Je suis un grand fan des Prince of Persia. Alors, pas le tout premier, parce que je ne suis pas forcément friand de rétro, même si je reconnais aisément les qualités créatives du jeu. D’ailleurs, je vous recommande chaudement le livre de Jordan Meschner sur la création du jeu, parce que c’est vraiment passionnant. Mais je parle bien des Sables du Temps, qui a bercé mes jeunes années. On pourrait se dire que j’étais facilement impressionnable. Cependant, même aujourd’hui, je trouve peu de jeux qui propose quelque chose d’aussi original. Le fait de pouvoir revenir dans le temps, les phases de plateformes, les pièges, l’ambiance, et puis surtout, le fait de pouvoir revenir dans le temps ou le ralentir, je trouvais ça vraiment dingue. Ceux d’après dans la trilogie m’ont moins marqué – ou en tout cas pas forcément par leur innovation – mais restent très qualitatifs.
Sauf que depuis… c’est la débandade. Le jeu de 2008 n’a rien gardé du charme des précédents. C’est pas un mauvais jeu en soi, mais ça n’en fait pas un bon jeu non plus, loin de là. Le jeu est passable tout au plus, et ne laisse pas un souvenir impérissable. On a ensuite eu en 2010 Les Sables Oubliés, qui le sont malheureusement restés. Un remake des Sables du Temps est censé arriver à un moment, mais ça semble mal barré. Bref, le prince de Perse subit une terrible traversée du désert depuis 2010. Jusqu’à aujourd’hui.
Quand le premier trailer de The Lost Crown est dévoilé en juin 2023, je dois bien avouer que je ne saute pas de joie. Pourtant, on a Ubisoft Montpellier aux commandes, à qui l’on doit les récents Rayman et Soldats Inconnus, un studio qui avait de quoi inspirer confiance. Malgré cet indicateur, difficile de s’enthousiasmer face à une direction artistique pas folichonne à première vue, une musique qui ne collait pas du tout à ce qu’on pouvait attendre d’un jeu Prince of Persia, et un gameplay trop peu présent pour s’en faire une idée précise. Forcément, ma joie de retrouver la licence était largement atténuée. Alors quand j’ai lancé le jeu, quelle ne fut pas ma surprise.
Bon, la première chose qu’on remarque, c’est cet aspect « jeu mobile », relevé maintes fois et utilisé pour critiquer le jeu. Pour être honnête, j’ai également ressenti cette sensation au début. Parce que certains choix au niveau des visuels, comme les dialogues hors cinématiques où les lèvres des personnages ne bougent pas, peuvent effectivement donner l’impression qu’on est face à un « petit » jeu. Sauf que ce sentiment disparaît rapidement : non, on n’est pas sur un monstre technique, oui, on est bien loin d’un Ori ou d’un Hollow Knight, mais le jeu n’est pas moche pour autant. La direction artistique propose régulièrement de très beaux décors, qui sont en plus assez variés. Si la modélisation des personnages n’est pas exemplaire, c’est vite contrebalancé par la fluidité du jeu qui tourne comme un charme même sur des machines peu puissantes, et par la créativité des artistes. Et surtout, le gameplay permet très vite de voir au-delà.
On s’en rend compte dès les premières secondes : Sargon, le personnage qu’on incarne, bouge avec agilité et répond au quart de tour à chacun de nos mouvements. On saute, on frappe, on esquive, on pare, on virevolte, tout ça avec aisance et une fluidité exemplaire. C’est sans doute difficile de se le représenter via une vidéo, mais le constat est limpide manette en main. On dispose d’assez peu de mouvements au début, néanmoins cette base donne déjà un plaisir immédiat.
On conclut donc l’introduction qui amène un scénario plutôt convenu : Sargon fait partie d’un groupe de guerriers d’élite appelé les immortels qui combat les ennemis du royaume de Perse. Lors d’une fête pour célébrer la défaite d’un général ennemi, notre mentor nous trahit et kidnappe le prince de Perse pour l’emmener à la citadelle du Mont Qaf, dont le nom me rappelle indubitablement de longues heures passé à me battre avec l’administration. Évidemment, on la poursuit, accompagné des autres immortels, sauf qu’une étrange malédiction touche la citadelle et bouleverse le passage du temps sur les lieux. Et cerise sur le gâteau, tout n’est pas aussi simple qu’on voudrait le croire.
Alors, sans trop en dire pour ne pas spoiler, j’ai été agréablement surpris par le scénario. Il est bourré de poncifs et ne sort jamais complètement des sentiers battus, mais comme je ne m’attendais à rien – ou du moins à ce qu’il soit totalement anecdotique – j’ai eu mon lot de bonnes surprises. Les développeurs ont l’air de bien connaître les fans de Prince of Persia, parce qu’ils prennent à revers beaucoup d’attentes. L’antagoniste principal utilise par exemple les pouvoirs du prince dans les Sables du Temps, joli clin d’œil qui s’insère parfaitement dans le récit. Autre exemple : on n’est plus du tout dans l’ambiance Mille et Une Nuits des Sables du temps. On est cette fois plongé dans la mythologie persane avec tout ce que ça implique de dieux et autres éléments fantastiques. Beaucoup d’éléments de lore sont disséminés partout sur la carte, et sont plutôt intéressants. Ceci dit, j’ai malgré tout un problème avec eux : on se retrouve à lire des gros pavés de textes sans aucun contexte et sans aucun rapport avec la choucroute. Les histoires racontées à travers les collectibles sont sympathiques en elles-mêmes, mais j’aurais trouvé ça plus intéressant d’avoir des sous-intrigues plus complètes, plutôt que des gros bouts de textes qui brisent le rythme et semblent un peu sortir de nulle part.
Pour en revenir à l’histoire, un des moteurs de mon appréciation réside dans la mise en scène, que j’ai trouvé sacrément réussie. Malgré l’aspect technique assez simple, on a quand même le droit à de superbes cinématiques bien rythmées, suffisamment longues pour s’en prendre plein les yeux mais aussi suffisamment courtes pour ne pas casser le rythme. On ressent la puissance grandiloquente des ennemis, les caméras sont bien placées, ça bouge bien. En somme, c’est vraiment très agréable à regarder.
Les doublages sont d’ailleurs très sympas et accompagnent bien tout ça, malgré un ton que je trouve peut-être un peu trop solennel. Les voix collent bien aux personnages, mais les échanges manquent un peu de naturel. La grosse surprise vient surtout de la présence de doublages persans ! Voilà qui mérite d’être relevé tant c’est rare, et qui donne de quoi totalement s’immerger dans l’ambiance. Et pour finir sur l’aspect sonore, les musiques sont très sympathiques, quoiqu’un peu effacées. Elles se font souvent discrètes, même si le peu qu’on entend en tendant l’oreille rend honneur à la fois au cadre et au genre du jeu. La bande son a été composée majoritairement par deux personnes : Gareth Coker, qui nous a déjà fait plaisir avec les jeux Ori, et Mentrix, une compositrice d’origine iranienne. Leurs deux genres se mélangent à la perfection et les musiques sont vraiment très très cooles. On peut notamment le remarquer quand survient un combat de boss.
Parce que oui, pour résumer simplement, ils décoiffent. The Lost Crown est agrémenté par de nombreux combats de boss, qui apportent pour la plupart des idées intéressantes. Déjà, les designs de la plupart des boss sont réussis, exception faite de quelques-uns qui peuvent laisser circonspects. Si ceux du début sont assez banals dans leurs attaques, la difficulté crescendo rend ceux d’après bien plus riches et donc amusants à combattre. Très clairement, ces combats sont l’un des meilleurs points du jeu.
Ils sont rendus possible par la progression très fluide, autant en termes de level design que de difficulté. Concernant l’agencement des niveaux, c’est l’un des éléments où les metroidvania sont généralement attendus au tournant, et ce nouveau Prince of Persia s’en sort aussi bien que les ténors du genre. Chaque niveau a une ambiance bien à lui, des mécaniques bien à lui, un bestiaire bien à lui, bref vous comprenez l’idée : on sait toujours où on est par rapport aux autres lieux. Même si le revers de la médaille, à savoir les nombreux allers-retours, sont d’autant plus irritants que le voyage rapide n’est pas des plus pratiques, on se déplace avec aisance et ça ne donne jamais l’impression d’être un calvaire.
Le seul reproche que je pourrais lui faire, c’est sans aucun doute le manque de niveaux vraiment typés Perse. Parce que oui, le début commence bien et on ressent bien la patte Prince of Persia, mais au bout d’un moment quand on tombe sur une forêt, des égouts et des catacombes, on pourrait être dans n’importe quel jeu qu’on ne verrait pas la différence. C’est d’ailleurs un défaut qu’on peut élargir plus globalement à la prise de risque : tout ou presque est réussi, mais tout manque aussi d’originalité. The Lost Crown s’inspire assurément des meilleurs et ça se sent rapidement. Tant mieux d’ailleurs, c’est la preuve qu’Ubisoft Montpellier a bien compris le genre metroidvania pour en proposer un condensé de ce qu’on peut y trouver de mieux. Mais du coup, on n’est jamais bousculé par le jeu. On n’est jamais surpris, on ne sort jamais de notre zone de confort.
Bon, en réalité, ce n’est pas tout à fait exact, car quelques passages sont très bien pensés et, à ma connaissance, jamais vu ailleurs. Mais disons que pour les 95 % restants du jeu, pour peu que vous ayez déj à joué à Hollow Knight, Ori, ou même à Blasphemous, vous serez comme à la maison en deux temps trois mouvements. Et même sans parler du game design, un exemple tout bête : l’équivalent des bancs dans Hollow Knight ou des feux de camp dans les Souls, en gros les endroits qui permettent de récupérer sa vie, ressemblent comme deux gouttes d’eau aux arbres d’Elden Ring. Même l’élément qui nous indique leur direction semble directement provenir du jeu de From Soft. En soi c’est un détail, mais j’aurais tellement préféré retrouver les fontaines des Sables du Temps. Ça n’aurait rien changé, ça aurait été un clin d’œil amusant, et ça ne s’inspirerait pas de jeux sortis durant la dernière décennie.
Bon, ceci étant, ça n’enlève absolument rien à la qualité du jeu. Je le compare beaucoup à Ori et Hollow Knight, mais il a quelque chose que ces deux là n’ont pas : la progression vraiment fluide. La raison pour laquelle j’ai pris autant de plaisir à le parcourir réside dans cette difficulté toujours bien dosée. Je n’ai jamais roulé sur le jeu, j’ai même souvent dû m’y reprendre à plusieurs fois, que ce soit face à un boss ou une phase de plateforme quelque peu ardue. Mais j’avais toujours le sentiment que j’étais à deux doigts de réussir, et à aucun moment, je n’ai été frustré. Ce Prince of Persia est à la fois doux et corsé, toujours pile-poil au milieu, sans jamais trop basculer d’un côté ou de l’autre. En plus, les options d’accessibilité sont nombreuses, permettant à n’importe qui de régler la difficulté comme il le souhaite. On trouve pas mal d’options à la carte : on peut modifier le timing des parades, augmenter ou diminuer les dégâts que nous font les ennemis, etc, etc.. Donc même face aux quelques gaps de difficultés qu’il y a dans le jeu, il est toujours possible d’ajuster à sa convenance si ça devient trop difficile.
Par contre, j’aimerais quand même râler sur deux éléments qui m’ont manqué. Le premier, ce sont les énigmes un peu trop absentes. Elles sont bien présentes, mais elles se font assez rares et la grande majorité du jeu se divise entre les phases de plateformes et les combats. Chacun de ces deux points est réussi, donc ce n’est pas un drame non plus, mais les phases de plateformes où on ne sait pas comment atteindre l’objectif sont bien trop rares, notamment si on compare avec les Sables du Temps. Le deuxième, c’est justement le manque d’utilisation de mécaniques liées au temps. On en trouve ici et là, et on a même un pouvoir qui permet de faire revenir Sargon en arrière. Mais le game design n’est pas du tout centré autour comme ça pouvait être le cas dans la trilogie des Sables du Temps. Et comme c’est un concept que je trouve génial et rarement utilisé dans le jeu vidéo, c’est clairement une occasion manquée pour ce nouveau Prince of Persia.
Pour finir, j’aimerais parler du prix, qui a pas mal fait réagir. Parce que oui, encore et toujours lui, mais Hollow Knight est à 20 euros, là où Prince of Persia est à 50. Du coup, pour certains, l’aspect jeu mobile et le prix affiché ne vont pas ensemble. Alors, la question est difficile, car comme je l’ai dit dans ma critique du remake de The Last of Us, le prix est trop sujet à des facteurs subjectifs pour être déterminé objectivement. Je ne vois pas bien comment on peut déterminer la valeur d’une oeuvre, si ce n’est par la comparaison avec d’autres jeux. Mais là encore, ça varie énormément en fonction des coûts de production, etc etc. Et en tant que joueur, la situation personnelle de chacun peut influencer la valeur qu’on est prêt à mettre : quelqu’un qui gagne bien sa vie et achète trois jeux par an, c’est pas la même chose qu’un étudiant fauché qui joue à tout ce qui sort.
Ce n’est donc que mon avis personnel sur la question, en rapport bien sûr avec ma situation. Personnellement, sortir 50 euros de ma poche, c’est faire un choix. Mon pouvoir d’achat est assez restreint, et quand je dépense 50 euros pour quelque chose, c’est que je dois sacrifier autre chose. Et pourtant, je regrette absolument pas de l’avoir acheté à ce prix là, car je considère qu’il les mérite totalement. Bon, 40 euros m’aurait semblé être le prix parfait, parce que c’est la première fois que je vois un metroidvania aussi cher. Et pour ceux qui pensent que c’est le double du prix d’un jeu aussi cool qu’Hollow Knight, faut bien voir que le prix d’Hollow Knight est vraiment bas pour la qualité qu’il propose. Doc Géraud avait fait une excellente vidéo là-dessus, que je vous recommande fortement.