Les jeux d’enquête, c’est comme les bonnes nouvelles. Ça arrive de temps en temps, mais on aimerait que ce soit plus souvent. Après l’excellent Obra Dinn de Lucas Pope sorti en 2018, autant dire que le monde du jeu indépendant tenait son chef de file pour les jeux d’enquêtes. Et son héritier vient tout juste de débarquer : The Case of the Golden Idol.
The Case of the Golden Idol nous emmène au XVIIIe siècle pour enquêter sur une série de meurtres mystérieux. Difficile de résumer l’intrigue sans trop en dire, sachez simplement que le scénario tourne autour d’une étrange statue en or, dotée de capacités fantastiques. Un objet qui va passer de main en main, tout en étant convoitée et utilisée à des fins peu recommandables. Mais en réalité, l’histoire en elle-même importe peu. Aussi surprenant que cela puisse paraître pour un jeu d’enquête, l’histoire est relativement sommaire et l’intérêt du jeu ne se trouve pas là. Attention toutefois, j’ai bien dit « relativement » parce qu’elle est tout de même bien menée et possède son lot de retournements de situation inattendus. Entourées de mystère au début, les pièces du puzzle se mettent en place au fur et à mesure de la progression. À la fin du jeu, toutes les clés sont à la disposition du joueur pour comprendre l’entièreté du scénario. Grâce à une écriture maitrisée, l’histoire se laisse suivre avec plaisir mais peut difficilement être considérée comme extraordinaire.
Non, l’intérêt du jeu se situe principalement dans sa narration. Comme je l’ai dit un peu plus haut, Return of the Obra Dinn est un chef-d’œuvre dans la façon qu’il a de présenter son récit. Les mystères entourant le bateau se résolvent avec des tableaux figés dans le temps, où notre rôle est de reconstituer qui est qui et la chronologie des événements. Avec des tableaux magnifiques, Lucas Pope raconte une aventure riche en personnages et en péripéties. Et bien, The Case of the Golden Idol utilise le même principe. Chacun des onze meurtres à résoudre est représenté dans une scène figée dans le temps. L’objectif étant de comprendre le déroulé de la scène et le nom des personnages présents, le joueur est omniscient. On peut examiner chaque détail, même ceux invisibles d’emblée puisqu’il est possible de fouiller les poches des protagonistes ou lire des notes.
Alors, comment ça se joue ? Chaque scène est découpée en deux temps : l’exploration et la pensée. On commence par cliquer sur les éléments lors de la phase d’exploration. Si dans les deux premiers chapitres le tableau n’est composé que d’une seule pièce, les scènes à partir du troisième chapitre proposent de naviguer entre plusieurs lieux. Par exemple, dans une maison, il sera possible d’aller au premier étage, au deuxième étage, etc. En lisant des notes et en trouvant des documents, certains mots sont soulignés. En cliquant dessus, on les sauvegarde pour les utiliser dans l’écran de réflexion. Cette deuxième partie est celle faisant appel à votre compréhension des événements : il faut remplir des textes à trous avec les mots récupérés. Il faudra toujours compléter un résumé de la scène, mais les autres textes portent sur un sujet spécifique au chapitre. Ça peut être le contenu d’un testament, un code à déchiffrer, ou savoir qui dort où dans une maison. Une fois toutes les énigmes résolues, le chapitre est fini et on passe au suivant.
À partir de ce concept limpide, le studio Color Gray Games réussit à susciter la curiosité et créer des nœuds neuronaux. Enfin, que même les moins patients se rassurent : si le jeu oppose une certaine difficulté dans les dernières scènes, il reste cependant beaucoup plus aisé à surmonter qu’Obra Dinn et ses 60 personnages. On peut aussi par exemple mettre en surbrillance les éléments cliquables, ce qui évite de passer des heures à faire du pixel hunting. D’ailleurs, ne pas le faire est à mon sens une grosse erreur, tant le jeu gagne en fluidité en sachant ce qu’il y a d’intéressant à voir. Surtout que ça ne réduit aucunement la difficulté des énigmes en elle-même. Parce que l’intérêt de The Case of the Golden Idol repose principalement sur les déductions logiques.
Et sur ce point, on tient là un pur chef-d’œuvre. Parce qu’au-delà du pixel-art qui ajoute une laideur particulière aux visages – les rendant distinctifs au passage, ce qui aide dans certains chapitres –, les scènes en elle-même sont presque burlesques. Difficile de donner plusieurs exemples sans trop en divulguer, alors je vais m’en tenir à un qu’on découvre rapidement. Le troisième chapitre dépeint une scène où un homme est en train de brûler, tandis que sont regroupées autour de lui plusieurs personnes. L’une d’entre elles est apeurée, mais les autres observent la souffrance avec un détachement si grand que la scène en devient ridicule. The Case of the Golden Idol ne me semble pas cynique, mais dispose pourtant d’un humour particulier qui a fonctionné sur moi. Chaque meurtre et les réactions qui l’accompagnent sont presque drôles tant ils sont décalés.
Cet humour, ajouté à la direction artistique et au scénario, rend la découverte de chaque chapitre des plus appréciables. On se demande toujours ce qu’il va y avoir après, quelle scène absurde va nous être dévoilée. L’enquête nous emmène dans des péripéties inattendues et la durée de vie du jeu – comptez environ 7h – paraît presque trop courte tant on aimerait en voir plus. Cependant, il faut garder en tête qu’elle est linéaire : on ne peut dévier de ce que le jeu cherche à nous faire comprendre. Comprenez par là qu’il m’est arrivé de bloquer sur un texte à trou parce que je n’ai pas fait attention à deux mots relativement similaires. Si le jeu est sympa et indique lorsque l’on est proche du but, à savoir deux mots ou moins d’avoir tout bon, il peut potentiellement frustrer si on s’attend à un jeu qui s’adapte à nos raisonnements. À noter par ailleurs qu’il n’est disponible qu’en anglais à l’heure actuelle, les anglophobes devront donc passer leur chemin. D’autant plus que le niveau demandé est quand même relativement bon. À mille lieues d’un Disco Elysium, mais plus élevé que le niveau habituel.
Tant qu’on est sur les défauts, je dois bien avouer ne pas avoir compris l’intérêt des indices. Tout au long du jeu, et malgré le fait qu’il vous le déconseille, il est possible d’obtenir des indications sur la solution. Pour se faire, il faut d’abord résoudre un petit casse-tête et associer des images avec des mots. Ça peut être un objet comme un tuyau ou une théière, ou bien des personnages déjà rencontrés. Une fois fait, on peut sélectionner le sujet de l’indice. Sauf que, en plus d’être flous, les indices n’aident pas forcément. Comme je l’ai dit auparavant, The Case of the Golden Idol est rigide dans la résolution d’un mystère. Il faut nécessairement utiliser le bon mot pour valider le texte à trou. Et généralement, l’indice tente de donner une direction à votre raisonnement pour vous épauler. Du coup, il m’est arrivé plusieurs fois qu’il ne me serve à rien car j’avais déjà la solution en tête, mais simplement mal compris le mot texte à trou et le mot à choisir. De bien maigres soucis face à la fantastique expérience que constitue The Case of the Golden Idol. Les jeux d’enquête sont rares, et celui-ci se place sans aucun doute dans le haut du panier.