Le changement de saison, ça apporte toujours son lot d’émotion. Le pollen et le retour des beaux jours au printemps, le soleil et la chaleur en été, les tons orangers de l’automne et le froid ainsi que les fêtes de fin d’années en hiver. Mais dans Season : A letter to the future, un changement de saison, c’est bien plus que ça. C’est un changement de société, un événement si marquant que l’avant et l’après n’ont plus grand-chose en commun. Notre rôle dans tout ça, c’est de transposer l’imminente fin de la saison en cours. Et c’est sans aucun doute un voyage qui va vous marquer.
Mais avant de parler des aventures d’Estelle, il me semble important d’aborder le contexte du développement du jeu, qui a influencé le résultat final.
Scavengers Studio est un studio indépendant composé d’une quarantaine d’employés créé en 2015. Leur premier jeu, Darwin Project, est un battle royal qui réussit à se forger une petite communauté, sans pour autant être un gros hit. Leur deuxième jeu, Season, va marquer les esprits lors des Game Awards 2020 avec son trailer d’annonce. Une ambiance poétique, une direction artistique à tomber par terre : un jeu indépendant à l’ambition folle pour un studio de cette taille.
Et le voilà désormais disponible depuis le 31 janvier 2023. Sauf qu’entre temps, des informations inquiétantes sont parvenues jusqu’aux oreilles de la presse. Dans un article de GamesIndustry, on apprend que le développement du jeu a été chaotique. Neuf employés – actuels et anciens – ont témoigné anonymement pour dénoncer un environnement de travail toxique, notamment à cause du comportement des deux co-fondateurs du studio, Simon Darveau et Amélie Lamarche.
Il est question ici de harcèlement, de sexisme, et d’humiliation publique. On parle par exemple de remarques sur la tenue, de moqueries envers les femmes, de passages de savon bien fort pour que tout le monde entende, mais aussi d’attouchements sur différentes salariées. Et bien sûr, tout ça sans aucune conséquence pour les personnes incriminées. Le studio, étant relativement petit, n’a pendant longtemps pas disposé d’un service Ressources Humaines. Et même lorsqu’il a été créé, c’est Amélie Lamarche qui occupe le rôle de DRH. En quoi est-ce un problème ? Pour résumer, elle aurait entretenu une relation intime avec Darveau, source de nombreux problèmes. Et si les conditions de travail semblent s’être améliorées depuis la parution de l’article, il est certain qu’il reste encore de la marge avant d’obtenir un environnement de travail réellement sain.
Les plus pragmatiques d’entre vous se demandent probablement quel est l’intérêt d’aborder ce sujet dans le test. Premièrement, parce qu’il me semble important de parler du développement d’un jeu pour comprendre sa valeur. Je suis de ceux qui considèrent que tout est politique. Mais même en mettant cet aspect de côté, il est important de comprendre à quel point ces conditions de travail ont impacté le jeu. On parle ici d’une remise à zéro au milieu du projet et d’idées nébuleuses présentées à des éditeurs mais sans rien de concret derrière. Season est le fruit d’un travail difficile, et les quelques défauts que l’on peut lui trouver viennent sans aucun doute de ces conditions de travail. Maintenant qu’on a bien ça en tête, on peut se lancer dans la fin du monde.
Season : a letter to the future raconte l’histoire d’Estelle, jeune femme décidée à enregistrer le monde tel qu’il est avant le changement de saison. Dans ce monde, un tel événement entraine des conséquences telles qu’il change du tout au tout. Pour explorer cette ère qui touche à sa fin, elle enfourche sa bicyclette munie d’un talisman de protection crée par sa mère. Et c’est ainsi qu’à travers ses yeux, nous allons pouvoir vivre une douce aventure pleine de poésie.
Parce que Season, c’est avant tout une direction artistique à tomber par terre. Dès les premières minutes, les paysages nous supplient de les contempler tant ils sont beaux. Ils n’ont pourtant rien d’original : de la forêt, une vallée, la plage… Mais les couleurs sont tellement chatoyantes que l’invitation au voyage fonctionne complètement. Chaque environnement parcouru a une identité propre, et on s’émerveille régulièrement face à l’ambiance qui ressort de ces lieux presque vidés de toute présence humaine.
Parce que oui, l’ambiance du jeu est unique et c’est elle qui lui confère toute cette puissance évocatrice. La grande majorité du temps, on sera seule avec notre vélo. On enregistre le monde tel qu’il est avant un changement inéluctable, et on se retrouve imprégné de cette poésie silencieuse. Le sentiment ressemble quelque peu à ce qu’on peut éprouver devant Zelda Breath of the Wild, autre ode aux vestiges de temps passés. Season est un jeu qui se ressent plus qu’il ne se joue.
Cependant, cette longue introspection dans un monde en fin de course ne vous empêchera pas de rencontrer quelques personnages attachants. À commencer par la mère d’Estelle, prête à sacrifier au début de l’aventure les souvenirs qu’elle chérit le plus pour protéger sa fille. Par la suite, chaque rencontre apporte son lot d’émotions, que ce soit cette mère dont le mari est décédé ou ce vieux moine résigné à mourir qui va nous partager ses souvenirs. Chacun d’entre eux possède un chara design atypique et une histoire touchante. On ne peut malheureusement en dire de même pour les doublages. S’ils sont bien dans le ton du jeu avec une douceur chaleureuse dans les voix, ils sont néanmoins très peu inspirés et donnent la sensation d’être lus, plutôt que joués.
Mais alors, qu’est-ce qu’on fait dans ce monde onirique ? Et bien, on se balade, principalement, à pied ou à bicyclette. La marche est apaisante et douce, tandis que le vélo donne une agréable sensation de vitesse. Mais l’un comme l’autre souffrent d’une rigidité qui peut s’avérer frustrante. Mal prendre un virage en vélo et se manger un rocher, coupant le mouvement sur le coup, arrive bien plus que prévu. Surtout que, la physique du jeu est, elle aussi, parfois aux fraises, donnant lieu à des situations rocambolesques.
Mais notre rôle dans tout ça est de retranscrire sur papier la fin d’une époque. Alors, équipé de notre carnet, d’un stylo, d’un appareil photo et d’un micro, on va pouvoir enregistrer tout ce qu’il nous plaît. A n’importe quel moment dans le jeu, on peut prendre notre appareil pour photographier un environnement, une personne, un animal. En somme, tout ce qu’on veut. Pareil pour le micro, qu’on peut sortir dès qu’on le souhaite pour enregistrer un son.
Un gameplay simple mais efficace : le jeu nous laisse prendre notre rôle au sérieux, et c’est avec un certain amusement qu’on se retrouve à photographier n’importe quelle architecture originale ou biche qui passe dans le coin. Pour donner une sensation de progression, chaque recoin de la vallée où se déroule la majorité de l’aventure nécessite de remplir une double page pour être « validé ». Objectif pas obligatoire, mais qui satisfera sans doute les complétionnistes. Cependant, il est à noter que le carnet est loin d’être utilisé au maximum de son potentiel : les sons par exemple sont retranscrits dedans avec un dessin sur lequel on peut cliquer pour lancer un son. Il aurait été intéressant d’avoir une sorte de lecteur audio séparé des photos pour être plus crédible. Et, si on peut changer la taille des photos et mettre du texte, la personnalisation des pages reste malgré tout limitée.