Depuis déjà quelques années, le nombre de jeux publié chaque année est mirobolant. Mais il y a malgré tout des monuments à côté desquels on ne peut passer. Alors que The Last of Us ressort sur PlayStation 5, avec une magnifique cure de jouvence, on a bien envie de se replonger dans les aventures de Joël et Ellie. Sauf que là, on voit le prix, et on y réfléchit à deux fois. Ce remake de The Last of Us, il vaut le coût ?
The Last of Us est un monument du jeu vidéo. À sa sortie en 2013, Naughty Dog a amené le jeu vidéo à un autre niveau de narration. Plus cinématographique et donc moins ludique, mais doté d’une maturité qui manquait au médium pour gagner en crédibilité. The Last of Us, c’est une histoire centrée sur les relations humaines, dans un monde éloigné de tout manichéisme et vraisemblable dans chacun des détails qui le compose. The Last of Us, c’est un road trip. Celui de Joël et Ellie, au départ mal partis pour s’apprécier et finalement indissociables au fil des mésaventures traumatisantes qui leur tombent sur le coin de la tête.
C’est aussi une prouesse technique. Sorti à la toute fin de vie de la PlayStation 3, le titre fait étalage du talent d’orfèvre de Naughty Dog. Le soin apporté aux décors, aux expressions faciales, aux animations, aux textures : tout est absolument magnifique. Si la narration de The Last of Us est ce qui a marqué l’industrie au point d’en voir encore aujourd’hui les descendants, sa technique était elle aussi irréprochable.
Mais ne soyons pas trop généreux envers un jeu qui avait quand même de gros défauts. Déjà, l’IA était loin d’être au point et faisait vraiment peine à voir. Que ce soit celle des humains ou des infectés, on était souvent déçus des comportements gérés par la machine. Et, si le level design dont seul Naughty Dog a le secret était une franche réussite, il en va autrement de la boucle de gameplay. Cinématique, contemplation et discussion, infiltration et/ou bagarre, énigme, et tout ça répété ad nauseam jusqu’à la fin du jeu. La linéarité du jeu n’est pas un défaut, bien au contraire puisqu’elle permet d’imposer un rythme au joueur sans lequel la narration serait inefficace. Mais la structure répétitive du jeu rendait au fur et à mesure de l’aventure les passages prévisibles et souvent redondants. Et c’est sans compter certaines longueurs dont on se serait bien passé, malgré une durée de vie assez courte et d’ailleurs surprenante pour l’époque.
Est-ce qu’en 2022, un jeu datant de 2013 est-il toujours pertinent ? Étonnamment, oui. The Last of Us n’a pas pris une ride. Grâce à ce lifting graphique, il pourrait être une licence originale que personne ne remarquerait la poussière sous le tapis. Et heureusement : en termes de gameplay, de level design ou de game design, tout est pareil comparé à l’original. On prend exactement la même recette et on la recopie à l’identique. Ce qui peut faire un peu mal d’ailleurs, puisque ce remake souffre de la comparaison avec sa suite, The Last of Us Part II. La jouabilité de ce dernier étant beaucoup plus souple et les situations bien plus variées, on peste parfois sur le jeu quand on se retrouve confronté à la rigidité de Joël.
Alors oui, il y a bien quelques nouveautés venues tout droit de The Last of Us Part II. Des coffres avec maintes récompenses à l’intérieur ont été rajoutés. Tout comme dans sa suite, il faudra pour les ouvrir réussir à trouver un code, généralement écrit sur un bout de papier situé non loin. L’atelier a lui aussi été rajouté, pour montrer la minutie avec laquelle Joël prend soin de ces armes. Un aspect qui avait été largement critiqué à la sortie du deuxième opus, certains y voyant une apologie des armes. Il s’agit en réalité de mettre en exergue la précision et la connaissance nécessaires aux survivants pour réussir à trouver leurs places dans ce monde post-apocalyptique et impitoyable.
Mis à part ces deux ajouts qu’on pourrait qualifier d’anecdotiques, il y a tout de même quelques améliorations à signaler tant elles changent radicalement l’expérience. Le premier point concerne les gunfight. Comme je l’ai dit, le gameplay est le même. Mais les sensations dans les affrontements ont été sensiblement réajustées grâce à une tonne de détails paraissant insignifiants au premier abord, mais en réalité assez importants. Les animations par exemple ont toutes été fluidifiées pour être plus réalistes et donnent un tout autre rythme aux combats. Par exemple, les coups échangés au corps à corps paraissent moins scriptés et les ennemis réagissent totalement différemment par rapport à la version PS3 – et par conséquent à celle sortie sur PS4 –. Les mouvements de caméra ont eux aussi été changés pour être encore plus frénétiques durant l’action. De cette somme de petits éléments découlent des confrontations bien plus dynamiques et réalistes.
Mais le plus gros changement outre les graphismes, c’est le comportement de l’IA. Dans les versions de 2013 et du remaster, la pseudo-intelligence artificielle était constamment aux fraises. Elle avait tendance à faire n’importe quoi, quand elle arrivait déjà à faire quelque chose. Dans le remake, elle est bien plus cohérente et surprend par sa réactivité. Elle se met à couvert, ne vous fonce pas dessus pour ensuite courir dans l’autre sens en se faisant cribler de balles au passage, elle est plus discrète et tente constamment de vous prendre à revers. Bref, vous l’aurez compris, une IA crédible qui peut vous pousser dans vos derniers retranchements. On n’est pas à la hauteur de celle de The Last of Us Part II – qui aurait impliqué de complètement retravailler le modèle – mais elle s’en sort honorablement.
Il est temps d’aborder l’éléphant au milieu de la pièce, le nez au milieu de la figure, l’élément central de ce remake : les graphismes. Si je devais résumer pour ceux qui n’auraient pas vu les images, je dirais simplement que c’est actuellement l’un des plus beaux sortis à ce jour. Mais comme je suis quelqu’un de sérieux, je vais rentrer un peu plus dans le détail. À noter tout de même la présence du choix entre le mode performance et le mode fidélité, le premier étant en 1440p à 60 fps (ou plus), tandis que le second propose de la 4k à 30 fps. À vrai dire, mes yeux de non-initié n’ont vu aucune différence entre les deux, alors je conseillerais à tous ceux qui n’ont pas l’habitude de zoomer sur leur télé de profiter d’une plus grande fluidité.
Pour faire The Last of Us Part I, Naughty Dog a recréé de zéro tous les assets du jeu. Et l’avancée technologique entre 2013 et aujourd’hui est monumentale. Il en résulte un jeu magnifique avec des textures réalistes, des effets de lumières sublimes, une tonne de détails visuels bluffants comme l’amélioration de la profondeur de champ ou du flou de mouvement, et des visages expressifs et détaillés. D’ailleurs, ces derniers n’ont pas bénéficié de la performance capture puisqu’il n’y a pas eu de tournage pour le remake. Ce qui signifie qu’une fois de plus, les artistes ont refait tous les visages à la main ! Oui, le moindre clignement d’yeux a été fait par un humain – bon, peut-être pas, mais c’est pour signifier le travail titanesque du studio –.
L’autre grand changement visuel concernant ce remake réside dans la méthode de rendu des cinématiques. En 2013, il était bien trop couteux de rendre les cinématiques en temps réel. Elles étaient donc précalculées. C’était de simples vidéos qui se lançaient à un moment T après avoir déclenché un script. Dans The Last of Us Part I, elles sont rendues en temps réel à partir du moteur du jeu, ce qui permet de créer des transitions beaucoup plus fluides avec le retour dans le jeu. Avant, il y avait à la fin de chaque scène un fondu au noir, et le joueur se retrouvait parfois mal placé. Ici, le passage entre cinématique et jeu est presque invisible tant il est fluide et sans fioriture. Sans être un jeu entièrement en plan séquence à la God of War, la continuité de la narration gagne en peps grâce à cette amélioration graphique essentielle.
Reste la question de la direction artistique. Cette volonté de réalisme apporte nécessairement des visuels plus âpres. Les ambiances sont plus subtiles mais perdent l’aspect coloré de certains plans du jeu original. Les visages sont tellement réalistes que certains ressentiront probablement la vallée de l’étrange. The Last of Us Part I utilise bien plus les capacités techniques de la PlayStation 5 que la fibre artistique des designers, ce qui pourra déplaire à certains. Personnellement, je me suis pris claque sur claque à chaque décor, et seule la scène de fin reste meilleure dans le jeu de 2013 (ce qui est un avis purement subjectif). Ce n’était pourtant pas gagné tant j’étais sceptique devant les trailers. Mais force est d’admettre que le travail dantesque de Naughty Dog se ressent à chaque instant, et que les changements apportés confèrent une nuance visuelle incomparable avec l’original ou le remaster.
Et il y a aussi les cerises sur le gâteau, à savoir l’ajout de contenus autour du jeu, les options d’accessibilité et les fonctionnalités de la DualSense.
Tout d’abord, le contenu présent dans la section bonus est tout simplement foisonnant. Bon, la majorité de ces ajouts ne sont disponibles qu’après avoir fini le jeu une première fois, mais il y a de quoi s’amuser ou s’occuper encore quelque temps. Les documentaires traduits Grounded et From Dreams qui racontent les développements de The Last of Us et Left Behind (dont je parle d’ailleurs dans ma vidéo sur le sujet), la possibilité de jouer avec les commentaires du directeur Neil Druckmann et de Troy Baker et Ashley Johnson (les acteurs de Joël et Ellie), des concepts arts… Tout est là pour en apprendre plus sur les coulisses du jeu. De nombreuses options pour changer l’aventure permettent de la vivre sous un jour différent, comme des changements graphiques (noir et blanc, pixel art, etc.), des variations de gameplay (tuer en un coup, munitions illimitées entre autres) ou encore des skins différents. Bref, de quoi revisiter l’histoire sous un angle inédit et plutôt amusant.
Concernant l’accessibilité, les options sont encore une fois pléthoriques. Je l’ai dit précédemment, Naughty Dog est le leader dans le domaine, et ce remake n’échappe pas à la règle. Des options visuelles, des simplifications de gameplay, des modifications sonores, tout est présent pour rendre le jeu accessible à toutes sortes de handicaps. Petit plus innovant et remarquable : il est possible d’utiliser les retours haptiques de la DualSense pour simuler les intonations lors des dialogues. Des petites secousses simuleront des chuchotements, tandis que des vibrations nerveuses imiteront des cris. Du pain béni pour les malentendants qui peuvent désormais compter sur cette sensation pour s’approcher plus précisément du jeu d’acteur.
Pour finir ce test, il me semble nécessaire d’aborder un point source de nombreux débats : le prix de ce remake. Personnellement, je trouve que c’est hors propos dans un test, et ce, pour plusieurs raisons. La première est que la valeur d’un jeu – ou de toute œuvre artistique – est personnelle. Oui il y a un coût fixe déterminé par l’entreprise. Mais la valeur, elle, dépend de chacun et de sa condition. Déterminer si un jeu vaut son prix, au-delà d’être présomptueux – et/ou de connaître la chaîne de production de A à Z – est une information subjective et donc propice aux erreurs d’interprétation.
Deuxièmement, je n’ai jamais considéré et ne considèrerais jamais la critique comme un guide d’achat. Et tous ceux qui le pensent ne comprennent sans doute pas son intérêt. Un test – qui porte très mal son nom, on est d’accord – n’est pas utilitaire mais cherche à apporter des clés de compréhension. Qu’est-ce qui rend ce jeu bon ou mauvais ? Que réussit-il, où s’est-il planté ? Si un test était un guide d’achat, il se résumerait à une liste de points positifs et négatifs sans argumentation. Or, ce n’est pas le cas.
Troisièmement, le prix d’une œuvre artistique ne détermine pas sa qualité. Contrairement aux microtransactions qui viennent parasiter le game design, le coût n’interfère pas sur l’appréciation intrinsèque d’un jeu. Un excellent jeu reste excellent qu’il soit à 20, 60 ou 80 euros. Si on devait établir une note – une aberration, mais c’est un autre sujet – en fonction du prix, alors tous les AAA seraient constamment sanctionnés comparés aux jeux indés. Oui, un jeu peut être plus appréciable si on l’achète moins cher, mais c’est encore une fois une valeur subjective. En tant que « testeur », je ne peux trancher la question au nom d’une vérité absolue.
Mais une fois n’est pas coutume, je vais malgré tout donner mon avis personnel sur la question. Car on est face à un cas inédit. qui mérite qu’on s’y attarde. J’estime le prix de The Last of Us Part I trop élevé pour ce qu’il est. Le remaster sorti sur PlayStation 4 est disponible à 20 €. Le jeu original à sa sortie en coutait 60. Ce remake vendu 80 € vaut donc plus cher que le jeu qu’il remet au goût du jour. Oui, le travail de Naughty Dog est remarquable et bien plus important que sur un remaster. Pour autant, il est difficilement justifiable de le vendre à un tel prix. Ce qui est à déplorer ici, c’est la stratégie de Sony visant à placer la barre toujours plus haute vis-à-vis du portefeuille des joueurs. Les débats autour de la politique du constructeur sont nombreux, et ce remake de The Last of Us en fait partie, à raison. Mon conseil sera donc : n’achetez pas The Last of Us Part I au prix de vente conseillé. Les promotions sont nombreuses, et il me semble déjà bien plus cohérent de l’acquérir pour 40 ou 50 euros (ou moins si vous avez du bol).