Pour ceux qui ont l’habitude de parcourir ces colonnes, vous savez tout l’amour que je porte à Yoko Taro. Un esprit créatif qui a su imaginer des histoires utilisant habilement la narration vidéoludique. Le premier Voice of Cards était un jeu sympathique, avec un concept intéressant mais doté d’un scénario relativement banal. Alors quand a été annoncé Voice of Cards : The Forsaken Maiden à peine quatre mois après la sortie du premier, j’étais abasourdi. Qu’est-ce que le jeu pourrait avoir d’intéressant à proposer ? La réponse est mitigée.
On va commencer par un constat évident : Voice of Cards : The Forsaken Maiden ne réinvente pas la roue – déjà mise en place dans le premier opus. On retrouve le même système de jeu et les mêmes mécaniques de combat. Il y a bien quelques différences (qu’on abordera plus tard dans cet article) mais c’est peu ou prou une formule identique. Je vais donc résumer brièvement le concept, et pour ceux qui souhaitent en savoir plus, je ne peux que vous renvoyer vers mon test de Voice of Cards : The Isle Dragon Roars.
Les Voice of Cards sont des jeux fondés sur une idée plutôt originale : mettre en scène le jeu entier sous forme de cartes. L’interface, la carte, les personnages, les dialogues, les combats et plus globalement tout ce qui compose le jeu sont affichés à l’écran via une carte. On suit l’histoire à travers le récit du narrateur, et on se bastonne dans des combats en tour par tour très efficaces – à base de faiblesses et résistances aux éléments. Les fondamentaux du RPG sont bien là, avec de l’équipement, de la montée de niveaux, des villages, des personnages un peu clichés, une fable d’élu censé sauver le monde. Et comme Yoko Taro est aux manettes, le scénario est rempli de twists et de questionnements liés à l’humanité.
Mais si l’intrigue et l’écriture sont dignes du génie créatif de Yoko Taro, la narration l’est beaucoup moins. Dans le premier comme dans le deuxième Voice of Cards, on se retrouve face à une histoire certes prenante, mais dénuée de tout ce qui fait le sel d’un Nier. Point d’utilisation du médium pour s’adresser directement au joueur, point de philosophie et de Jean-Paul Sartre, Point de véritable coup de poing ludonarratif. De la fantasy simple, loin des considérations habituelles du créateur. J’ai poursuivi ces deux aventures avec l’intime désir d’y trouver quelque chose qui me retournerait le cerveau, en n’obtenant à la fin qu’un sentiment amer de déception. Peut-être suis-je simplement passé à côté, mais rien ne laisse présager un trésor caché.
Ceci étant dit, le scénario de The Forsaken Maiden n’a rien à voir avec celui de son prédécesseur. Coupons court aux espoirs des optimistes lisant ces lignes : quasiment aucun lien direct n’existe entre les deux opus. Excepté un élément anecdotique qui n’engendre pas grand-chose à part une cohérence temporelle. Et c’est justement là que me vient la question centrale de ce test : quel est l’intérêt de jouer à The Forsaken Maiden ?
Parce que oui, le jeu apporte des choses en plus. Fondamentalement, l’histoire est captivante, et suivre les aventures du protagoniste et ses acolytes à la recherche de prêtresse ayant pour rôle d’empêcher un cataclysme est appréciable. Les twists fonctionnent, les personnages sont attachants, et la nouvelle structure narrative modifie suffisamment le jeu pour ne pas faire une simple redite. Certaines options d’ergonomie apportent un réel confort, comme la possibilité de jouer en accéléré ou de fuir les combats. La difficulté a été réajustée, octroyant un challenge bien plus intéressant et exigeant du joueur une vraie stratégie pour vaincre ses adversaires – notamment certains boss vraiment coriaces. D’ailleurs, la gestion d’équipe a été modifiée et s’avère cohérente avec le scénario. Et la mise en scène s’est elle aussi améliorée, avec différents effets visuels pour plus d’immersion, et même dans certains passages un petit côté Nier des plus plaisants.
The Forsaken Maiden ajoute autant de choses qu’il a pris soin de garder les qualités de son prédécesseur. L’humour est toujours présent, l’ambiance toujours aussi chaleureuse — malgré les événements parfois sombres — et le système de combat reste fun. La musique conserve l’excellente qualité du premier — qui en aurait douté avec Keiichi Okabe ? — et les doublages sont, eux aussi, agréables à écouter.
Mais au-delà de ça, The Forsaken Maiden garde malgré tout beaucoup des tares du premier. Déjà, les combats aléatoires sont toujours une plaie, et à partir d’un certain point une perte de temps. Quand un personnage a besoin de 13 000 points d’expérience pour monter de niveau et n’en récolte que 200 après un combat, la fuite devient rapidement la priorité. Surtout qu’on ne peut aucunement éviter les ennemis qui nous tombent dessus de manière hasardeuse – enfin, toutes les 5 cases environ. Le scénario, porté par une écriture maitrisée, n’en reste pas moins relativement prévisible, excepté quelques retournements de situation plutôt bien trouvés. D’ailleurs, certains de ces twists sont tellement alambiqués qu’il en ressort un effet comique sorti de nulle part.
Tout en ayant conservé les points forts et quelques points faibles du précédent, The Forsaken Maiden se pare de défauts rendant son intérêt presque moindre comparé à son prédécesseur. On peut citer en autre la stratégie d’équipe, qui, malgré une formule cohérente, diminue les possibilités et restreint la créativité du joueur. Puisqu’on ne peut choisir la composition de l’équipe, on doit faire avec ce que l’on a, point barre. Il en va de même pour l’équipement, qu’on ne pourra sélectionner que pour certains membres. On ne peut donc pas spécialiser tel ou tel personnage. Les combats, plus difficiles, souffrent d’une courbe de difficulté inégale, avec certains boss qui mettent rapidement en difficulté, alors que tout allait bien avant de les rencontrer. Concernant l’histoire, il manque le souffle épique qui nous poussait à avancer dans le premier opus, malgré une exploration plus intéressante puisqu’elle se compose d’une partie terrestre et d’une partie maritime. Les situations sont globalement moins burlesques — on se souviendra du village de musclés dans le premier opus — et la structure narrative impose une certaine répétitivité.
Avec tout ça, la question demeure. La plus-value générée par The Forsaken Maiden réside dans un fait simple : si vous avez adoré le premier et que vous désirez vous replonger dans un jeu à l’ambiance chaleureuse et au concept original, vous n’avez aucune raison d’hésiter. Pour les autres, il vaudra mieux attendre une promotion. À seulement quatre mois d’intervalle avec le premier opus, ce nouvel opus n’apporte pas grand-chose de neuf et utilise même sans rougir beaucoup d’assets du premier. Peut-être Yoko Taro a-t-il de la suite dans les idées, et nous réserve quelque chose avec cette licence qui nous surprendra à l’avenir. En l’état, difficile de justifier l’achat de The Forsaken Maiden, à moins d’avoir noué une idylle avec le premier opus.