Bien avant que je ne commence à publier sur Internet, j’ai été profondément touché par Gris. Nomada Studio fait partie de ces rares spécimens à être des « studios d’artistes ». Ça peut sonner péjoratif quand on parle de jeu vidéo, mais c’est tout le contraire de ma pensée : Gris m’avait transporté grâce à ses visuels, son ambiance, sa musique, comme peu de jeux ont réussi à le faire. J’ai été sensible aux thèmes du jeu grâce à leur représentation esthétique, qui en plus me parlait intensément pour des raisons personnelles. Et attention, je ne dis pas que le gameplay est mauvais. Il avait beau être simple, il était très agréable manette en main. Bref, ça a été une vraie claque qui me reste en tête encore aujourd’hui. Alors, lorsque Neva est sorti, je me suis précipité dessus.
Quand on découvre Neva, on se prend la même claque qu’avec Gris : tout est magnifique. Les décors, les personnages, les animations, la lumière, tout est calibré au millimètre près. Mais ce n’est bien évidemment pas la qualité technique du jeu qui décolle la rétine, c’est bien sa direction artistique. Le choix des couleurs, les contrastes, l’inventivité visuelle nous embarquent immédiatement dans l’aventure. Certes, le jeu est court – comptez entre deux et cinq heures – mais on ne cesse de s’émerveiller devant l’inspiration des artistes de chez Nomada Studio. S’il y a bien un argument majeur dans le fait de jouer à Neva, c’est la marque indélébile qu’il nous laisse à travers notre regard.
Et une fois de plus, la musique accompagne parfaitement l’immersion visuelle. Alors, pour être totalement honnête, j’ai trouvé les musiques plus effacées que dans Gris, mais elles n’en restent pas moins très efficaces pour véhiculer les émotions recherchées par les développeurs. Elle enveloppe notre parcours, souvent avec discrétion, mais toujours avec efficacité.
Tout cela aboutit à une ambiance vraiment unique, que seul Gris avait réussi à créer jusque-là. Oui, je sais qu’en seulement quelques lignes, les comparaisons fusent de partout et que cette critique ne semble analyser Neva qu’à travers l’expérience vécue avec son prédécesseur, mais force est d’admettre qu’elles sont très similaires : si Neva est plus poussé que son aîné dans ses mécaniques de gameplay, plus riche dans ses visuels et globalement plus complet que le précédent jeu de Nomada Studio, il n’en reste pas moins une continuité évidente dans l’évolution du studio. Une progression qui se ressent à chaque instant, et qui s’avère loin d’être déplaisante.
Parce que là où elle se ressent le plus, c’est bien à travers le game design, notamment sa richesse. Dans Gris, on était surtout confronté à des phases de plateforme relativement banales si on met de côté l’incroyable prouesse artistique du jeu. Ici, le changement est radical puisqu’on a carrément des phases de combat. Armé d’un sabre et aidé par sa fidèle mi-louve mi-cerf, notre personnage peut attaquer et esquiver. Bien entendu, on reste sur quelque chose de très simple, mais qui vient apporter une légère profondeur supplémentaire. Les ennemis ne sont pas bien compliqués à terrasser, mais certains combats de boss envoient du lourd et quelques passages plus difficiles m’ont fait recommencer plusieurs fois. Ce qui n’est absolument pas désagréable, car tout est rendu très agréable manette en main : le personnage bouge bien, les animations sont d’une fluidité rare, on prend plaisir à jouer à chaque instant. D’autant plus que les quelques loupés possibles restent rares : on récupère de la vie en tapant sans se prendre de coups et les checkpoints qui restaurent l’intégralité de la barre de vie sont nombreux. Pas d’inquiétude à avoir si vous pratiquez occasionnellement le jeu vidéo, ça reste largement surmontable.
D’autant plus que Neva a la bonne idée de proposer une mécanique par niveau. Dans l’un, vous contrôlerez votre reflet, dans l’autre vous utilisez des sortes de portails à traverser pour passer d’un coin de niveau à un autre. Bref, on sent que les développeurs avaient envie de diversifier l’expérience, et c’est effectivement le cas. Seul bémol si on peut le dire ainsi, c’est que cette variation dans les mécaniques arrive finalement assez tard dans le jeu : la première moitié consiste principalement à avancer et tuer les ennemis sur votre chemin. Il n’empêche que cette façon de faire permet d’avoir une sensation de progression agréable.
Et comme on est deux – notre personnage et la louve qui l’accompagne –, on crée un attachement fort entre les deux protagonistes. Neva, le nom de la louve, obtient au fil du jeu différentes capacités indispensables à la progression. Elle permet par exemple de sauter plus loin, de briser des murs, etc. En l’incorporant au gameplay, Nomada Studio réussit à lui donner de l’importance à la fois via le scénario et le jeu en lui-même. Encore une fois, une très bonne idée, qui renforce l’attachement envers l’animal – qu’on peut caresser et appeler.
Pourtant, s’il y a bien un point noir qui vient ternir le tableau jusqu’ici sans faute de Neva, c’est bien ce qu’il raconte. Avant toute chose, il faut bien comprendre que cet aspect du jeu repose sur de la subjectivité la plus totale. Le scénario de Neva, tout comme celui de Gris, est principalement une histoire d’interprétation, de symbolisme et de rapport personnel avec les thématiques du jeu.
Si Gris m’a autant touché, c’est sans doute car il résonnait avec une expérience personnelle. Ce que j’en ai compris, c’est principalement ce que j’y ai projeté avec mes réflexions, mon vécu et mon ressenti. Il en va de même pour Neva : certains éléments sont assez clairs sur le message du jeu, mais comme la narration n’est pas explicite, il est possible d’y appliquer un prisme personnel. Sans dialogue, sans explication, la marge est suffisamment grande pour que deux personnes en aient une vision différente.
Neva m’a beaucoup moins pris aux tripes que Gris. Le message est beau, sans aucun doute. On s’attache à cette louve qu’on aime dès les premières secondes du jeu, qu’on voit grandir et avec qui on traverse toutes ces épreuves. Cependant, le jeu manque d’éclaircissements sur les sujets qu’il aborde. On ne sait pas vraiment ce que l’on combat, ni ce que c’est censé représenter. L’histoire en elle-même est relativement limpide, mais lorsqu’il s’agit de savoir ce qu’elle raconte, c ’est une autre paire de manches.