Intéresser les joueurs à travers des pavés de texte est devenu un exploit herculéen. Comme le disait Robert Kurvitz, l’un des créateurs de Disco Elysium, « Personne n’a envie de lire, putain. » et c’est peut-être pour cette raison que le point’n click manque de représentants depuis plusieurs années, malgré quelques petites pépites plus ou moins connues – et surtout, paradoxalement au fait qu’on passe notre temps à scroller du texte sur internet. Ainsi arrive Norco, qui oscille entre le très bon et le « Hein ? Quoi ? ».
Dans ce monde dystopique, on incarne Kay, jeune fille revenue dans sa ville natale après le décès de sa mère. Elle va rapidement se rendre compte que son frère a disparu, et que sa mère cachait bien des secrets. Accompagné de son fidèle Ouistiti, singe en peluche, et de Million, un robot de sécurité reconverti en robot à tout faire, elle va donc se mettre à la recherche de son frère et de réponses.
Difficile d’en dire plus sans divulgâcher ce qui fait le sel du jeu, mais s’il y a bien une chose à retenir, c’est que Norco bénéficie d’une écriture savoureuse. Les dialogues sont tantôt drôles, tantôt percutants et jamais ne souffrent d’inutiles longueurs. Par exemple, alors que l’on fouine près d’une discothèque, on tombe sur un gars croisé un peu plus tôt. On l’avait à ce moment-là incité à manger un hot-dog – qu’aucun instinct de survie ne permettait de manger sereinement – et en insistant un brin, il nous raconte les péripéties qui en ont découlé. Il dévoile alors une situation rocambolesque, à base de course poursuite avec la police après avoir déféqué dans une limo faute d’avoir trouvé des toilettes. Et quelques minutes plus tard, le jeu change subitement de registre lorsque l’on atterrit dans une secte rejointe par des adolescents paumés qui croient en la parole d’un faux prophète prêt à construire une fusée pour quitter notre planète bleue. Ubuesque, certes, mais dramatique pour de nombreuses raisons que je vous laisserais le plaisir de découvrir.
Norco abonde de ce genre de dialogues presque kafkaïen où le pittoresque se mélange au drame. Avec sa belle galerie de personnage, on entre facilement dans l’histoire et on devient rapidement happé par une soif de compréhension de cet univers si saugrenu. Par cet aspect, il rappelle Disco Elysium, malgré un aspect politique très en retrait, une constance dans l’absurde – là où le jeu de ZA/UM oscille perpétuellement entre déjanté et enquête policière – et surtout une grande part de mysticisme. Parfois à ses dépens, mais on y reviendra. Point important à noter toutefois, le jeu dispose désormais d’une traduction française, de qualité qui plus est. Le langage joue avec les mots, rend chaque personnage identifiable à sa façon de parler – malgré l’absence de doublage – et octroie un plaisir de lecture digne d’un bon roman. J’aimerais d’ailleurs saluer la réactivité des développeurs, qui ont proposé des traductions dans plusieurs langues en un temps record. Pour un jeu indé et le nombre de lignes de texte, c’est une performance incroyable et des plus louables.
Mais l’écriture ne suffirait pas à dépeindre le monde de manière aussi clairvoyante que son pixel-art. De toute beauté, les visuels du jeu sont certes fixes – on est quand même sur un point’n click tout ce qu’il y a de plus simple – mais offrent à cette ville de Louisiane des décors dignes d’un Backbone. Pas de HD 2D ou d’effets de lumière chatoyants, mais simplement un choix de couleurs et une composition qui imprègnent immédiatement le joueur de cette âpreté venue d’un coin paumé des États-Unis. La musique n’est pas en reste malgré sa discrétion : elle incorpore dans le jeu une ambiance particulière et donne un ton bien spécial aux environnements. Ce n’est pas une bande-son qui restera dans les mémoires, mais elle remplit son rôle à la perfection. Et c’est tout ce qu’on lui demande.
Mais tout n’est pas rose dans cette petite ville qui existe aussi dans la vraie vie. À commencer par son scénario : si l’écriture bénéficie d’un soin exemplaire, il en va autrement de l’histoire en elle-même. Au départ, on s’immerge rapidement dans l’univers. On récupère des indices ici et là, on apprend à connaître les personnages, et on rassemble doucement les pièces du puzzle. On pense finir par les regrouper, et là, le drame arrive : la fin tombe soudainement. Les réponses qu’on pensait obtenir n’arriveront finalement jamais. En découle une énorme frustration, et ce, pour deux raisons.
D’une part, l’arrivée du générique donne une impression de bâclée, comme si les développeurs ne savaient eux-mêmes pas comment mettre un point final à leur histoire. Il n’y a rien d’incohérent ou de surprenant, mais après avoir passé toutes ces heures (seulement 8 en réalité) à essayer de comprendre la toile de fond, c’est forcément décevant. D’autre part, beaucoup de questions restent sans réponse. Ce n’est pas nécessairement un mal, surtout avec la quantité de phénomènes étranges qui se produisent. Mais n’avoir aucune piste concrète de réflexion ou même un semblant d’explication autre que « Ce truc-là ? Boh, ça vient probablement de l’espace », ça reste un peu en travers de la gorge. Surtout que la montée en puissance des événements laisse croire à un final rempli de révélations, mais non. C’est une simple suite logique des actes précédents, et une conclusion sommaire. Certes, il y a plusieurs fins, mais pas de quoi rassasier sa curiosité.
L’autre point qui pourra en décevoir d’autres réside dans le gameplay. Norco se présente comme un point’n click des plus classiques dans la catégorie « narratif et pas difficile ». Si on a un inventaire, il ne sert qu’à stocker des objets qu’on utilise quelques minutes après l’avoir ramassé. Quelques mini jeux viennent diversifier les situations, mais là encore, rien de transcendant. Il s’agira par exemple de bouger un téléphone de gauche à droite ou d’enregistrer une phrase dans un dialogue pour le faire écouter à un personnage. Ce qui est dommage, car les quelques affrontements (au tour par tour) présents dans le jeu laissaient entrevoir un certain potentiel : chaque attaque des membres de votre groupe correspond à un mini jeu. Sauf que ça se limite en réalité à deux choix : faire un Simon, ou un jeu de rythme basique. Dans l’ensemble, les actions effectuées dans le jeu par le joueur sont anecdotiques. Ne vous attendez donc pas à retrouver l’expérience d’un The Red Strings Club, qui réussissait à allier gameplay et narration.