Chaque nouvelle proposition de Yoko Taro est un petit événement dans l’industrie. Du premier Drakengard à Nier Automata, il a su fédérer une communauté grâce à l’originalité de ses œuvres. Les histoires qu’il raconte et les thématiques qu’il explore en font un des créateurs les plus excentriques. Sa manière de parler directement au joueur à travers la construction de ses jeux m’apparaît comme unique dans l’industrie. Après Nier Reincarnation qui en a malheureusement déçu plus d’un, il revient avec un titre moins ambitieux, certes, mais néanmoins intéressant dans son concept : un RPG entièrement composé d’élément de jeu de plateau. Mais Yoko Taro est-il forcément synonyme de qualité ?
Yoko Taro a toujours su créer des jeux singuliers. Drakengard avait marqué l’industrie à son époque avec la différence de ton et la profondeur inattendue de son intrigue, tandis que les Nier offraient une expérience unique en leur genre. Direction artistique, scénario empli de philosophie et s’adressant directement au joueur, gameplay nerveux et maîtrisé, personnages attachants, bande-son magistrale : Nier Automata avait tout pour lui. Seulement quelques mois après la sortie du remaster/remake du premier Nier, et un Nier Reincarnation qui n’arrive pas à dépasser sa condition de gatcha, Yoko Taro revient avec un jeu qu’on pourrait qualifier de « petit ». Minimaliste dans ses choix de game design comme dans ses mécaniques, Voice of Cards semble bien éloigné du magnum opus du créateur japonais. Mais petit ne rime pas inintéressant, car la proposition du titre reste aussi tranchée que les précédentes œuvres de Yoko Taro.
Voice of Cards est un RPG qui se déroule dans un univers classique de fantasy, où l’on incarne Aragon, jeune homme accompagné du monstre Lazuli. Les deux mercenaires ont pour quête de trouver un vilain dragon qui terrorise le pays pour l’abattre et ainsi toucher la récompense promise par la reine Vanille. Malgré leur faiblesse apparente, la vénalité d’Aragon le pousse malgré tout à se mettre en quête du dragon, nonobstant l’avance faramineuse d’un trio héroïque qui servira de rival au protagoniste. Bien entendu, on rencontrera de nombreuses personnes au cours de l’aventure, dont certains rejoindront le groupe.
S’il y avait encore besoin de le préciser alors que Yoko Taro est aux commandes, Voice of Cards se pare d’une histoire simpliste au départ qui va se complexifier au fur et à mesure. Mais en plus de gagner en consistance, elle va aussi s’assombrir, et brouiller ses élans manichéens si clairement présentés au début de l’aventure. Les apparences sont parfois trompeuses, que ce soit du côté des « gentils » ou des « méchants », qui bénéficie tous d’un soin particulier concernant leur motivation. On s’attache à eux, on découvre une certaine profondeur derrière une chape de clichés. Yoko Taro montre une nouvelle fois tout son savoir-faire en matière d’écriture, bien qu’elle puisse se montrer décevante. Malgré l’intérêt procuré par le scénario, ce qui font des œuvres de Yoko Taro des objets uniques est absent de Voice of Cards. Point de côté méta, de fins difficiles à obtenir, de points de vue différents en fonction des runs, etc. Les twists sont assez attendus, et même s’ils sont bien amenés, ils perdent en impact face à la prévisibilité auxquels ils font face.
C’est plutôt au niveau du système de jeu que Yoko Taro propose de vraies nouveautés. L’entièreté du jeu se passe sur un jeu de plateau, avec l’utilisation d’un pion à déplacer sur des cases lors de l’exploration, et de cartes qui dépeignent les personnages et les dialogues. Même l’interface des menus est représentée à travers des cartes, conférant ainsi au jeu une cohérence globale des plus pertinentes. Les cartes qui servent de décor incarnent plusieurs éléments, comme des plaines, des montagnes ou des forêts. Elles sont en face cachée et se retournent une fois que l’on marche dessus. Voice of Cards pousse donc à la découverte de certains trésors et événements aléatoires, éparpillés un peu partout sur la map. Cependant, la progression conserve une certaine linéarité, les objectifs nous incitant généralement à aller d’une ville à une autre.
Néanmoins, l’exploration est entachée par deux défauts d’une importance plus ou moins grande selon votre degré de tolérance. D’une part, Voice of Cards a oublié de contenir son envie de mettre une pelletée de combats aléatoires. On tombe souvent, très souvent, trop souvent sur des ennemis à vaincre. Pour vous donner une idée, je me suis « amusé » à compter combien de cases je pouvais parcourir avant de rencontrer un groupe de monstre. Et bien, tenez-vous bien, ça tournait généralement autour de 4 ou 5 cases. Forcément, sur la durée, on peste parfois face à des combats qui deviennent à la longue répétitifs. D’autre part, une fois passées les premières heures, peu de surprises viennent nous sortir d’une routine bien établie. Quasiment pas de nouveaux biomes, les mêmes représentations de personnages dans les villes, les mêmes bâtiments, etc. Une récurrence qui peut instiller un sentiment de lassitude, malgré le scénario qui pousse toujours à voir la suite.
Qui dit JRPG dit combat au tour par tour – comment ça, on n’est pas dans les années 90 ? – . On est ici sur du très classique, avec des cartes qui possèdent un nombre de points de vie, des statistiques d’attaque, de vitesse – qui détermine l’ordre des tours – et de défense, améliorables avec de l’équipement. La magie s’utilise au travers de gemmes communes à l’ensemble du groupe, qui s’accumulent à chaque tour : au tour de chaque personnage, une gemme est gagnée. Le coût des sorts dépend bien évidemment de sa puissance. Pour terrasser vos ennemis, vous pourrez vous appuyer sur un système similaire à celui des Persona et Shin Megami Tensei, à savoir la gestion des faiblesses et des résistances. Un ennemi faible face au feu prendra plus de dégâts si vous l’attaquez avec cet élément, tandis qu’il sera l’eau ne fera que des dégâts réduits. De plus, il est possible d’utiliser des sorts de buff et debuff pour diminuer/augmenter l’attaque ou la défense ou d’appliquer des effets secondaires. Par exemple, utiliser un sort de foudre pourra le paralyser, à condition de réussir un jet de dé.
Rien de bien compliqué en somme, si ce n’est que les règles sont parfois obscures. Par exemple, il semble logique de penser qu’un ennemi avec 10 d’armure se prendra 5 dégâts si on le vise avec une attaque à 15. Ou, qu’à l’inverse, une attaque de 20 ne fera rien à un monstre qui possède 30 d’armure. Sauf que… C’est pas comme ça que ça se passe. On pourra toujours faire au minimum 1 de dégât avec une valeur d’attaque moindre que celle de la défense adverse, et les dommages seront parfois plus grands que la différence entre l’armure et l’attaque. Ce qui donne des confrontations difficiles à anticiper, et des stratégies compliquées à mettre en place. Ceci étant dit, rassurez-vous : le jeu reste relativement facile, à condition de bien explorer pour monter en niveaux. En même temps, qui aurait l’idée de rusher un JRPG ? Surtout que celui-ci ne vous demandera pas trop longtemps pour être terminé. Comptez une dizaine d’heures pour voir la première fin, et pas beaucoup plus pour voir les autres avec une sauvegarde avant le boss final. Sauf si vous voulez voir la fin secrète, qui vous réclamera quelque chose qui pourrait bien vous pousser à recommencer le jeu.
L’une des plus grandes réussites de Voice of Cards se trouve dans tout ce qui compose l’ambiance sonore. Déjà, il faut savoir que le jeu est intégralement doublé par le biais d’un narrateur. Doublé en japonais par Hiroki Yasumoto (la voix de Grimoire Weiss dans Nier Replicant) et en anglais par Todd Haberkorn (Natsu dans Fairy Tail, ou Metodey dans Fire Emblem : Three Houses), l’ajout d’une voix sardonique par-dessus les funestes aventures de nos héros nous immerge d’autant plus dans le récit. Personnellement, malgré la belle performance du doubleur nippon, j’ai préféré la version anglaise. Cependant, dans cette dernière, les noms des personnages diffèrent, probablement à cause de choix de traduction. Un peu déroutant au début, on finit par s’y habituer grâce à l’excellente traduction française.
Côté musiques, elles sont composées par Oliver Good, Shotaro Seo et l’inénarrable Keiichi Okabe. Les morceaux sont sublimes et accompagnent parfaitement les événements du jeu. Le petit côté irlandais colle à merveille au ton de l’aventure, et à l’instar des doublages, nous immerge toujours plus profondément dans le jeu.
À part ça, on pourra être surpris de la présence d’un jeu de cartes. Plutôt amusant quand on joue à un jeu de plateau entièrement composé de cartes. Le principe est relativement simple, puisqu’il consiste à tirer des cartes au hasard pour essayer de faire des paires, qui confèrent un certain nombre de points. Certaines ont aussi des capacités qui peuvent améliorer votre jeu ou affaiblir celui de l’adversaire. Loin d’être inintéressant, ce jeu dans le jeu reste malgré tout anecdotique, à l’exception faite qu’il permet un mode multijoueur en local jusqu’à 4 joueurs. Il est par ailleurs la seule activité annexe du jeu, qui ne contient pas de quêtes secondaires.
Pour finir, parlons de l’optimisation. Souvent décriés pour leur technique, les jeux de Yoko Taro n’ont jamais fait office de vitrine technologique, bien au contraire. Voice of Cards, par sa simplicité, évite tout constat d’échec et tourne impeccablement bien sur PC. La direction artistique est agréable à l’œil, et les temps de chargement, bien que nombreux, restent toujours très courts. Cependant, on pourra dénoter un certain manque d’ergonomie, que ce soit dans les menus ou les combats. Pas de mode accéléré, des menus déconcertants, aucune option d’accessibilité, des animations longuettes, etc. Un constat peu reluisant, bien qu’il n’empêche pas dans l’absolu de profiter correctement du jeu.