J’ai peur de plein de choses dans la vie : des araignées, du vide, de mon compte en banque, de l’abandon, des brocolis et de tout un tas d’autres trucs. Mais s’il y a bien quelque chose qui ne m’a jamais effrayé, même tout petit, c’est l’école. Et me voilà pourtant terrifié devant cette vision horrifique représentée dans Little Nightmares 2, et principalement de l’institutrice qui surveille des enfants aussi dangereux qu’elle.
Vous la voyez, là, à gauche sur l’image ? Elle sera votre pire cauchemar. Je ne saurais expliquer ce qui la rend aussi horrible dans son design, mais une chose est sûre : cette institutrice et son cou extensible sont si effrayants qu’ils traumatiseront tous les joueurs ayant posé leurs mains sur Little Nightmares 2. Second antagoniste du jeu, elle est à l’image du sentiment parsemé tout au long de l’aventure : un malaise permanent. Face à un univers aussi froid, aussi dérangeant et désespéré, ce n’est pas forcément la peur qui prévaut. Mais tenez-le pour acquis, il est impossible de rester de marbre devant les horreurs qui régissent cet univers. Un ressenti rarement éprouvé, tant les jeux allant aussi profondément dans le repoussant sont peu nombreux. C’est simple, de toute ma vie de joueur, vivre ce genre d’expérience à un tel niveau d’intensité m’est arrivé si rarement qu’il m’est possible de les compter sur les doigts d’une main – voire deux, mais pas plus.
Car il faut bien le dire, cet univers donne la chair de poule. En mettant les petits plats dans les grands, les Suédois de Tarsier Studio ont décidé de faire plus vaste et plus beau. Là où on ne voyait l’extérieur qu’à deux occasions dans le premier opus, Little Nightmares 2 commence directement à l’air libre. Les développeurs ont donc dû se creuser les méninges pour créer une tension, tout en mettant de côté la claustrophobie de son aîné. Une tentative parfaitement réussie, tant les environnements nous écrasent. Que ce soit cette forêt oppressante ou cette ville gigantesque, chaque décor contraste avec la petite taille de Mono et étouffe le joueur. Un désarroi exacerbé par les visuels, qui sont tout simplement époustouflants : tant techniquement qu’artistiquement, Little Nightmares 2 propose un voyage dépaysant, certes glaçant mais néanmoins magnifique. En plus d’une incroyable gestion des lumières, chaque décor fourmille de détails et s’avère sublimé par une direction artistique ébouriffante. Chapeau bas aux artistes.
N’oublions pas de saluer l’excellent sound-design et les musiques, composées par Tobias Lilja. Déjà derrière les tables de mixage pour le premier opus, le compositeur réitère la prouesse d’accompagner à la perfection les horreurs qui se déroulent sous nos yeux. Car oui, le son est primordial dans Little Nightmares 2. Par exemple, les ennemis émettent un son avant d’attaquer, une sorte d’alerte du malheur imminent. Et même lorsque le silence devrait être roi, toute une palette de sons viennent continuellement immiscer dans l’esprit du joueur les dangers qui l’entourent. Un plancher qui craque, une porte qui grince : chaque petit élément du sound-design apporte une musicalité menaçante. Autant avec vos yeux qu’avec vos oreilles, vous serez toujours sur vos gardes, à l’affut du moindre risque. Une déception d’autant plus grande de ne pas voir le son devenir une mécanique de gameplay. Utilisé dans le premier opus pour distraire certains vilains, le bruit ne sert ici qu’à renforcer l’atmosphère oppressante.
Tout dans le jeu a été pensé pour vous faire ressentir un danger constant. Vous êtes la proie. Vous ne pourrez pas taire la présence de ces prédateurs qui veulent votre peau. De l’aveu même de Dave Mervik, toute l’équipe n’est pas forcément d’accord sur ce qui crée la peur – la vraie, pas celle où vous sursautez tel un chat devant un concombre. Mais là où tous ses membres semblent se rejoindre, c’est sur la volonté de sortir des sentiers battus, et proposer autre chose qu’un énième jeu centré sur les vampires ou les zombies. De quitter la peur de la chair et du sang, pour aller chercher une peur plus profonde. Celle qui vient du subconscient. C’est dans cette même interview que l’auteur raconte s’inspirer d’« idées carnavalesques » pour donner vie à ses personnages. Laisser tomber les masques – ou plutôt les « coiffures cool et les t-shirts à la mode », ces artifices que l’on utilise pour oublier ce à quoi nous ressemblons au fond. Pour laisser place à un mélange de laideur et de grotesque, né d’une peur primitive. Une peur d’enfant. Et au-delà de cette vision infantile et déformée des environnements et ceux qui y vivent, Tarsier Studio cherche à mettre le joueur face à sa mortalité.
Car oui, on meurt beaucoup dans Little Nigtmares 2, et la présence régulière de checkpoints n’adoucit en rien l’atrocité des morts de Mono. Et là où le bât blesse, c’est que les échecs sont souvent dus à une profondeur mal calibrée. Beaucoup de soucis du premier opus ont été résolus – qui souffrait à sa sortie de la comparaison avec Inside – et la frustration d’un saut loupé, qui semblait pourtant parfaitement exécuté, a laissé place à une assistance bienvenue. Le titre s’avère bien plus permissif et considérera un bond aux allures bancales comme réussi. Mais par contre, les affrontements, eux, sont une autre paire de manches. Marteau en main, il est possible de coller des beignes à certains ennemis. Mais au prix de grosses gouttes de sueurs et de rage : il arrive bien trop souvent d’être à la merci d’une riposte fatale à la suite d’un coup balancé n’importe comment. Et c’est sans compter les courses-poursuites, où la profondeur amène bien trop fréquemment à se manger un élément du décor, avec pour finalité de se faire dévorer.
Là où Little Nightmares 2 a gagné en durée de vie par rapport à son aîné, il a perdu en originalité : difficile d’échapper à ce sentiment de répétitivité qui s’installe doucement. Une indomptable impression de déjà-vu face au classique enchaînement des énigmes, de l’infiltration puis de la course-poursuite. En découlent des événements prévisibles, amenuisant la peur, bien qu’elle finisse toujours par rejaillir dès l’instant où l’on croise les antagonistes. Fort heureusement, certaines mécaniques viennent briser la monotonie du game design. Malgré leur implémentation parfois hasardeuse, elles soufflent un vent de nouveauté et poussent le joueur à réfléchir autrement. Dans l’hôpital par exemple, la lampe-torche permet de se prémunir des attaques de mannequins qui ne bougent que dans l’obscurité. Une idée qui n’invente rien – hein, Boo ? – mais qui réussit néanmoins à renouveler le gameplay. Renouveler, oui, mais certainement pas améliorer. L’utilisation du stick droit pour diriger la lampe-torche est un véritable calvaire, surtout après les 30h passées sur Luigi’s Mansion 3. Une jouabilité en demi-teinte donc, qui s’avère remplie de bonnes idées mais perfectible.
Et si vous comptiez sur Six pour vous rendre la vie plus facile, vous pouvez vous mettre le doigt dans l’œil (ne le faites pas, ça fait mal). Bien sûr, elle vous aidera à atteindre certains recoins trop hauts pour vos petits bras, mais n’en fera pas beaucoup plus. Alors oui, elle est attachante et parcourir ces sinistres couloirs en duo accroît le sentiment d’inquiétude. Mais Little Nightmares 2 manque d’imagination, tant le potentiel de coopération entre les deux personnages était grand et s’avère inexploité. Les développeurs feront preuve de bien plus d’ingéniosité concernant le scénario, notamment sur sa fin, glaçante à souhait. Sans aucun dialogue, sans aucun élément venant conter l’histoire de ces lieux étranges, la narration environnementale donne suffisamment à réfléchir, et chacun pourra y aller de sa petite théorie. Sans rien dévoiler, je peux vous dire que je suis resté pantois, horrifié même, devant ce final aussi bouleversant que celui d’un SOMA. Sous le choc donc, mais néanmoins soulagé, tant ces six heures de jeu m’ont malmené psychologiquement. Little Nightmares 2 fait partie des rares titres sur lesquels il m’est impossible de jouer plus d’une heure, sous peine de commencer à voir des monstres cachés sous mon lit. C’est dire à quel point il est dérangeant !
Little Nightmares 2 brille parmi les jeux d’horreur de ces dernières années. Bien plus proche d’un Silent Hill que d’un Resident Evil, les horreurs dépeintes vous glaceront le sang et vous resteront en mémoire pendant longtemps. Si son gameplay est encore perfectible, notamment sa gestion de la profondeur, et ses mécaniques manquent de finitions, on sent les efforts de Tarsier Studio pour corriger les défauts de son aîné. La principale nouveauté, à savoir la présence de deux personnages au lieu d’un seul, propose des énigmes intéressantes, mais n’a malheureusement pas montré son plein potentiel. Contrairement à l’ambiance, magnifiée par la direction artistique, qui donne lieu à des moments vraiment incroyables. Rarement un jeu a arboré des décors aussi poisseux et des monstres si dérangeants. Un nom bien porté, tant ce voyage cauchemardesque me restera en tête pour les années à venir.