Chez Amazon Games, on ne fait pas les choses à moitié. Quand on se plante, on le fait bien, et en beauté. Personne n’a oublié (en fait si, tout le monde a oublié) l’extraordinaire Crucible, sorti des écrans plus rapidement que n’importe quel film de Nicolas Cage. Il s’agit du premier ratage XXL du tout jeune studio, qui pensait avec candeur qu’il suffisait d’aligner les dollars pour devenir développeur. A suivi New World, sur lequel le constat est tout de même plus nuancé. Le jeu ne manquait pas de qualité, mais de personnalité. Et il s’est embourbé dans des problèmes d’équilibrage, de serveurs, et de contenu indignes d’une production aussi massive. Oui, il y avait encore en 2021 des éditeurs pour sortir un jeu sans contenu endgame, même après les fiascos Avengers et surtout Anthem, – aussi appelé dans le milieu « quand un gameplay de génie ne sert à rien puisqu’on n’a pas grand-chose à faire avec ». La jurisprudence Outriders a confirmé la tendance : Les Game as a Service ne doivent pas être traités par-dessus la jambe. Arrive donc Lost Ark, sur lequel Amazon s’est prudemment contenté d’être éditeur, et là le testeur narquois et vil que je suis frotte ses mains griffues en poussant un petit glapissement cruel : « jamais deux sans trois ». De l’intérêt de se méfier avant d’arriver trop vite aux conclusions.
Et pourtant tout avait commencé pour le mieux. Dès le lancement, PAF, des problèmes de serveurs, des files d’attente de plusieurs heures. Je voyais mon test d’ici « Après New World Amazon n’a toujours pas compris la leçon, gneugneugneu amateurs, gneugneugneu bien fait ».
Sauf qu’Amazon a géré le coup vitesse grand V – enfin pas tout à fait, disons vitesse petit V – en ouvrant rapidement de nouveaux serveurs, entre autres. Un effort louable, mais hélas insuffisant : sur certains serveurs d’Europe Centrale persistent des files d’attente parfois longues, notamment sur Trixion, hôte de la commu Française. Néanmoins, sur beaucoup d’autres, les files d’attente sont de l’histoire ancienne, et le testeur narquois et vil peut aller se faire cuire un œuf. On peut aussi espérer que selon la jurisprudence New World, ils autorisent un transfert gratuit de compte vers les serveurs les moins peuplés, permettant aux groupes de joueurs un peu coordonnés de se trouver une nouvelle terre d’accueil. Un problème en cours de résolution donc, pour peu qu’Amazon prenne le taureau par les cornes avec énergie, et incomparable avec le désastre New World.
Venons-en au sujet, Lost Ark. Il s’agit d’un jeu développé par Smilegate, qui fait la joie des joueurs coréens depuis 2018, pays dans lequel il talonne League of Legends depuis lors, excusez du peu. En termes de concept, on est face à un hybride hack’n slash/MMORPG, chose qui n’est pas tout à fait nouvelle puisque Path of Exile s’y illustre depuis de longues années. Néanmoins, précisons tout de suite que l’on est plutôt dans l’école Diablo que dans l’école Path of Exile.
Résumons pour ceux qui n’auraient jamais mis les mains sur la saga du grand cornu : vous allez affronter des hordes d’ennemis et des monstres surdimensionnés avec des compétences que vous pourrez débloquer puis customiser à votre goût. Pour ce qui est du cadre, vous êtes un habitant d’Archésia en quête de l’arche perdue pour sauver le monde. Et je pense que vous savez, du coup, pourquoi je ne vais pas m’attarder sur le scénario.
Clavier et souris en main, la mise en bouche est franchement appétissante. D’abord, il y a beaucoup de classes variées que l’on peut tester rapidement avant de choisir. Cela va de la Démoniste à la Spirite (San Goku s’il était une donzelle) en passant par le Pistolancier (armure + énorme flingue, le rêve) : il y en a clairement pour tous les goûts. D’ailleurs, vous avez probablement lu de-ci de-là que le jeu rompait avec la tradition de la Sainte Trinité DPS/Tank/Heal. Or ce n’est pas tout à fait vrai. Certes, aucune classe ne rentre totalement dans une case. Mais, par exemple, le Pistolancier dispose d’une robustesse hors norme qu’il peut communiquer à ses petits camarades, tout comme le Barde peut lancer des buffs et debuffs pour ensuite lancer un soin. Alors bien sûr, la trinité n’est pas aussi marquée que dans les classiques du genre, mais elle est tout de même présente par petites touches. Du coup un groupe de donjon incluant un Pistolancier et un Barde part quand même avec une sécurité supérieure. En revanche, cela signifie que l’essentiel du contenu peut être parcouru en solo, tout personnage pouvant produire un DPS respectable, a minima.
Une fois ce choix cornélien effectué, on nous envoie dans le premier continent. Et là, un point saute littéralement aux yeux : le jeu est superbe. Certes, les antagonistes ou les PNJ ne bénéficient pas toujours d’un soin scrupuleux, mais les modèles de nos avatars et les décors sont magnifiques, ainsi que les PNJ les plus importants – à condition toutefois pour certains d’entre eux d’être réceptifs à l’imagerie K-pop. Je dois avouer avoir sifflé d’admiration quelques minutes après le début du jeu quand, entrant dans une église, la foule s’est fendue pour me laisser passer, une lumière éblouissante passant à travers les vitraux. Et ce n’est pas le seul morceau de bravoure dispensé par l’histoire.
Certes, j’ai dit quelques lignes plus haut que je ne m’attarderais pas sur le scénario, mais en revanche la mise en scène mérite un satisfecit bien réel, puisque si l’histoire racontée est assez classique, la façon de la raconter, elle, est redoutable d’efficacité et d’ambition. Quand on assiège un château, bon sang, on assiège un château ! Et cela contribue grandement au souffle épique qui anime le jeu. Quand bien même peu de scènes sont mémorables dans leurs enjeux, le travail est fait très honorablement, avec par exemple une petite quête croisée tournoi d’arts martiaux + enquête occulte très bien pensée.
Vous allez donc mener votre avatar à travers cette campagne, et le customiser petit à petit. Chaque personnage a un catalogue de plusieurs compétences, dont certaines se déverrouillent alors que l’on monte vers le niveau 55, dernier de la progression (laquelle, en réalité, prend un énorme coup de frein au niveau 50, premier vrai palier du jeu). A chaque niveau, vous en débloquerez donc parfois, et vous obtiendrez des points à répartir dans vos compétences débloquées pour les adapter à votre goût. En effet, chaque compétence vient avec son petit arbre personnel de 3 paliers, avec un choix à chaque étage. Voulez-vous que votre grand moulinet attire, repousse, et ralentisse ? Qu’il fasse plus de dégâts ou plus de protection ? Autant de choix que vous devrez faire pour aboutir à votre build final, soit 8 compétences (que vous ne pourrez évidemment pas toutes maximiser) parmi près de 20, une compétence ultime ET une compétence signature qui se charge progressivement et aura plusieurs variations. Ainsi, à l’activation, le Pistolancier, encore lui, pourra se faire un bouclier individuel extrêmement robuste OU fournir un bouclier à tous ses alliés.
A noter d’ailleurs que le quest design est très malin, puisque vous ne reviendrez quasiment jamais sur vos pas : tout est pensé pour constamment avancer, et sortir de l’impression Fedex qui domine souvent dans ce genre de jeux. De manière générale, le déroulement des cartes est assez rapide et confortable. Ne vous inquiétez pas si par exemple on vous demande de collecter 30 objets, il y a de bonnes chances que l’on vous les donne 5 par 5. Un circuit de la gratification très bien pensé, donc.
Et ce n’est pas tout ! Vous aurez également des cartes, qui vous permettront de débloquer des bonus de sets que vous collecterez en accomplissant des missions, des hauts faits ou des actions secrètes. Des gravures qui renforceront une compétence de classe ou des compétences génériques (comme le chargement de l’ultime), des pierres qui augmenteront votre maîtrise de ces compétences mais en ayant des effets négatifs, des gemmes, etc.
Car si Lost Ark a une qualité, c’est la générosité. Il y a bien sûr la montée jusqu’au niveau 50, qui peut évidemment se faire en suivant la campagne et ses donjons – seul ou à plusieurs. Puis en recommençant avec un autre perso, en payant avec la monnaie du jeu, ou en utilisant l’une des montées gratuites du jeu, qui ont le bon goût de vous faire revivre les grands moments du scénario, permettant ainsi de prendre progressivement le personnage en main. Mais il y a aussi les cartes à collecter, l’artisanat (pas spécialement convaincant du reste), les voyages en bateau pour visiter des iles parfois très originales et riches en butin, une forteresse à faire fructifier pour obtenir de nouveaux boni et envoyer des expéditions toujours plus performantes, des bateaux à récupérer pour s’adapter à tous les types de navigation… il y a de quoi faire.
Ajoutons à cela le système d’affinité, qui ressemble fortement à un système de réputation mais auprès d’une seule personne, à qui il conviendra de jouer de la musique, de faire des émotes, d’offrir des cadeaux, pour débloquer des cartes, des cadeaux ou même des quêtes. Si vraiment on veut être tout à fait complet, précisons qu’il est assez bienvenu qu’il y ait tant à faire, car la pilule du grind est quand même parfois assez dure à avaler. Il faut souvent en passer par de longues sessions de récoltes ou de bashing de monstres, néanmoins allégées par la variété du jeu.
Et je ne vous parle que d’avant le niveau 50 ! Car au niveau 50, c’est la fin du commencement… et le contenu explose. D’abord, une petite alarme configurable vous signale TOUS les éléments communautaires à venir : actions coopératives sur terre ou en mur, missions sur les îles, boss, tout y passe. Mais aussi, et surtout, c’est le début des donjons et des raids. Pour les donjons, vous aurez le donjon en mode horde, idéal pour commencer à s’équiper, puis le donjon plus construit et plus représentatif d’un donjon de MMORPG. Vous pourrez également arpenter les défis de gardien, sorte de chasse à la Monster Hunter, et bien sûr les raids, épiques et bien construits. Évoquons quelques instants le PvP, qui existe sous deux formes dans le jeu : du PvP “organisé”, que l’on trouvera à travers l’Ordalie et pour lequel l’ilevel est ajusté, et le PvP sauvage, uniquement dans certaines îles dument identifiées. Une feature agréable pour les amateurs de bourre-pifs entre joueurs.
A noter d’ailleurs que, la difficulté montant, le niveau exigé aussi, et nous parlons ici du niveau du joueur. On pourra éventuellement regretter que pour monter d’un seuil il faille farmer le précédent pour s’équiper. Mais cela permet de se faire efficacement la main pour les niveaux plus élevés pouvant occasionnellement représenter de vrais challenges, avec parfois des stratégies extrêmement précises et sévères à connaître pour espérer passer. On aura tôt fait de se pencher sur Youtube, ce qui est d’ailleurs l’un des gros points noirs du jeu.
Revenons juste une seconde sur l’exigence d’un certain ilevel pour accéder à un contenu supérieur : nous laissons libre chacun de voir si ce genre de mécanique peut plaire. C’est un classique du MMORPG, où à la sortie de chaque extension le premier objet normal sera bien plus puissant que votre précédent obtenu en raid, sauf qu’ici ce n’est pas à échelle d’une extension. On pourra y voir une mécanique résultant du double héritage F2P + coréen, et chaque joueur verra selon son goût si cela peut lui convenir. En effet, certaines mécaniques ne sont pas toujours expliquées avec une clarté limpide, et la tentation sera dès lors grande de se pencher sur le site de vidéos, notamment pour retrouver certains collectionnables. On peut le regretter ou non, mais cet assistanat nécessaire a quelque chose de très agaçant pour le joueur des années 80 que je suis et qui a découvert les jeux sans qu’on lui tienne la main. Mode vieux con/off.
Et si vraiment on veut être chafouin, on peut aussi relever que l’ilevel repose sur un système d’affinage qui exige des composants perdus en cas d’échec. Or, très tôt, votre taux de réussite sera autour de 70%, ce qui est assez sévère. Par ailleurs, si l’aléatoire ne vous sourit pas et que vous vous trouvez à 20% de réussite au lieu de 70% (avant que vous posiez la question, oui c’est du vécu), vous vous trouverez totalement coincé pour… ben pour rien.
Mais si on résume, on a donc un gameplay très agréable et varié, graphiquement très abouti, un contenu pantagruélique… pour un F2P. Car oui, Lost Ark est gratuit. Se pose donc la question : le F2P est-il aussi bienveillant que dans Warframe, ou alors une délicieuse fausse bonne idée comme dans Genshin Impact ?
Le curseur est plutôt du bon côté, mais pas complètement. En effet, le statut abonné a tout de même quelques menus bénéfices : d’abord, il permet d’utiliser gratuitement les nombreux points de téléportation ainsi que de disposer d’un familier qui vous donne des bonis passifs, un inventaire supplémentaire, l’accès à de nombreux services partout et une fonction aspirateur à loot très appréciable. Mais il permet aussi de payer moins cher les voyages en paquebot, donne un bonus au nombre d’actions quotidiennes pour augmenter les affinités, augmente la récupération de l’énergie nécessaire à l’artisanat ou à votre forteresse, réduit les délais pour cette dernière, et autres menus avantages qui ne vous disent probablement pas grand-chose si vous ne jouez pas au jeu, mais qui contribuent à davantage de confort général. Cela étant, on est très loin de certains excès indignes, et il est tout à fait possible de jouer gratuitement dans de très bonnes conditions.