâce au précédent Yakuza 6.5, mais je me demandais comment sa présence allait être justifiée. Après Yakuza 6, son arc narratif semblait avoir atteint son crépuscule, et sa place mineure dans Like a Dragon laissait supposer qu’Ichiban serait le nouveau porte-étendard de la franchise. Au-delà de toute considération de crédibilité ou de cohérence scénaristique, je dois bien avouer que son retour m’enchantait au plus haut point. J’ai mis du temps à m’habituer à sa nouvelle coupe de cheveux, mais après avoir passé des centaines d’heures à ses côtés, j’étais plus que d’accord pour prendre un peu de rab. S’il était légitime de se demander comment les deux héros arriveraient à se partager l’affiche de manière équitable, force est de constater que les développeurs ont bien joué leur coup. Mais on y reviendra plus tard.
Kiryu se bat toujours avec ses poings, mais selon la représentation fantasmée d’Ichiban, ce qui signifie qu’il joue avec les mêmes règles que tout le monde. Plus de tabassage de sbires en direct, c’est maintenant au tour par tour qu’il montre sa force. Mais avec un style bien à lui quand même : il dispose de trois styles différents. Le style rapide permet de taper deux fois dans le même tour avec une portée plus grande, permettant de profiter de bonus non-négligeables. Le style « normal » permet des actions de ferveur dans certains contextes, et le style « brutasse » octroie la capacité de briser la garde des ennemis. Son job, le Dragon de Dojima, est sans aucun doute l’un des plus puissants du jeu, comme on pouvait s’y attendre.
Maintenant que le cadre de l’histoire est posé, il était temps pour moi de souffler et de me perdre dans les méandres des activités secondaires. Infinite Wealth est un jeu qui porte bien son nom en proposant la plus grande panoplie d’activité vue à ce jour dans la série. On a toujours les habituels jeux de cartes, le shogi, le golf, le baseball, le mahjong, les QCM du précédent, la salle d’arcade qui propose cette fois moins de jeux que d’habitude, mais des jeux jamais intégrés jusque-là. Les amitiés et les sympathiques discussions autour d’un verre font leur retour, de belles occasions d’approfondir les personnages, de nouer des liens avec eux et de profiter de bonus en combats.
On retrouve aussi le karaoké, avec une myriade de chansons cultes. Tous les incontournables sont là, avec de nombreuses références aux précédents opus. On a évidemment Baka Mitai, mais on a surtout sa suite spirituelle, Baka Darou. Et vraiment, quelle musique incroyable. Si Baka Mitai fait rire malgré son évidente mélancolie, Baka Darou vise plutôt l’entre deux : on rigole et on pleure à la fois, surtout dans le contexte du jeu, et encore plus une fois qu’on a lu une traduction des paroles. Ryosuke Horii, réalisateur du jeu et aussi auteur des musiques, s’est surpassé une fois de plus pour proposer des musiques marquantes, entrainantes, grisantes.
Mais on peut aussi profiter de nouveaux mini-jeux : on a pêle-mêle Aloha Links, qui nous permet de dire bonjour aux passants et de donner à manger aux animaux pour s’en faire des potes. Le terme mini-jeu est sans doute exagéré dans le cas présent, mais pouvoir saluer tout le monde s’est révélé être bien plus amusant que ce que je pensais au premier abord. Apparaît rapidement Crazy Eat, un drôle de mélange entre Crazy Taxi et Uber Eats. Dans un temps limité, le but est de récupérer de la nourriture pour la livrer aux gens du coin en faisant le plus de cascades possibles pour gonfler le score. Un jeu très arcade, ultra fun, que j’ai trouvé bien plus drôle que le jeu de ramassage de canettes, qui fait lui aussi son retour.
On a Miss Match, un mini-jeu basé sur Tinder où on doit se faire un profil et réussir une discussion, qui rappelle d’ailleurs un mini-jeu similaire dans Yakuza 6. On retrouve dans les deux cas de la FMV qui met très fortement mal à l’aise, même si c’est ici parfois teinté d’humour. Je ne comprendrai jamais pourquoi les développeurs tiennent à tout prix à mettre ce genre de contenu, surtout quand c’est aussi mal fait. On évite certes le malaise des cabarets du précédent, qui cette fois coûte un bras et s’accompagne juste d’une cutscene inintéressante, mais faudra quand même m’expliquer à quel moment un premier date ressemble à ce qu’on a dans le jeu. On a aussi Déglingo Photo, un Pokemon Snap où le safari ne consiste pas à prendre des pokemons en photo, mais des mecs un peu étranges. Et surtout, on a le jeu des Sujimons et la Dondoko Island.
Alors, le jeu des Sujimons, c’est clairement un Pokemon-like simplifié. Mais pas de ceux qui copient sans aucune imagination ― oui Palworld, c’est à toi que je pense ―, plutôt de ceux qui s’inspirent du concept pour l’adapter à son univers et le rendre encore plus délirant. Le principe est simple : lorsque l’on vainc un groupe d’ennemi, il est possible que l’un d’entre eux reste présent à la fin du combat. On peut donc l’amadouer en lui offrant un cadeau et en le suppliant, et s’il accepte, il rejoint donc notre équipe. Avec environ 200 Sujimons différents, il y a de quoi faire. On peut bien sûr récupérer plusieurs fois le même Sujimon, ce qui octroie la possibilité de le fusionner avec ses pairs, augmentant au passage ses stats. Une fois l’opération réussie plusieurs fois, il est possible de le faire évoluer, tel Reptincelle qui devient Dracaufeu.
Et avec ça, on est paré au combat qui est somme toute relativement simple : le placement et l’élément de chaque Sujimon sont les deux paramètres à prendre en compte. Rien de complexe donc, mais le jeu devient rapidement addictif : on s’amuse à collectionner les sujimon, à utiliser des tickets pour en recevoir de nouveaux, à les améliorer, et on les regarde avec fierté écraser nos adversaires. Les combats ne sont pas très stratégiques et vont surtout dépendre du niveau des Sujimons, mais ils se terminent rapidement. La petite cerise sur le gâteau, c’est l’Another Drama lié à ce mini jeu, qui nous fait combattre comme d’habitude les quatre Rois Célestes dans une ambiance à la Squid Game. L’histoire n’est pas à tomber de sa chaise, mais elle a eu le mérite de me pousser à m’investir pour en voir le bout.
L’autre Another Drama de ce neuvième Yakuza est lié à l’île Dondoko Island qui reprend globalement le système d’Animal Crossing. En arrivant sur une île remplie d’ordures, on accepte d’aider un trio pas piqué des hannetons pour donner une seconde jeunesse à l’île et attirer des clients de nouveau. Pour se faire, il faut donc récupérer des ressources et construire des bâtiments, des décorations, et autres attractions. Par la suite, il faudra aussi débloquer de nouvelles zones avec la monnaie locale, tabasser du sbire, sélectionner des clients à amener sur l’île et s’assurer de leur satisfaction. Un jeu très complet en termes de mécaniques, c’est clairement un jeu dans le jeu.
Et un jeu qui marche vraiment bien. Personnellement, je suis le genre de personne qui a toujours envie de découvrir l’étape d’après dans un jeu de survie. L’accumulation des ressources, les nouvelles constructions, les améliorations, c’est quelque chose qui peut me tenir en haleine pendant des heures. Alors si on y ajoute des animations dont je ne me lasse pas, des tonnes de choses à découvrir, des personnages amusants et un ersatz du gameplay beat’em all des anciens Yakuza, j’ai de quoi être comblé.
J’étais tellement à fond dedans que j’ai passé une dizaine d’heures uniquement sur ce jeu sans revenir à Honolulu. Ce qui a d’ailleurs totalement cassé l’économie du jeu qui était plutôt bien ajustée jusque-là. En revenant pour la suite de l’histoire, j’avais quelque 300 000 dollars en poche, me permettant d’acheter moult améliorations sans me soucier de tomber dans le rouge. Le seul petit point noir, c’est que je trouve assez moches les bâtiments indispensables au développement économique de l’île. J’aurais aimé avoir le choix entre l’urbanisation de l’île et la capacité de la conserver presque sauvage. Ceci étant dit, c’est partiellement lié à un cruel manque de goût de ma part, car en visitant les îles d’autres joueurs, j’ai pu voir un résultat bien plus convaincant.
Bon, autant dire qu’après tout ça, mon nombre d’heures s’est envolé alors que je n’étais même pas arrivé au tiers du scénario principal. Mais je n’allais pas m’arrêter en si bon chemin, et je me suis donc plongé dans les quêtes secondaires. Elles sont un des gros points forts de la série, alternant entre histoires déjantées et récits touchants. Infinite Wealth n’échappe pas à ce mélange et propose une multitude de petites histoires. Sympathiques pour la plupart, agaçantes pour quelques unes et géniales pour d’autres, elles sont dans l’ensemble agréables à suivre et pas trop longues. D’ailleurs, elles sont l’occasion de constater que tout le monde parle japonais : on en avait déjà les prémisses dans l’histoire principale, mais là c’est vraiment le summum de l’incohérence. Ceci étant dit, la plupart des œuvres américaines utilisent le même procédé, je ne vais donc pas m’attarder sur ce point.
En tout cas, certaines resteront sans aucun doute parmi les meilleures de la série. Bon, on a le groupe de rock qui cherche à déclencher une tempête pour un clip, le gamin qui vend de la citronnade, la transmission d’une lettre d’amour à un lycéen enterré dans le sable, devenir serveur, aider une ancienne star d’un sous-genre de métal étrange devenu un adepte de la musique pop classique, etc. Ca, ce sont les quêtes sympathiques, mais pas marquantes non plus. A côté, on a par exemple le papy qui cherche à faire de la neige pour faire plaisir à sa femme mourante – celle-là, elle pique les yeux aussi fort que les oignons –, le retour d’un certain personnage toujours aussi drole, etc.
Mais à côté de ça, certaines sont vraiment des plaies. D’ailleurs, les donjons font eux aussi leur retour, et c’était franchement dispensable. S’ils permettent de rencontrer Robot Michio qui est vraiment devenu une icône depuis Yakuza 6, ils sont toujours aussi fades et inintéressants. Des couloirs moches, où on tape des méchants et on ramasse des trucs, c’était franchement pas nécessaire. Et pourtant, ils deviennent obligatoires lorsqu’il faut farmer à certains moments du jeu qui sont de vrais gaps de difficulté. À ce propos, le jeu est beaucoup plus gentil là-dessus puisqu’il indique un niveau recommandé lors de l’apparition de ces bonds de difficulté.
Ça me semble être le bon moment pour aborder une question cruciale : en voulant faire le jeu le plus conséquent de la licence, est-ce que Ryu Ga Gotoku Studio n’en a pas trop fait ? Parce que oui, assurément, le jeu porte très bien son nom. J’ai facilement pu passer une trentaine d’heures sans jamais toucher à la quête principale, au point où j’en avais presque oublié les enjeux. Et autant dire que c’est une sensation étrange, surtout après avoir eu une expérience concentrée sur le scénario avec The Man Who Erased his Name. J’en viens finalement à me demander si cette profusion de contenu ne vient pas entacher l’expérience globale.
Bien sûr, tout est optionnel et rien ne m’obligeait à tout faire d’un coup, mais j’avais aussi la possibilité de procéder comme ça. Et avoir un contenu secondaire qui dépasse en longueur l’écrasante majorité des jeux, est-ce vraiment une bonne chose ? La question n’appelle pas à une réponse tranchée, mais je pense que l’intensité dramatique en prend un coup. Surtout que le scénario laisse exprès de gros ventres mous : la recherche de la mère d’Ichiban piétine pendant un bon moment, et c’est clairement une incitation à aller faire autre chose. Le rythme du scénario est constamment en dents de scie, et c’est sans aucun doute le plus gros problème du jeu. L’intensité grimpe rapidement, puis redescend subitement, avant de remonter progressivement, pour retomber aussi sec, et ce, pendant une bonne partie de l’aventure. Ça donne l’étrange impression que tout ça aurait pu être condensé, d’autant plus dans une période où les excellents jeux abondent sans cesse.
Et puis… on arrive au chapitre 8. Bon, on pouvait aisément le deviner, mais Ichiban partage cette fois-ci la tête d’affiche avec Kiryu, qui est jouable lui aussi. On l’incarne pour la première fois au chapitre 8, qui va beaucoup détonner avec ce que le jeu proposait comme ambiance jusque là. Mais avant d’approfondir le sujet, j’aimerais tout de même raller un peu, parce que j’ai une profonde aversion pour ce genre de narration. Alterner les points de vue de chapitre en chapitre, je trouve personnellement que ça tue le rythme, ça nous force à nous remettre dans un autre contexte et ça crée plus de frustration qu’autre chose. Evidemment qu’il est difficile de faire autrement, car les révélations ne seraient pas aussi fluides autrement, mais cette alternance demande un gros effort pour se replonger dans tel cadre à tel moment. Passer de Kiryu à un moment fatidique à Ichiban en remontant dans le passé, ça brise la tension dramatique. Et alors qu’elle est de nouveau installée après de graves événements, on revient de nouveau à Kiryu et ainsi de suite. Un enchaînement logique, mais qui dessert l’intensité de la narration.
Attention toutefois, ça n’empêche en rien chacune des deux parties d’être dotées d’un excellent scénario. Ce Like a Dragon apparaît presque comme un épisode transitoire, celui du passage de flambeau entre Kiryu et Ichiban. Même si je trouve que leur relation peut sonner faux à certains moments parce qu’ils n’ont pas tant été en contacts que ça, voir Kiryu être autant affaibli et enfin compter sur les autres m’a vraiment ému. Je sais que je le repete souvent, mais après avoir passé une centaine d’heures avec lui, forcément le lien est particulier. Et le voir ressasser le passé comme il le fait, ça nous fait nous aussi, en tant que joueur, revoir tous les événements des précédents. C’est d’ailleurs pour ça que ce jeu est pour moi le pire pour commencer les Yakuza : sans attachement envers Ichiban ou connaissance de la vie de Kiryu, tous ces instants nostalgiques n’ont sans doute aucun effet.
Bref, on arrive au moment fatidique de la fameuse « liste de choses à faire avant de mourir » annoncée dans un trailer dédié. Du haut de sa cinquantaine, Kiryu commence à être vieux. Pire, il est malade et envisage la mort. On le ressent bien dans sa façon de parler, dans son manque d’espoir pour la suite. Le Dragon de Dojima est condamné, et tout ce qui lui est cher fait désormais partie de son passé. C’est un véritable crève-coeur de le voir comme ça, et ce n’est que le début.
Parce que cette fameuse liste commence avec des éléments assez banals. On va à un endroit, on a un petit texte nostalgique sur un élément présent dans l’un des précédents jeux, et voilà. Mais au bout d’un moment, lorsque Date vient à sa rencontre, ces objectifs secondaires prennent une autre ampleur. Kiryu est invité à « être présent à [s]on propre enterrement », comme il le dit lui-même. Retrouver des personnages croisés dans les précédents opus et les écouter raconter ce que Kiryu représente pour eux sans qu’il ne puisse aller leur parler, c’est vraiment trop d’oignons pour mes yeux fragiles. Enfin, en tout cas, à partir du moment où on oublie que le fait qu’il soit vivant ai été révélé sur une chaîne avec cinq millions d’abonnés, et que sa couverture est totalement tombée à l’eau. En réalité, rien ne l’empêcherait d’aller parler à tous ces gens à qui il tient et ça peut devenir frustrant, notamment lorsque la personne concernée est sans aucun doute celle qu’il aime le plus.
Voir un Kiryu vieillissant et un Kasuga flamboyant, c’est faire le deuil d’une histoire à son crépuscule. C’est accepter que les choses changent et ne seront plus comme avant. Tout est fait dans Infinite Wealth pour nous le rappeler, et je crois bien que l’ambiance globale est la plus mélancolique de la série, devant le 6 qui avait pourtant mis la barre assez haute. C’est un jeu que les fans vont probablement avoir du mal à digérer, et qui restera longtemps dans les esprits.