Tactics Ogre est un monument du tactical. C’est l’un des fondateurs du genre, et son influence se retrouve dans les jeux les plus réussis, comme Final Fantasy Tactics, Fire Emblem, ou plus récemment Triangle Strategy. Sorti en 1995 sur Super Nintendo et deuxième opus de la série Ogre Battle, il faut attendre son portage sur PlayStation pour le voir débarquer aux États-Unis en 1998. Il arrive pour la première fois en Europe avec son remaster sur PSP en 2011. Et que ce soit sur le plan critique ou commercial, le jeu est un véritable succès : au Japon, il s’écoule à 500 000 exemplaires. Partout dans le monde les notes positives affluent, avec par exemple un 8/10 chez Gamekult ou un 17/20 sur jeuxvideo.com. C’est donc de la version remasterisée sortie sur PS4, PS5 et Switch que nous allons parler aujourd’hui. En plus d’être désormais accessible à un plus grand public grâce à son arrivée sur les consoles actuelles, cette nouvelle version propose des ajouts plus que bienvenus, comme une traduction française, une amélioration graphique et quelques simplifications dans le gameplay. Mais est-ce suffisant pour attirer les nouveaux joueurs ?
La porte d’entrée, celle que l’on ouvre après avoir vu de la lumière, consiste en une introduction rapide sur l’univers où on ne comprend absolument rien, puis le choix de caractéristique d’un personnage. Encore une fois, on ne comprend ni l’intérêt ni les conséquences des choix – moraux, puis religieux – avant de continuer avec une discussion entre trois personnages : Vyce, Denam et Catiua . Les relations entre les personnages s’éclaircissent rapidement : Denam et Catiua sont frère et sœur, tandis que Vyce… C’est Vyce. Mais surtout, on intègre comme information que ces trois jeunes gens font partie des victimes collatérales d’un conflit à l’ampleur démesuré. La vengeance les enjoint à aller assassiner le meurtrier de leurs parents, qui semblerait-il passerait dans le coin avec ses alliés. Sauf que, pas de bol, Lanselot n’est pas le Lanselot qu’ils attendaient, et les deux groupes décident de faire route ensemble pour libérer le Duc Ronwey, le chef des Wallisters, capturé par ses ennemis les Galgatans.
Là, vous vous dites sûrement : « mais, qu’est-ce que c’est que cette introduction où on ne comprend rien ? ». Et vous auriez parfaitement raison. Lorsque l’on découvre pour la première fois le scénario de Tactics Ogre, le sentiment le plus fort est l’incompréhension. On ne sait pas ce qu’on fout là, ni comment ni pourquoi, qui sont tous ces gens, pourquoi Denam et Catiua veulent se venger de Lanselot, pourquoi un mec qui porte le même nom passe par là à ce moment précis, pourquoi Vyce il est tout le temps énervé, qui sont les Wallisters et les Galgatans, tout est confus, au secours, sortez-moi de là. C’est sans doute l’un des plus gros reproches que je pourrais émettre envers le jeu : une subreptice introduction et des dialogues sans contexte forment une entrée aussi âpre qu’une pluie d’acide. Une situation qui dure plusieurs heures avant de voir la lumière au bout du tunnel. Pour avoir les réponses à toutes ces questions, il faut persévérer et faire fi des interrogations qui nous traversent l’esprit.
Oui, c'est pas clair. Mais accrochez-vous, ça vaut le coup.
Parce qu’une fois que les pièces du puzzle sont mises en place, que l’on comprend qui est qui et pourquoi ils font ce qu’ils font, tout le scénario prend une autre tournure. Tactics Ogre raconte une histoire pleine de rebondissements, de trahisons et de dilemmes cornéliens. Peu de jeux peuvent se targuer d’avoir une narration aussi forte, et pourtant fondée sur des personnages en pixel-art avec peu ou prou de mise en scène. Pour vous donner un exemple qui ne divulgâche rien sans le contexte autour, la fin du premier chapitre se termine sur une décision des plus difficiles. Le duc souhaite libérer des travailleurs – pour ne pas dire esclaves – sous le contrôle des Galgatans, en espérant insuffler un vent de révolte parmi les bagnes aux alentours. Sauf qu’une fois arrivé sur place, lesdites personnes refusent catégoriquement, avec comme solide argument qu’ils risquent gros, et qu’un changement de chef ne bougerait probablement rien pour eux. C’est alors qu’un des sous-fifres du duc vous ordonne de les tuer en se faisant passer pour des Galgatans : la barbarie de cet acte ferait son chemin parmi les autres clans, diminuerait l’autorité des Galgatans et octroierait un avantage certain aux Wallisters dans cette guerre où ils sont en infériorité numérique. Sauf que ça signifie aussi tuer des innocents qui n’ont rien demandé et subissent déjà un quotidien infernal. Qui plus est, les répercussions d’une telle manœuvre restent incertaines. Le jeu vous laisse le choix, et les conséquences seront votre fardeau.
Parce que oui, Tactics Ogre propose plusieurs « routes » : vous pouvez choisir d’être un esprit libre, fidèle à ses principes ; ou quelqu’un de loyal, capable des pires actes tant que cela permet à son groupe de remporter la victoire. Et pour être clair, il n’y a pas de bon ou de mauvais chemin : l’un comme l’autre contient autant d’avantages que d’inconvénients. L’univers du jeu est loin de se limiter à un simple affrontement entre gentils et méchant. Il raconte une guerre, et dans une guerre les seuls gentils sont les vainqueurs, ceux qui écrivent l’Histoire. Si les débuts sont difficiles, la richesse d’écriture de Tactics Ogre le place sans nul doute parmi le rare panthéon des scénario vidéoludiques maitrisés, riches, et maniés d’une main de maître par ses auteurs.
Alors, la peste ou le choléra ?
Cette guerre, on va aussi la vivre à travers les batailles qui la parsèment. Comme dit précédemment, Tactics Ogre est l’une des pierres angulaires du tactical, et c’est pour de bonnes raisons. La principale est sans doute son système de combat complexe. Là encore, un temps d’adaptation est nécessaire pour en comprendre les subtilités et en avoir une réelle maîtrise. Parce que la stratégie nécessaire à la victoire doit impérativement prendre en compte chaque élément proposé par le jeu : le placement des troupes, la synergie entre les –très nombreuses – classes, l’utilisation de la magie et des objets, etc. C’est principalement pour cette raison que le jeu s’avère difficile : si certaines rencontres se règlent sans trop se démener, d’autres formeront des pics de difficultés, et la victoire s’obtiendra dans un mouchoir de poche. Ce qui était une force du jeu à sa sortie il y a presque 30 ans l’est toujours maintenant, et les fans de stratégie trouveront aisément leur bonheur.
L’autre phase importante de jeu en dehors des combats, c’est la gestion des troupes. Pour le plus grand plaisir des fans de statistiques et autre pinaillage, la mainmise est totale dans Tactics Ogre. Changement de classe, d’équipement, de compétences, de magies, et même d’élément qui détermine la résistance et la faiblesse d’un ennemi face aux autres éléments est possible, et même indispensable à la création d’une troupe d’élite. Avec l’argent durement gagné lors des affrontements, il faudra donc améliorer vos personnages et en recruter de nouveaux. Car oui, la mort d’un membre de votre équipe est définitive, exception faite de ceux indispensables au scénario. Composante importante mais pas toujours drôle, puisqu’une nouvelle tête dans votre équipe arrive niveau 1, et vous devrez aller le cacher dans un coin de la carte pendant les combats pour éviter un coma – ou pire, un trépas – afin qu’il puisse gagner de l’expérience lorsque la victoire est acquise.
Avancer ou taper ? Telle est la question
Mais alors, que vaut donc ce Tactics Ogre Reborn comparé à ses prédécesseurs, notamment la version sortie sur PSP ? Outre la traduction française réussie, cette nouvelle mouture apporte quelques améliorations plus que bienvenues. L’une des plus importantes réside dans l’amélioration de l’interface, qui faisait certes le job en 1995, mais a désormais pris un sacré coup de vieux. Ainsi, les actions sont plus lisibles, et leur exécution est rendue plus claire. Par exemple, le fait de voir la trajectoire d’une flèche tirée par un arc évite des erreurs frustrantes, voir le nombre de tours qu’il reste à un allié dans le coma avant de trépasser permet de mieux penser sa stratégie, etc. Un effort d’accessibilité qui pourrait déplaire aux puristes et fans de la première heure, mais qui dans les faits était nécessaire pour éviter les injustices des précédentes versions.
De nombreux ajustements ont aussi été apportés à la gestion des personnages. Par exemple, dans le jeu original, certains équipements et objets exigeaient de remplir des conditions pour être utilisés. Plus rien de tout ça ne subsiste, il est désormais possible d’équiper votre guerrier de la magnifique épée que vous venez d’acquérir sans avoir à se prendre la tête sur son niveau ou le fait qu’il possède telle ou telle caractéristique. L’utilisation de la magie et des compétences a été simplifiée, et se base uniquement sur les MP, et le changement de classe d’un personnage ne le ramène pas à la case départ. Une heureuse amélioration, car devoir remonter le niveau d’une nouvelle classe entrainait des combats fortement désavantagés.
Des statistiques de partout.
De ces changements, Tactics Ogre Reborn en est rempli et fait preuve de bonne foi quant à sa volonté d’accueillir un nouveau public. Même l’IA a été retravaillée – que ce soit celle des ennemis ou des alliés – bien qu’il me soit difficile d’en expliquer avec précision la teneur, faute de souvenirs précis sur l’original. À noter aussi la présence de doublages anglais et japonais d’excellente facture, et surtout la réorchestration des musiques. Déjà sublimes à l’époque, elles le sont maintenant d’autant plus et apportent un souffle épique à cette aventure pourtant déjà au sommet sur cet aspect. Du bon ouvrage comme on aimerait en voir plus souvent. Tactics Ogre Reborn efface certains des gros défauts de l’original, et malgré ses défauts qui concernent principalement les débuts du jeu, conserve tout ce qui faisait le charme d’un des pères fondateurs du tactical.