Square Enix est en forme cette année. Avec une dizaine de jeux publiés, dont certains retours très attendus côtoyés par de nouvelles franchises, l’éditeur cherche à mettre tout le monde d’accord. Ce qui ne se passe pas toujours bien, comme avec Babylon’s Fall en début d’année. Mais d’autres jeux ont su attirer l’attention des joueurs comme Triangle Strategy et son scénario proche d’un Game of Thrones en termes de complexité politique. Diofield Chronicle semble suivre le même chemin… Mais est-ce vraiment une bonne idée ?
DioField Chronicle raconte l’histoire d’un trio composé d’Andrias, Fredret et Izelaire, qui rejoignent une milice privée appelée Les Renards Bleus. Sur le continent de Rowetale, un empire se forme et conquiert la partie ouest grâce à une armée experte en magie moderne. Il est combattu par le reste des royaumes présents sur le continent ayant formé une alliance, mais qui n’arrivent malgré tout pas à prendre l’ascendant sur leur ennemi. Un royaume reste en dehors de la confrontation, celui d’Alletain sur l’île de DioField. Il possède un atout indispensable aux deux camps : le jade, ingrédient précieux de la magie moderne. Sauf que tout n’est pas rose sur l’île, avec la mort prochaine du roi et des disputes autour de la succession.
Et ça… C’est un synopsis des plus concis. Parce que Diofield Chronicle a un univers vaste, très vaste. Il y a des nobles, des royaumes, des empires, tout le monde trahit tout le monde, il y a des guerres, des émeutes et des alliances. Tout comme Triangle Strategy, le scénario est riche en complots et personnages. La politique est au cœur du jeu et son histoire pourrait être intéressante. Mais rien qu’avec le résumé, vous pouvez déjà comprendre un des principaux problèmes : tout est confus, et la plupart des éléments présentés dans l’univers semblent très éloignés des soucis des protagonistes. Le jeu présente la guerre dès l’introduction comme quelque chose d’important, et pourtant l’histoire se déroule principalement sur l’île de DioField, qui n’y prend pas part. Ce qui va surtout être développé, ce sont les relations entre les nobles qui se battent pour la succession de la couronne.
Finalement, la narration est aux antipodes de Triangle Strategy. Lorsque l’on plonge dans DioField Chronicle, on est très vite perdu. L’introduction s’ouvre sur une explication des plus expéditives du background des personnages que l’on incarne, avec des noms propres de partout et très peu de contextualisation. On progresse au fur et à mesure des missions dans le scénario mais toujours en ayant seulement quelques bribes d’informations réellement comprises. Parce que le jeu ne prend pas le temps de présenter ses fondations et poser ses enjeux, on est très vite noyé sous les noms et les événements. À la fin de chaque mission, le narrateur raconte un fait important du scénario. Sauf qu’en tant que joueur, on n’est quasiment jamais amené à interagir avec eux, et une distance se crée.
À aucun moment DioField Chronicle ne nous prend par la main pour nous immerger dans son univers. Prenons un exemple concret : une faction est introduite, puis quelques minutes plus tard, la milice pour laquelle on travaille décide de l’attaquer parce qu’elle aurait à priori mal agi. Sauf que ces actions ne sont jamais expliquées, si ce n’est dans une ligne de dialogue qui pourrait presque sembler anodine au premier abord. Et c’est là le principal problème de la narration : elle ne priorise jamais les informations transmises. Si ça peut avoir l’air d’un rien, elle poussera la plupart des joueurs inattentifs à lâcher l’histoire faute de compréhension, et demandera un effort plus grand que nécessaire aux intéressés pour comprendre les tenants et aboutissants.
Et cerise sur le gâteau, les personnages sont pour la plupart détestables. À commencer par Andrias, personnage principal et aussi royaliste invétéré que son compère Fredret. DioField Chronicle prend l’étrange parti pris de nous faire délibérément incarner un groupe antipathique au possible. Quelques rares personnages gagneront sans aucun doute votre sympathie, à l’image d’Iscarion, mais ils représentent une minorité. Résultat : on passe notre temps à remettre en question la moralité des protagonistes. Si le fait de ne pas être en accord idéologiquement avec ceux que l’on contrôle peut être intéressant dans la réflexion apportée par le jeu, cette distance empêche toute identification ou empathie envers des personnages qu’on aimerait presque voir perdre.
Ils sont pourtant dans le ton du jeu. DioField Chronicle est un jeu sérieux, qui aborde des thèmes sérieux et conserve tout du long une ambiance sérieuse. L’univers est certes ancré dans l’heroic fantasy, mais les complots et autres sournoiseries donnent un aspect mature au jeu. Même si elle est ratée dans son exécution, je trouve l’idée pertinente et vraiment accrocheuse : après Triangle Strategy, Square Enix semble vouloir miser sur des jeux « pour adultes », dans le sens où ce genre de scénario ne convient pas aux plus jeunes.
Si le scénario de DioField Chronicle représente sa plus importante faiblesse, son gameplay est sans aucun doute son meilleur atout. La mode des tactical RPG fait son grand retour depuis le début d’année, et la proposition qui nous intéresse aujourd’hui cherche à innover.
DioField Chronicle base donc son gameplay sur des fondations solides, proches de celles de Fire Emblem. On contrôle une troupe allant jusqu’à quatre personnages, chacun ayant une classe distincte avec des capacités spécifiques. Andrias est un assassin et peut engendrer un grand nombre de dégâts grâce à ses compétences, Izelaire avec son combo épée/bouclier peut étourdir les ennemis, Fredret et son fidèle destrier peuvent foncer grâce à une attaque de zone, etc. L’objectif se résume généralement à vaincre tous les opposants présents, escorter un groupe ou protéger un lieu, avec quelques objectifs secondaires comme le fait qu’aucun allié ne tombe au combat, entre autres.
Le petit twist, c’est que tout ça se déroule en temps réel avec un système de pause active. Proche d’un système de combat des classiques du C-RPG ou du RTS, les mouvements et les attaques des personnages se font donc sans temps mort, et chaque manipulation plus précise s’effectue d’une simple pression de bouton pour mettre le jeu en pause. C’est à travers le menu qui s’affiche que l’on choisit une compétence à effectuer, utiliser un objet, ou si l’on a récupéré suffisamment d’orbes bleus, invoquer une sorte de divinité comme Bahamuth ou Fenrir et ainsi obtenir un énorme avantage sur le champ de bataille.
Sur le papier, l’idée est alléchante. Dans les faits, l’exécution l’est un peu moins. Parce que ce système de pause active n’apporte en réalité pas grand-chose au gameplay. Il y a bien le champ de détection des ennemis qui peut quelques fois engendrer une stratégie spécifique, mais ce sont des cas relativement rares. Et à part ça, ça génère surtout une certaine lenteur et répétitivité aux affrontements. Parce que l’aspect stratégique des combats n’est que peu éprouvé : que ce soit à travers les objectifs, l’inexistence d’une potentielle incidence du terrain (pas de prise en compte du relief par exemple), l’absence de brouillard de guerre, le manque de variété des classes ou simplement la manière de remporter un combat, tout pousse globalement le joueur à sobrement foncer vers les groupes d’ennemis et utiliser les compétences des personnages. Les combats ne sont pas mauvais, loin de là. Mais ils ne possèdent pas la profondeur de ceux d’un Fire Emblem ou d’un Triangle Strategy.
Les missions ne sont pas dénuées de qualités, loin de là. Les dioramas servant de décors sont plaisants à regarder, les combats restent prenants malgré le manque de stratégie et sont agréables dès que l’on sait à quoi s’en tenir. D’autant plus que la progression des personnages à travers les différents arbres de compétences offre une certaine customisation. De manière générale, l’aspect organisation des troupes est réussi, que ce soit au niveau de l’équipement avec l’amélioration des armes, des compétences, ou des orbes magilumiques nécessaires aux invocations. On gère tout ça dans un quartier général rappelant le monastère dans Fire Emblem Three Houses, la gestion des affinités avec les personnages en moins. On va rapidement d’un lieu à l’autre selon ce dont on a besoin, et on enchaîne les missions pour gagner de l’or. Ce qui peut être considéré aussi comme un problème pour certains.
Parce que oui, DioField Chronicle demande de grinder pour se maintenir au niveau. Et comme les objectifs de missions sont systématiquement les mêmes, on a constamment l’impression de faire la même chose. Le nombre de quêtes secondaires par chapitre est relativement bas, ce qui oblige à refaire encore et toujours les mêmes en boucle.
Reste alors la direction artistique, globalement très réussie. Que ce soit au niveau du chara design ou des décors mélangeants de l’heroic fantasy et une sorte de steampunk, le jeu offre de quoi s’extasier. Certes, l’aspect technique est loin des standards de 2022, la faute à un budget limité. Mais les illustrations sont magnifiques et la mise en scène dynamique. D’autant plus que toute l’aventure est baignée dans les sublimes compositions de Ramin Djawadi, désormais très connu pour son travail sur les musiques de Game of Thrones. Pile-poil dans le ton recherché donc, et toujours juste, que ce soit quand il s’agit d’accompagner l’action ou de simplement faire plaisir à nos oreilles.