The Last of Us est un énorme succès, aussi bien critique que commercial. Il a marqué l’industrie, et on voit encore aujourd’hui son influence dans beaucoup de jeux. Alors forcément, Naughty Dog n’allait pas laisser tomber une licence aussi forte. Peu de temps après la sortie du jeu, un DLC débarque, Left Behind, et quelque mois plus tard un remaster. Mais Neil Druckmann et Bruce Straley veulent aller encore plus loin. The Last of Us aura une suite. Sauf que tout ne va pas se passer comme prévu, loin de là.
En 2014, juste après la sortie du remaster, les créateurs Neil Druckmann et Bruce Straley réfléchissent déjà à une suite à The Last of Us. Ils commencent alors à se pencher sur l’écriture du scénario. Mais tout ne va pas se passer comme prévu. Amy Hennigs, directrice des Uncharted et personnalité importante du studio, démissionne. Comme elle le dira elle-même :
*Ce dont je me souviens le plus à propos de tous [mes] projets, c’est à quel point nous avons crunché, et que ça devenait pire à chaque projet. C’était bizarre pour moi parce que j’étais toujours au milieu de ça. C’était étrange d’être sur Uncharted et de ne pas être sur The Last of Us et de pouvoir observer objectivement les gens qui crunchent et voir les effets que ça avait. Cela a cimenté une partie de mon désir de : “Bon sang, si jamais j’ai l’opportunité, si je devais diriger un studio, je le ferais différemment.” Ce n’est pas une critique de Naughty Dog. Je ne veux pas dire les choses de cette manière. Je veux juste dire que… je ne sais pas. On arrive aussi à un âge où on ne peut plus… À force de faire ce crunch dans les tranchés, on commence à réaliser à quel point c’est aliénant, physiquement et émotionnellement, psychologiquement et d’un point de vue relationnel. Je me demande juste si nous pourrions faire les choses différemment, mieux faire les choses.
Source : Ludostrie
Mais son départ va faire beaucoup de bruit. Seulement un jour après l’annonce, IGN publie un article dont les sources accusent Druckmann et Straley d’avoir poussé Hennig vers la sortie. Et vous savez comment les gens réagissent à ce genre d’info ? Mal. Très mal. Alors une vague de haine va déferler sur les créateurs. Et même si le journaliste déclarera quelques années plus tard sur Twitter que ses directeurs l’ont forcé à le faire parce qu’ils ont flairé le buzz, ça ne changera pas grand-chose. Le mal est déjà fait.
Ça n’allait déjà pas fort, mais le développement d’Uncharted 4 tourne à la catastrophe. Le projet se retrouve sans chef d’orchestre. La direction décide alors de mettre le duo à la tête du projet. Sauf que ça ne va pas plaire à Straley. The Last of Us a été long et éprouvant à développer, l’équipe a enchainé tout de suite avec le DLC et le remaster, et il faut encore tout donner pour Uncharted sans prendre le temps de souffler. C’est un tunnel sans fin qui l’épuise. Mais lui et Druckmann vont quand même accepter, sous certaines conditions : ils doivent avoir un contrôle créatif total, et ils doivent avoir l’autorisation de réécrire complètement le scénario. Les directeurs acceptent, et l’équipe se met au boulot. Le premier trailer est dévoilé lors de l’E3 2014 avec une date de sortie annoncée pour l’automne 2015. Ce qui veut dire que le jeu doit être fait en un un peu plus d’un an. Un jeu avec la formule Naughty Dog, un jeu qui doit marquer les esprits. Le travail à fournir est colossal.
*C’était épuisant. On ne pouvait pas prendre ce qu’il y avait déjà, parce que ça faisait partie du problème. Il y avait des soucis à la fois dans l’histoire et dans le gameplay. Les deux aspects devaient être profondément retravaillés. C’était la panique générale, l’alerte rouge, on était tous en mode : “Mais comment on va faire ?” Alors qu’on était complètement épuisés après The Last of Us, il fallait travailler d’arrache-pied sur celui-ci. […] Je sais que parfois, je me disais : “Comment fais-tu pour avoir le courage et la force de continuer ?”, parce que personne d’autre ne le fait. On avait l’impression que toute l’équipe était sur les rotules.
Source :
Uncharted 4 finit par sortir le 10 mai 2016 après avoir décalé sa date de sortie 3 fois. Druckmann et Straley vont pouvoir se concentrer sur la suite de The Last of Us comme ils l’avaient prévu en 2014. Druckmann et Straley ? Pas si sûr. Straley est fatigué, il n’en peut plus. Il donne tout ce qu’il a depuis déjà trop d’années. Il subit un violent burn-out après avoir enchaîné 3 crunchs consécutifs, et décide en décembre 2016 de prendre un congé bien mérité. Un congé de plusieurs mois. Sauf qu’il est le co-auteur de The Last of Us et doit donc être remplacé le temps de son absence. L’aspect technique n’est pas encore sur la table parce que c’est le début de la production, mais il faut quand même progresser sur l’écriture du scénario. Le début et la fin sont déjà clairs dans l’esprit de Druckmann, mais tout ce qu’il y a entre les deux reste à déterminer.
Naughty Dog décide de lancer un casting auprès des agences de scénaristes de Los Angeles pour épauler Druckmann désormais seul maître à bord. Il y a bien sûr beaucoup de gens qui veulent la place, mais un profil en particulier se détache du lot : Halley Gross. Mais alors, pourquoi elle plutôt qu’un autre, alors qu’elle n’a pas non plus un CV si rempli que ça ? Déjà parce qu’elle a participé à l’écriture de la série Westworld et qu’elle est bien écrite (du moins, les deux premières saisons, mais ça, c’est un autre débat) et c’est déjà pas mal. Aussi parce que c’est une femme, qui sont pas hyper nombreuses dans le milieu, et Druckmann pense qu’elle pourrait donner une profondeur supplémentaire aux personnages principaux qui sont majoritairement féminins. Et aussi parce qu’en ayant bossé dans l’univers des séries, elle peut comprendre les contraintes d’écriture d’un jeu vidéo. Les séries comme les jeux vidéo sont souvent bourrés de problématiques qui demandent de s’adapter rapidement et d’avoir un style d’écriture vraiment efficace. Alors, va pour Halley Gross. Elle rejoint le studio en décembre 2016, et prendra au fur et à mesure une place importante dans l’écriture du scénario.
Mais une question persiste dans l’esprit de Druckmann : comment faire une suite à un jeu qui n’en a pas besoin ? La fin de The Last of Us est parfaite telle qu’elle est, et même si elle est ouverte, créer une suite pourrait fausser le message du jeu. En plus, l’arc narratif de Joël est terminé, sa reconstruction psychologique est arrivée à son terme. Si au début du premier jeu il n’arrive pas à surmonter le deuil de sa fille, Ellie lui redonne goût à la vie et l’espoir d’un futur meilleur. Au point même où il refuse de la sacrifier pour le bien commun. Le premier The Last of Us parle d’espoir dans un monde cruel et d’innocence avec le personnage d’Ellie. Et justement, il y a encore beaucoup de choses à dire sur elle. On a découvert son passé à travers la BD American Dreams et le DLC Left Behind, mais il reste ce mensonge de Joël. Quel impact pourrait-il avoir sur Ellie si elle apprenait la vérité ? La première idée de Druckmann, c’est qu’Ellie rencontre une autre personne immunisée et part à l’aventure pour la retrouver. Joël se lance à sa poursuite, et c’est à ce moment-là que la confrontation entre les 2 arrive. Mais Druckmann décide d’écarter ce scénario assez vite : il trouve que ça manque des composantes essentielles qu’on trouvait dans le premier jeu. The Last of Us parle d’amour universel, et sa suite doit elle aussi parler de sentiments forts et universels. Druckmann s’est donné comme crédo de ne surtout pas faire de redite, alors The Last of Us 2 parlera de haine.
Dès les premières ébauches du script, la mort de Joël semble inévitable. C’est sa mort qui va amener cette spirale d’événements sanglants et tragiques. Lorsqu’ils en discutent avant d’être transférés sur Uncharted 4, Druckmann et Straley savent que c’est la seule justification possible pour créer une haine aussi viscérale chez Ellie, et par extension chez le joueur. Ellie a beau avoir de sérieux doutes autour du mensonge de Joël, ça reste malgré tout son père adoptif avec qui elle a développé une relation forte. Les joueurs doivent être aussi choqués que les personnages, fort de la relation nouée à travers le premier opus. Quand on passe une dizaine d’heures avec quelqu’un et qu’on finit par comprendre ses traumatismes, ses peurs et ses envies, on crée un lien fort, aussi fictionnel soit-il. Et puis même ceux qui n’apprécient pas Joël vont quand même se demander ce qui a poussé Abby à commettre un meurtre aussi froid et violent.
Ce passage court et intense, qui aura marqué les esprits et crée des polémiques, c’est sans doute le plus grand défi d’écriture de Druckmann. Jusqu’à la fin du développement, la mort de Joël est travaillée dans ses moindres détails. Il faut absolument qu’elle soit impactante, sinon le jeu ne sert à rien. Mais il faut quand même susciter un sentiment de peur. Les plus perspicaces s’y attendent forcément, et il faut réussir à les surprendre eux aussi. Créer chez ceux-là autant que chez les autres la crainte et la haine, même pour ceux qui n’aimaient pas Joël. Il faut que la descente aux enfers d’Ellie soit aussi celle du joueur. Son envie de vengeance doit lui donner envie de parcourir le jeu pendant 30 heures s’il le faut, il doit vouloir courir après Abby coute que coute. Il doit avoir envie de venger la mort d’un homme aux principes douteux, mais qu’il a appris à apprécier en découvrant son évolution depuis l’outbreak. Avec qui il a vécu la mort de Sarah, la mort de Tess, de Sam et Henry, ressenti le doute et la culpabilité, le poids du mensonge et la peur de perdre une fois de plus sa raison de vivre ? La mort de Joël est inévitable, et elle doit être vengée.
Sauf qu’une décision aussi tranchée ne laisse personne indifférent. Ce cycle de la haine va donner naissance à un jeu d’une violence sans égale. Et dans l’équipe, certains y sont réfractaires. Pour les convaincre, Druckmann va utiliser deux arguments. Le premier, c’est que l’univers post-apo et cruel du jeu faisait déjà preuve d’une brutalité effrayante dans le premier épisode. Et dans cette suite qui se déroule 5 ans après, on voit principalement de jeunes individus n’ayant jamais connu le monde d’avant. Des gens habitués à la guerre et à la violence, à un monde sans foi ni loi où chacune et chacun sont des soldats. Ces gens banalisent une violence exacerbée et y sont habitués. Ellie, par exemple, commet son premier meurtre à l’âge de 14 ans pour sauver Joël. Est-ce vraiment étonnant qu’une fille soldate voulant venger son père adoptif soit prête aux pires atrocités ? Pas vraiment. Le réalisme du jeu est poussé jusque dans la psychologie des personnages, et en conséquence la violence du jeu n’est pas étonnante. Mais malgré ces arguments, certains membres restent sceptiques, et pensent que des réactions aussi virulentes manquent de réalisme. Que quelqu’un dans la vraie vie ne pourrait pas avoir un sentiment naturel de cette ampleur. Alors Druckmann réunit l’équipe et lui montre un documentaire. Je crois que le nom parle de lui-même : le film relate des faits datant de mai 1993 où trois adolescents tuent trois enfants dans une forêt. Mais ce qui intéresse spécifiquement Druckmann dans cette histoire sordide, c’est un passage bien précis : l’interview des parents des victimes. Non, The Last of Us 2 n’est pas aussi surréaliste qu’on pourrait le croire.
Reste une question en suspens d’une importance capitale : qui sera à l’origine du meurtre de Joël ? Le personnage d’Abby a connu beaucoup d’itérations avant d’arriver au résultat qu’on connaît aujourd’hui. Habituellement, pour créer un personnage dans un jeu vidéo, la plupart des studios écrivent une biographie aussi détaillée que possible avec les traits de caractère et les caractéristiques, qu’ils envoient ensuite aux designers pour imaginer à quoi il pourrait ressembler. Naughty Dog utilise une méthode qui va presque à l’inverse : le personnage est écrit, mais sans aucune description physique ou morale. On ne décrit que sa façon d’agir. Ensuite, quelques designers imaginent son physique à partir de ces éléments. Une fois que c’est fait, l’équipe chargée de l’écriture construit son background et affine sa personnalité. Une sorte de ping-pong entre les designers et les scénaristes, dans le but de construire un personnage entier, qui correspond à la fois physiquement et mentalement à ses actions.
L’idée de base de Druckmann pour Abby était d’en faire un personnage plein de ressources, mais surtout un personnage qu’on ne voit pas tous les jours dans le jeu vidéo. Une description assez vague donc. C’est avec ça que les artistes vont imaginer des centaines de concepts arts : certains la dépeignent comme une femme afro-américaine fluette avec un regard profond. D’autres avec un teint blafard et une longue chevelure brune devant les yeux. D’autres encore l’imaginent avec des vêtements militaires, un regard affuté et une silhouette endurcie par des années d’entrainement. Ce qui va définitivement faire pencher la balance pour ce design, c’est l’évolution physique d’Abby à la fin du jeu, lorsqu’elle sera émaciée, portant sur elle les marques de tous les traumatismes qu’elle a vécue. Pour l’incarner, c’est Laura Bailey, l’actrice qui donne ses traits à Nadine Ross dans Uncharted 4, qui est choisie malgré quelques réticences au début. (à développer ?). C’est l’athlète Colleen Fotsch qui lui prête ses muscles et Jocelyn Mettler qui lui donne ses traits.
Quant à son histoire, le choix d’en faire la fille du médecin que l’on tue à la fin du premier opus est une idée géniale. Parce que ce passage semble presque anodin pour beaucoup de joueurs : on est obligé de le tuer, mais la plupart des joueurs le font naturellement par pur automatisme ludique. Ce médecin que l’on aperçoit seulement quelques secondes avant sa mort n’a même pas de nom. Certes, la scène où on le voit sauver un zèbre manque peut-être de subtilité en voulant appuyer sa gentillesse, mais The Last of Us 2 nous montre à quel point sa décision a été difficile et tout le background qu’il peut y avoir derrière un simple « PNJ » tué en une simple pression de bouton. Un dialogue qui permet d’ailleurs d’approfondir le personnage de Marlène, qui dans le premier est presque présentée comme sans cœur et n’hésitant pas à trahir la promesse qu’elle a faite à sa meilleure amie, la mère d’Ellie. Encore une fois, la nuance apportée offre au récit une profondeur d’autant plus grande.
Mais ça n’a pas toujours été comme ça. Dans les premières versions du scénario, Abby ne devait pas être la fille du chirurgien des Lucioles mais la membre d’une troupe de nomades attaquée par Joël et Tommy. On devait alors contrôler Abby, s’enfuyant dans la neige et assistant au meurtre de sa famille. Sauf que cette version n’a pas été gardée. S’attacher à Abby dès le début du jeu rend la deuxième partie plus difficile à lancer et posait de vrais problèmes de rythme. La mort de Joël doit être l’élément déclencheur du scénario. Le jeu doit être impactant et se concentrer sur la vengeance. Il n’y a pas de temps à perdre, alors cette version est jetée à la poubelle, comme beaucoup d’autres itérations qu’on ne verra jamais.
Parce que oui, le scénario de ce The Last of Us 2 a beaucoup changé. Des tonnes d’éléments n’ont pas pu être intégrés malgré la volonté initiale des scénaristes. Voire pire, ils sont parfois supprimés, comme le personnage d’Esther. Lors du One Night Live en 2014, l’événement très spécial juste avant la sortie du remaster, il est fait mention d’un personnage appelé Esther. Une femme que Joël rencontre par l’intermédiaire de Tommy et dont il devient proche. Si on fait attention d’ailleurs, on peut la rencontrer dans le premier épisode lorsque Joël et Ellie arrivent au camp de Maria. Lors de l’écriture du deuxième opus, le personnage d’Esther va prendre de plus en plus d’importance au point de devenir la petite amie de Joël. Lors de la scène de chasse avec Tommy et Ellie par exemple, il devait initialement y avoir Joël, et le groupe devait rendre visite à Esther. Sauf qu’une fois arrivés, ils se rendent compte qu’il y a des cadavres d’infectés, et à l’intérieur de la maison, Esther gît à terre avec une morsure au bras. Joël ordonne à Ellie d’aller chercher de l’eau puis la détonation d’un revolver retentit. Le doute plane sur le fait que ce soit Joël ou Esther qui ai pressé la détente. Une mort qui devait servir de levier supplémentaire à Ellie pour confronter Joël face à son mensonge : si elle avait été sacrifiée, Esther ne serait pas morte. Mais le personnage ne sera finalement pas gardé dans la version finale, par manque de temps pour l’intégrer correctement. Même la lettre d’amour signée Esther qu’Ellie est censée trouver dans l’atelier de Joël disparaît du jeu.
Pour en revenir au résultat final, la ligne directrice d’Ellie était claire depuis le début. Ellie perd son but dans la vie après avoir été sauvée par Joël. Elle était l’unique chance de l’humanité pour trouver un vaccin à l’infection, et ce rôle lui a été volé. Elle n’a plus de raison de vivre. Lorsque Joël est cruellement torturé puis assassiné, ça lui en redonne une. Une mauvaise raison, qui la poussera à commettre les pires atrocités. Mais une raison quand même. Une raison qui aboutira à l’avènement de sa plus grande peur : finir seule. Selon Halley Gross, Ellie est atteinte de troubles du stress post-traumatique. Elle est malade mentalement et rongée par sa quête de vengeance, et les scénaristes ont eu la bonne idée de contrebalancer toute cette haine par une lueur d’espoir. Ellie doit avoir quelque chose à perdre pour comprendre l’impact de ses choix. Il faut lui donner de quoi espérer, la vision d’un futur positif et possible. Un personnage simplement désespéré qui n’a rien à perdre peut justifier n’importe quelle action. Mais quelqu’un qui choisit volontairement de plonger dans les ténèbres rend son histoire encore plus tragique. Et c’est là qu’entre en jeu le personnage de Dina.
Dina est initialement conçue pour être purement fonctionnelle : c’est un support pour Ellie. Quelqu’un qui représente la paix, lui rappelle la douceur des jours passés à Jackson et lui sert de refuge émotionnel. Au début, Halley Gross n’avait pas prévu d’en faire une romance. Ça devait être une sorte de boussole morale pour Ellie, mais rien de plus. Sauf que le personnage prend de plus en plus d’importance au cours du développement, parce qu’elle représente l’une des seules touches d’optimisme du jeu. Elle apporte un contraste à la quête de vengeance d’Ellie et une autre vision du monde. Parce que elle aussi a de quoi être traumatisée : elle affirme avoir tué pour la première fois à 9 ans. Mais elle gère son traumatisme à sa façon, de manière plus mature pourrait-on dire. Au tout début, Halley Gross l’imagine avec des traits asiatiques, mais elle change d’avis en voyant une photo de l’actrice Cascina Gianna. C’est donc son visage qui est utilisé dans le jeu, tandis que Shannon Woodward est sélectionnée pour la voix et la capture de mouvement.
Druckmann cherche à éviter la redite et à surprendre. Tout doit changer. Alors que le premier The Last of Us s’ouvre sur le début de l’apocalypse et la mort de Sarah, faisant de cette introduction l’une des meilleures à ce jour dans le monde du jeu vidéo, celle du 2 est lente. Joël raconte une blague nulle, on sent une tension mais le monde semble presque normal à Jackson. Joël joue une musique à Ellie, et il y a d’ailleurs une petite histoire à ce sujet. Cette chanson, Future Days de Pearl Jam, est une incohérence selon certains fans : l’album n’est sorti qu’en octobre 2013, soit un mois après l’outbreak. Une incohérence, vraiment ? Ceux qui ont vu ma vidéo sur le premier The Last of Us savent que Neil Druckmann ne ferait pas ce genre d’erreur. Il a répondu qu’en réalité, la chanson a été jouée en live et postée sur YouTube quelques mois avant la sortie de l’album. Et après vérification, c’est effectivement le cas puisque la vidéo a été postée le 26 juillet 2013. Tout colle. Et comme on le verra plus tard, le sens du détail est encore plus impressionnant sur d’autres aspects.
En décembre 2016 se déroule le PlayStation Expérience, une conférence organisée par Sony. La conférence s’ouvre sur une longue séquence de gameplay du DLC d’Uncharted 4, Lost Legacy, avant d’enchainer avec des trailers de Resident Evil Village, Ace Combat 7, The Last Guardian, Ni No Kuni 2, etc. Mais le bouquet final, c’est une surprise qui va choquer tout le monde. Enfin, à moitié puisque la mèche avait été vendue en 2013 lors d’une interview de Nolan North, qui joue David dans le premier opus. Même si ça avait été démenti, les rumeurs continuaient à circuler.
En 2017, deux événements majeurs viennent bouleverser l’organisation chez Naughty Dog. En avril, Christophe Balestra, co-président du studio et grand amateur de crunch – parce que sinon c’est pas possible de faire un bon jeu – décide de démissionner. Il est suivi en septembre par Bruce Straley, qui décide de ne pas revenir de ses vacances et démissionne lui aussi de Naughty Dog. Si ces deux cas ont été médiatisés parce qu’ils étaient assez haut dans la hiérarchie, ils sont loin d’être les seuls à partir. Les employés fuient le studio et sa culture du crunch. Mais ça, on va avoir l’occasion d’en reparler.
Il faut trouver un successeur à Balestra, et ce ne doit pas être n’importe qui. Naughty Dog doit rester entre de bonnes mains, et Ewan Wells, l’autre coprésident, ne peut pas diriger seul. Parce que chez Naughty Dog, tout se fait par deux. Tout est une question de duo. Alors il faut choisir un autre coprésident. Et ça tombe bien, parce que Druckmann est frais et dispo. Il est là depuis longtemps, il est à l’origine de l’un des meilleurs jeux du studio, il est charismatique, il a de l’influence et il sait diriger. S’il ne devient officiellement co-président du studio qu’en 2018, Druckmann prend en charge ses fonctions officieusement dès 2017, en plus d’être co-directeur sur The Last of Us 2. Et comme on peut l’imaginer sans mal, cette fonction lui demande beaucoup de temps. S’il est celui qui imagine les grandes lignes du scénario de The Last of Us 2, il va écrire moins de la moitié du scénario, donnant une place primordiale à Halley Gross. Pour remplacer Straley sur l’aspect technique, Anthony Newman qui s’occupait des combats au corps à corps dans le premier opus est nommé directeur technique. Il sera rejoint par Kurt Margeneau une fois le développement de Lost Legacy terminé.
C’est aussi durant cette période que commence le tournage, qui va durer de février 2017 à avril 2019 au studio de Playa Vista à Los Angeles. 2 ans de tournage, c’est énorme. Pour donner un ordre de grandeur, Le Parrain II a été tourné en 8 mois, la deuxième plus grosse production cinématographique de Netflix, The Irishman, a été tournée en 108 jours et le tournage d’Avengers : Endgame a duré 156 jours, soit à peine la moitié d’une année. Là, c’est 2 ans de tournage. En passant de la motion capture à la performance capture, le résultat est impressionnant de réalisme, mais le travail demandé est colossal. On fait venir des cascadeurs, des figurants, une dizaine de chiens, et même un cheval ! Le tournage de The Last of Us Part II est sans aucun doute l’un des plus ambitieux de l’industrie vidéoludique, voire de toute industrie confondue.
L’organisation suit le même rituel quotidien : chaque matin, les acteurs assistent à un briefing coordonné par Druckmann et Gross. Ils diffusent des extraits des prises de la veille ou des animatics, des animations grossières qui permettent d’avoir une idée générale des mouvements à faire et répéter les textes. Ensuite, ils diffusent une série de concept arts représentant les décors qui permet aux acteurs de mieux visualiser le cadre dans lequel se déroule l’action. C’est durant ces briefings que les acteurs peuvent proposer des modifications, comme le fait Troy Baker concernant la mort de Joël. Ce dernier devait initialement prononcer le nom de sa fille avant de mourir, Sarah, mais Baker trouvait que ça manquait de subtilité. Alors cet élément est supprimé. Ils peuvent aussi improviser pendant le tournage et l’équipe est prête à faire 30 prises s’il le faut pour avoir une scène parfaite, malgré le fait que chaque minute passée à enregistrer coûte cher.
C’est un travail long et difficile, qui demande une bonne condition physique. Et c’est aussi parfois difficile pour certains acteurs qui ont créé une connexion avec les personnages qu’ils interprètent. La mort de Joël est une scène toute particulière comme l’expliquent Ashley Johnson Neil Druckmann, et Troy Baker dans cette interview.
À côté de ça, l’aspect technique se met en place. Druckmann et ses équipes imaginent d’abord un monde ouvert composé de différents hubs. Par exemple, le passage de la ferme devait être une immense zone ouverte qui se déroule sur plusieurs jours. Pour marquer le fait qu’Ellie pense toujours à Joël et Abby, elle devait se battre contre un sanglier, prouvant sa soif de sang. D’ailleurs, on peut voir une trace de ce passage dans le journal d’Ellie. Mais ce n’est pas tout, puisque l’île des Séraphites devait elle aussi être beaucoup plus grande. Dans les premières versions du script, le voyage d’Ellie à Seattle devait durer cinq jours plutôt que trois. Elle devait justement traverser l’le des Scars avant la bataille avec le WLF après avoir fait naufrage lors d’une tempête. L’idée était d’humaniser cette faction, qui, dans le jeu final, transparaît plus comme une secte étrange et réactionnaire. L’objectif était de montrer les Séraphites sur leur lieu de vie, leur donner une image plus douce, plus calme. Mais tout ça est finalement retiré du jeu, car ça nuisait trop au rythme narratif du jeu et ne collait pas avec la vision des créateurs.
Le jeu sera donc plus linéaire que prévu, avec malgré tout quelques zones ouvertes à explorer. Et pour ça, il faut déterminer un rythme et un lieu. The Last of Us 2 est construit comme une sorte d’opposition au premier qui est un road movie, où l’on traverse des paysages évoluant au gré des saisons et des villes. Ici, la majorité du jeu se concentre sur un seul lieu. En 2016, lorsque la production commence, un contexte géographique est immédiatement mis en place. Il faut que ça se passe dans une ville pour cadrer l’aventure en extérieur et avoir un rythme plus décousu qu’une simple alternance entre cinématiques, conversations et combats. Seattle correspond parfaitement, notamment grâce aux collines qui parsèment la ville. Avec ça, le level design peut bénéficier d’une certaine verticalité, et permet par exemple d’utiliser la pluie pour inonder certaines parties. En plus, elle offre une variété de lieux très intéressante : un centre-ville aéré, de grandes voies de circulation, un réseau de métro, le Discovery Park et le Woodland Park, et une multitude d’îles périphériques, en plus d’une météo turbulente qui colle parfaitement à l’ambiance recherchée.
Quand on arrive au centre de Seattle la première fois, on découvre une immense zone à explorer, qui représente en réalité un vestige des premières idées d’open world. L’exploration est placée au centre du gameplay et permet d’en apprendre plus sur l’univers avec l’occupation de la FEDRA, la naissance du WLF, ou ce qu’il reste des Lucioles. Comme le joueur peut l’explorer à sa guise, il faut encore une fois un travail irréprochable sur les visuels, et bien sûr le plus réaliste possible. Une équipe artistique est donc envoyée pour étudier l’architecture, la végétation et les matériaux utilisés dans la ville. Après avoir pris plusieurs milliers de photos, les développeurs reproduisent le plus fidèlement possible les textures et la lumière si particulière des lieux. Un travail d’orfèvre encore une fois, comme le montrent les comparaisons entre la ville post apo du jeu et la vraie Seattle.
Mais ce choix de limiter les lieux que l’on traverse apporte aussi de nouvelles questions. The Last of Us 2 n’a pas le luxe artistique du premier : l’histoire se déroule principalement dans une seule ville, et en plus de ça, la construction narrative force le joueur à revenir aux mêmes endroits plusieurs fois. En termes d’organisation, ça signifie que toutes les équipes doivent suivre une vision globale, là où dans le premier chaque équipe pouvait bosser de manière indépendante sur un niveau. Heureusement, le studio a déjà été confronté à ce problème avec Uncharted Lost Legacy qui se déroule dans un endroit unique, à savoir l’Inde. L’organisation a donc été modifiée pour le DLC d’Uncharted 4, et des outils ont été développés pour optimiser les processus.
Naughty Dog reste l’un des meilleurs studios quand il s’agit de narration environnementale. La première zone de Seattle que l’on découvre raconte tout un tas d’histoires simplement à travers ses environnements. La banque par exemple et ses infectés portant des gilets pare-balles racontent l’histoire d’un groupe de braqueurs venus dévaliser la banque le jour de l’apocalypse. Pas de bol. Aller dans la synagogue donne l’occasion à Dina de raconter un peu plus son passé. Dans un magasin de musique, Ellie s’amuse à prendre une guitare et jouer une version acoustique de Take on Me. Pour parvenir à rendre l’endroit crédible, Michael Barclay explique dans un billet sur son blog que l’équipe a d’abord commencé par construire une timeline des événements, partant de l’outbreak jusqu’au moment de l’arrivée d’Ellie. Les développeurs ont donc pris la ville de Seattle telle qu’elle était en 2013, puis ont ajouté au fur et à mesure tous les événements qui ont bouleversé l’endroit : l’effondrement de la société, la mise en place d’une zone de quarantaine, la prise du pouvoir du WLF, etc. À partir de ces couches d’histoires, ils ont intégré des éléments narratifs dans les décors pour rendre le lieu plus tangible.
Barclay est un grand fan de Her Story, un jeu de Sam Barlow sorti en 2013 où il faut reconstituer soi-même l’histoire avec l’utilisation de mots clés. Alors il dissémine des petits bouts d’informations dans les différents lieux, qui une fois rassemblés racontent une histoire. En fouillant un endroit, on trouve un indice qui amène à un autre lieu. Par exemple, on peut trouver dans la synagogue une note menant à un refuge abandonné, qui amène lui-même à une autre cachette. Le design réussit à la fois à donner une sensation de liberté et un fil d’Ariane clair à suivre. Mais pour arriver à un résultat si réussi, il a fallu des centaines voire des milliers d’itérations. Les premières ébauches s’appuient sur les lieux réels en utilisant google maps, mais la topologie de la ville va très vite changer. Au fur et à mesure des playtests, Barclay se rend compte que les joueurs se dirigent rapidement vers la synagogue, la seule forme ronde au milieu des buildings. Alors il la place plus près de la zone d’entrée. Et la route qui fait le lien entre les différents « donjons » s’inspirent de Breath of The Wild : on peut trouver sur le chemin des petits puzzles, des mystères et des zones cachées pour éviter de faire de Seattle une zone morte comme l’est Madagascar dans Uncharted 4. L’attention du joueur est constamment renouvelée en lui laissant une grande liberté d’action tout en le guidant pas à pas. L’aboutissement du travail d’une trentaine de personnes pour ce seul niveau.
Le travail sur le level design sera du même acabit pendant tout le jeu. Le quartier d’HillCrest par exemple est un long couloir où s’enchaînent les arènes de combat. Pour autant, la zone cache un peu partout des passages, des arènes ouvertes et des ruines qui poussent le joueur à varier ses approches. Ou pour prendre un autre exemple, le niveau avec Abby qui part chercher Owen utilise une technique de level design appelée la montagne sacrée, inspirée par Journey. Dans ce jeu développé par Jenova Chen qui se déroule dans des endroits vastes, les développeurs ont dû trouver une solution pour que le joueur ne perde jamais de vue son objectif. Pour y parvenir, ils ont rendu cet objectif visible de n’importe où puisqu’il s’agit d’une montagne. Et ce concept est repris par Naughty Dog, puisque le bon chemin à suivre dans le niveau avec Abby est indiqué par le soleil, un repère permettant de ne jamais se perdre, tout en évitant les habituelles boussoles ou marqueurs extradiégétiques. Si jamais vous voulez en savoir plus sur le processus créatif des niveaux, Game Maker Toolkit a publié une excellente vidéo où il discute avec Evan Hill, un level designer ayant bossé sur le flashback qui se déroule au musée.
En octobre 2017, Naughty Dog décide de montrer de nouvelles images du jeu à la Paris Games Week. Pas de Joël ni de Ellie cette fois, et c’est même presque impossible de deviner de quel jeu il s’agit avant de voir le logo (même si peu de jeux ont cette beauté graphique). C’est ce trailer qui va amener les premières polémiques envers le jeu, à savoir sa violence et le physique d’Abby. Concernant la violence, on en reparlera lorsqu’on abordera la sortie du jeu, mais il faut revenir deux secondes sur les polémiques autour de Abby. Avant même que le monde ne sache que c’est elle qui assassine Joël, un groupe minoritaire mais bruyant de joueurs décérébrés discutent longuement de l’impossibilité pour une femme d’avoir un tel gabarit. Selon eux, Abby est forcément une personne transgenre parce qu’une femme ne peut pas être aussi musclée, et Naughty Dog devient donc un nouveau lobby pour les causes LGBT. Certains iront même jusqu’à dire que Druckmann est manipulée par Gross qui fait partie d’un groupuscule féministe cherchant à éradiquer les hommes de la Terre. Non, non, ce n’est pas une blague.
L’année qui suit va être difficile pour Naughty Dog. Le 12 juin 2018, c’est la célèbre messe du jeu vidéo, l’E3. Sony est présent à l’événement, et ouvre sa conférence avec une magnifique interprétation du thème de the last of us 2 par Gustavo Santaolalla. Dans le trailer dévoilé juste après, on découvre deux personnages inédits, Jesse et Dina. Mais surtout, le trailer présente 7 minutes de gameplay. Impressionnante techniquement, cette séquence de gameplay époustoufle par ses graphismes mais aussi par les nouveautés apportées au gameplay. La hype est à son comble.
Sauf que se cache derrière cette prouesse technique une vérité cinglante. C’est au cours de l’année 2018 que le studio rentre en période de crunch pour le jeu. Le doute s’installe chez de nombreux employés tant la taille du projet est énorme. Surtout qu’en 2017, Druckmann a annoncé lors du PSX 2017 que le jeu est terminé à 50%. Mais les équipes, elles, elles savent que c’est un gros mensonge et s’imaginent déjà devoir tenir des délais insurmontables. En plus de ça, la durée du jeu inquiète l’équipe. Parce que le niveau de détail est ahurissant, la quantité de travail qui va avec donne vite l’impression qu’il y a trop de choses à faire en trop peu de temps. Par exemple, Ellie dans le jeu porte une quinzaine de costumes, ce qui entraine un travail colossal de la part des designers et des animateurs. À Seattle, elle relève sa capuche lorsqu’il pleut. Un détail visuel pour le joueur, mais pour les équipes du studio, ça représente la création d’une nouvelle tenue. Et c’est sans compter les différentes coiffures, avec des variantes comme cheveux secs ou mouillés, etc. Le crunch est récurrent au sein de Naughty Dog, mais il prend une ampleur inédite sur The Last of Us 2. Chaque changement mineur peut demander à une vingtaine de personnes des semaines de travail supplémentaires. Chaque détail est pensé, et ça demande beaucoup de temps : la scène de poursuite en voiture avec Jesse et Ellie a demandé un an et demi de travail, et même un détail comme le sac à dos d’Ellie a demandé quatre mois de travail pour être designé et animé.
Sans que le joueur ne s’en rende compte, chaque élément du jeu est réfléchi et développé avec une précision chirurgicale. Sur Twitter, Nikaido Renji, un développeur de jeux japonais, publie un court extrait dans lequel Ellie joue avec un câble électrique et s’amuse à effectuer des mouvements complexes. Ça peut paraître anodin, mais en arrière-plan la corde utilise une gestion très complexe. Un des artistes 3D de chez Insomniac, Xavier Coelho-Kostolny, commente d’ailleurs qu’une quinzaine de personnes a dû pleurer pour réussir à créer une telle physique. Parce que créer quelque chose de vraiment souple physiquement est le Graal des développeurs, et le t-shirt d’Ellie est un autre exemple de la maîtrise des développeurs de Naughty Dog. La plupart des studios auraient fait fi de ce genre de détails que personne ne remarque, mais pas Naughty Dog. Pour reprendre l’exemple de la corde, il faut que les développeurs aient une connaissance approfondie du moteur graphique du jeu, et que les équipes d’assurance qualité soient capables d’identifier tous les cas spécifiques ou l’utilisation de la corde ne fonctionne pas.
Et des détails de ce genre, il y en a une pelletée dans le jeu. Prenons par exemple la respiration d’Ellie, expliquée dans un thread Twitter par Beau Anthony Jimenez.. On pourrait croire qu’elle se limite à être essoufflée lorsqu’elle court, mais c’est 1000 fois plus compliqué que ça. La respiration est basée sur deux principes : le souffle et la fréquence cardiaque. Le souffle est un son répété en boucle, et la fréquence cardiaque est pareille que dans la vraie vie, restituée dans le jeu avec une valeur située entre 0 et 1. Chaque personnage, que ce soit un humain, un infecté ou un animal possède ces deux attributs. La fréquence cardiaque, qui modifie la respiration, dépend d’un état déterminé : par exemple, un pnj assommé aura un rythme cardiaque différent d’un ennemi sur ses gardes. Ellie possède plusieurs états qui vont déterminer sa fréquence cardiaque, qui sont eux-mêmes déterminés en fonction de la tension et du fait qu’elle court ou pas. Donc par exemple, si elle court alors qu’il ne se passe rien de dangereux, ses battements de cœur seront en “normal-élevé”, et lorsqu’elle s’arrêtera de courir, sa fréquence cardiaque passera progressivement à “normal bas”. Et comme c’est basé sur une valeur numérique, le jeu calcule le temps nécessaire pour passer d’un état à l’autre. Donc Ellie sprinte, disons qu’elle est à 0.7, dès que le joueur arrêtera de presser le bouton de sprint, elle passera à 0,6, puis au bout de quelques secondes à 0,5, etc. Mais si elle sprinte et qu’un infecté lui tombe dessus, son rythme cardiaque va encore accélérer, passant par exemple de 0,7 à 0,8, et il lui faudra plus de temps par la suite pour reprendre son souffle et passer à 0,5. Et pour que le joueur ressente toutes ces variations, il existe une centaine de sons différents, qui vont varier en fonction de la santé, de la tension, du vertige en ce qui concerne Abby, etc. Un travail déjà impressionnant, mais ce n’est pas tout, parce qu’il y a aussi le facteur bouche ouverte et bouche fermée ! Si un ennemi se trouve à une certaine distance d’Ellie et qu’il ne l’a pas repéré, elle va alors respirer par le nez et non par la bouche, utilisant un son différent. Et tout ça bien sûr demande des animations faciales différentes. Au début, le studio imagine utiliser la fameuse technique de la synchronisation labiale, mais ça ne marchait pas. Alors l’animateur Keith Paciello va créer un tout nouveau système simplement pour gérer les animations liées à la respiration. Pour chacun des sons de respiration, donc une centaine, il existe une animation liée et synchronisée en temps réel. Et elles ne se limitent pas au visage. Lorsque Abby a le vertige, ses épaules se relèvent et elle rapproche ses bras de sa poitrine. Chaque petit détail doit accrocher émotionnellement le joueur. La peur passe aussi par la respiration sans que le joueur ne s’en rende compte consciemment.
Sauf que ce réalisme a un coût humain. Les départs sont nombreux, tant la charge de travail est éreintante. Uncharted 4 a été difficile à développer, et son DLC Lost Legacy encore plus. Les temps de développement sont courts, il faut tout donner. Alors quand ces équipes sont transférées sur The Last of Us 2, le jeu le plus ambitieux du studio, c’en est trop. Les employés n’en peuvent plus. Beaucoup d’entre eux démissionnent, et ceux qui restent sont inquiets : le trailer présenté à l’E3 est basé sur le travail de gens qui ont plié bagage. Shaun Escayg, directeur technique sur Lost Legacy, Hans Godard, un ancien connu pour une prouesse technique sur Uncharted 4, ou encore James Cooper, lead designer ; tout ce beau monde décide de partir. Les départs sont tellement massifs que le développement du jeu tourne au ralenti. Les propositions d’emploi de l’époque le montrent bien : presque chaque aspect de la création recrute. Pour faire face à la vague de départs de seniors, Naughty Dog n’a d’autre choix que d’engager des juniors. Même si le studio paye bien, mieux que la plupart des studios, sa réputation dans l’industrie ne motive pas les gens expérimentés à postuler. Sauf qu’une personne sans expérience a besoin d’être formée, et les nouveaux venus sont bien moins efficaces que ceux qui partent. Le retard s’accumule et le studio semble être proche du point de rupture.
Malgré tout, le développement continue, et les idées continuent d’affluer. Le gameplay, par exemple, est totalement retravaillé. Parce que celui du premier fait largement le boulot, mais les standards ont évolué. Le simple cover shooter ne suffit plus à retranscrire la menace des ennemis et s’avère trop rigide. Alors il va être complètement retravaillé. Le gameplay de The Last of Us 2 n’est pas un simple enrobage. Alors, non, les connaisseurs ne seront pas perdus, mais certains choix de gameplay changent toute la philosophie du studio. Déjà, il faut prendre en compte qu’Ellie est plus petite et moins imposante que Joël, et ça doit se traduire d’une façon ou d’une autre manette en main. L’ajout du saut, même s’il est très limité, en est une conséquence. Mais l’un des plus gros changements est la possibilité de ramper. Dans un jeu mettant l’emphase sur l’infiltration, c’est une mécanique qui chamboule tout. Ellie peut se cacher sous des voitures ou des ruines et offre une richesse supplémentaire. Dans le mode difficile, cette capacité devient vite indispensable lorsque les balles viennent à manquer.
L’esquive est un peu dans la même veine, sauf que c’est la compétence qui a demandé le plus de travail aux designers. Parce qu’esquiver, ce n’est pas simplement appuyer sur une touche pour faire un pas en arrière. Ça signifie changer le comportement des ennemis dont les attaques peuvent être anticipées et plus globalement changer le paradigme du gameplay. Surtout que les combats de The Last of Us 2 sont très violents et éprouvants. L’esquive fonctionne comme un jeu de rythme, il faut appuyer au bon moment sinon Ellie se prendra quand même le coup. Réussir à garder son sang-froid demande une concentration hors norme.
À ces deux mécaniques on peut ajouter le fait de pouvoir briser des vitres. Si une grenade éclate les vitres d’une voiture, les bris de glace au sol offrent aux adversaires la possibilité de vous détecter plus facilement. Au contraire, si vous explosez une vitre à proximité d’un ennemi, ce dernier va alors non seulement subir les dégâts du souffle de l’explosion, mais aussi des éclats de verre qui vont apparaître physiquement sur sa peau comme autant de multiples blessures, en suivant une répartition gérée par un moteur physique en temps réel. Et on peut rajouter à ça le fait de lancer une corde pour se balancer, l’ajout des chiens parmi les ennemis, utiliser un silencieux, etc. The Last of Us 2 est bien plus riche en possibilités que son prédécesseur. Il est possible de finir le jeu sans tuer personne – excepté ceux imposés par le scénario – et The Last of Us 2 peut fièrement prétendre à un gameplay aussi convaincant que ses contemporains. Naughty Dog fait maintenant bien plus que des « films interactifs et des shooter débiles ».
Je le dis dans la vidéo sur le premier, Druckmann et Straley voulaient à tout prix éviter la dissonance ludonarrative dans le premier opus. Mais à sa sortie, le jeu est souvent moqué pour son IA aussi bête qu’incohérente. Heureusement, la technologie a beaucoup évolué depuis, et Naughty Dog va l’utiliser à son maximum. Les équipes cherchent à rendre les adversaires aussi humains que possible, alors l’IA est totalement retravaillée. Dans The Last of Us Part II, les ennemis ne sont plus des pantins articulés mais simulent un comportement humain avec un réalisme saisissant. Ils s’appellent par leur prénom, crie de rage lorsque l’on tue un de leurs alliés. Ces comportements mettent en exergue la descente aux enfers d’Ellie, qui se transforme en machine à tuer et créée autant de drame proche de ce qu’elle a vécu elle-même. Ça peut être usant à la longue, et ça pourrait être considéré comme un manque de subtilité. Naughty Dog continue de lutter contre la dissonance ludonarrative et cherche à donner du poids à chacune de nos actions.
Et pourtant, à côté de ça, les équipes se permettent quelques fantaisies avec notamment le Roi des rats, dans une séquence clairement inspirée de Resident Evil 4. Vous devez sans doute bien vous en rappeler : c’est un boss un peu particulier dans le jeu, un gros sac à PV, un tas de chair difforme et mélange de plusieurs infectés. C’est d’ailleurs de cette caractéristique qu’il tient son nom : une vieille légende raconte que les rats se regroupent et s’agglutinent par la queue. Jeremy Yates, un des animateurs, explique qu’il n’a jamais vu de roi de rats bouger, mais imagine ça un peu comme des jumeaux siamois. Et c’est cette idée qui est utilisée pour la capture de mouvement : deux acteurs sont ligotés ensemble dans une cage. Ludiquement parlant, il faut que le Roi des rats soit autrement plus puissant que les autres infectés. Comment faire alors qu’un claqueur peut tuer en un seul coup ? Environ à la moitié du combat, une sorte de super infecté va se détacher du corps principal et viendra vous attaquer après que vous ayez tué le corps principal. Sauf qu’il faut impérativement changer de tactique et entrer dans un jeu du chat et de la souris. Un affrontement inspiré de Magni et Modi dans God of War et du combat contre Eileen le corbeau dans Bloodborne pour la deuxième partie du combat. Au-delà du fait qu’on apprécie ce combat de boss, il est quand même assez intéressant dans la construction du jeu. Personnellement, j’avoue ne pas l’avoir trouvé très amusant, car j’avais surtout l’impression de devoir vider toutes mes balles en courant partout. Mais il faut reconnaitre une ambiance un peu particulière à ce passage, beaucoup plus orienté horreur et qui donne une teinte différente à l’aventure.
En 2019, le développement continue dans la douleur. D’habitude, les décisions importantes sont prises lors de réunions environ 2 fois par mois. Depuis la diffusion du trailer à l’E3 2018, les réunions sont de plus en plus nombreuses. On passe de deux à trois, quatre, puis cinq par mois. Qui plus est, Neil Druckmann et Halley Gross s’absentent de plus en plus pour gérer le tournage à quelques kilomètres du studio. Les deux directeurs techniques, Anthony Newman et Kurt Margenau font ce qu’il peuvent pour maintenir le navire à flot mais la charge de travail est énorme. Chaque journée de travail implique pour eux de prendre des décisions difficiles. Début 2019, la grogne des équipes commencent à prendre le dessus lorsqu’un pan entier du jeu développé à 80% est jeté à la poubelle.
Car beaucoup de choses changent. Par exemple, Druckmann finit par changer d’avis concernant la fin : elle devait initialement se dérouler au Mexique et aboutir à la mort d’Ellie. Druckmann et Gross finissent par revoir complètement le script.
Mais s’il y a bien une constante qui contribue à la qualité du jeu, c’est le sound design. Là encore, le sens du détail prime sur le reste et demande un travail considérable. Le fait de pouvoir casser des vitres dans The Last of Us 2 découle d’une gestion assez poussée du son et de la physique du jeu. Au-delà du fait que le verre ne se brise pas en temps réel dans le jeu parce que ça coterait trop cher en ressources et que l’illusion est parfaite, la gestion du son est impressionnante. « Quand on parle du son que fait le verre, il faut savoir qu’il n’y a pas une seule fois où nous avons réutilisé le même enregistrement », explique Jesse Garcia, un sound designer. Le processus est divisé en trois catégories : destruction, physique et dispersion. Chaque catégorie est ensuite découpée en quatre sous-catégories, toutes avec des signatures sonores totalement différentes. Un travail de fourmi réglé au millimètre par les équipes sonores de Naughty Dog.
Le travail sur le son des infectés, déjà impressionnant dans le premier jeu, est une nouvelle fois à la hauteur des attentes. Dans un thread Twitter, Beau Anthony Jimenez explique comment ils ont été pensés. Il va passer deux semaines avec une petite troupe d’acteurs qui devront rendre crédible les sons émis par les infectés. Pour les coureurs par exemple, l’idée est de définir un une base de sons avec des cris de douleurs. Les coureurs sont le premier stade de l’infection et l’humain est encore conscient, ça doit se retranscrire dans les sons qu’il produit. Pour les claqueurs, l’infecté emblématique de The Last of Us, Jimenez s’est appuyé sur l’excellent travail de Misty Lee et des sound designer Derrick Espino et Phil Kovats dans le premier jeu. Il a simplement amplifié les cris et les clics pour leur donner plus de férocité. Pour les colosses, qui n’ont plus grand-chose d’humains, le sound designer a utilisé les sons gutturaux du couple Jon Olson et Kellen Goff. Un mélange de rugissements et de reniflements. Un travail millimétré pour conserver une cohérence et un réalisme à toute épreuve, qui sera d’ailleurs récompensé du meilleur design sonore lors des Game Awards en décembre 2020.
Et pour l’anecdote, les sifflements des Séraphites ont bénéficié eux aussi d’une recherche approfondie. Les designers de Naughty Dog ont imaginé un langage sibyllin. Depuis les premiers designs, les Séraphites sont imaginés comme un groupe utilisant au maximum des techniques de guérilla. Il n’existe aucun moyen dans le jeu de comprendre leur langage sifflé, il faut les écouter attentivement pour comprendre. Par exemple, un sifflement court grave et deux sifflements courts aigus correspondent à un signal d’alerte. Dès que les Séraphites entendent ce sifflement, ils se mettent sur leurs gardes. Si un Séraphite vous détecte, il va l’indiquer avec deux sifflements longs aigus plus un sifflement court aigus. S’il vous perd de vue, il fera un court sifflement grave. Il y a en tout neuf possibilités, qui peuvent aussi être utilisées à la suite pour faire une phrase. Par exemple, il est possible de faire une suite de sifflements pour dire « alerte + couvrez-moi + homme à terre ». Savoir ça et y faire attention change drastiquement la façon d’appréhender les affrontements avec les Séraphites.
Pour accompagner tout ça et appuyer l’ambiance sombre du jeu, la musique de The Last of Us Part II reprend habilement celle du premier, mais apporte une touche beaucoup plus sombre. Gustavo Santaolalla, compositeur sur les deux jeux, reprend les excellents thèmes de The Last of Us mais en modifie complètement la tonalité. Le thème principal par exemple n’est plus joué avec un charango mais avec un banjo, donnant une teinte métallique à la musique. Comme dans le premier, très peu de retouches sont faites en post prod. Le grain, les imperfections et les hésitations du compositeur sont retranscrits dans chacune des musiques. Et c’est sans doute ce son brut qui donne une teinte si humaine à l’ambiance musicale du jeu. Mais ce nouvel instrument traduit un changement profond dans son message, et résonne avec tous les autres aspects comme une suite qui cherche un effet miroir.
La grosse différence entre le premier et le second The Last of Us, c’est la venue du compositeur Mac Quayle. Si ce nom ne vous dit rien, peut-être que la musique de Mr Robot vous parlera un peu plus. C’est sans aucun doute avec cette série que l’ont découvert les équipes de Naughty Dog qui ont voulu l’intégrer au développement. Ce qu’on lui demande est plutôt compliqué : créer des sons à la frontière entre l’organique et l’électronique. Alors il prend des guitares, leur rajoute des effets et essaye de bidouiller en créant des mixages bizarres. Sauf que ça ne marchait pas, parce que c’était soit trop électronique, soit trop acoustique. Son objectif est de créer de la tension, alors il utilise les outils musicaux qui sont censés créer cette tension : la dissonance, la basse fréquence, ou encore le delay. Mais tout ça ne marche pas : même une session d’enregistrement avec Santaolalla dans les locaux de Sony est infructueuse, malgré la pelletée d’instruments disponibles. C’est alors qu’il tombe sur un objet assez étrange : le Resonant Garden, une sorte de synthétiseur avec des cordes de guitares. Et, comme vous l’avez sans doute remarqué si vous avez joué au jeu, c’était la solution parfaite. La musique de Quayle est beaucoup plus violente et agressive que celle qu’on entend dans le premier The Last of Us. Les styles des deux compositeurs ne pourraient pas être plus opposés, et cet écart est utilisé pour contraster d’autant plus les moments calmes et les moments violents.
Un autre élément qu’il est important d’aborder est l’accessibilité. Naughty Dog propose déjà avec Uncharted 4 quelques options d’accessibilité, comme une assistance à la visée ou la manipulation automatique de la caméra permettant de jouer à une seule main. Mais l’accessibilité dans The Last of Us 2 est à un autre niveau. Elle est discuté dès l’entrée en production du jeu, et fin 2017 des prototypes sont développés. Synthèse vocale, contraste élevé, sonar amélioré, etc : Naughty Dog essaye de rendre l’expérience accessible à tout le monde. Divers consultants interviennent pendant le reste du développement. Et si ça peut ressembler à de simples features à ajouter par-dessus le reste, c’est en réalité très compliqué à mettre en place. Relever le niveau de contraste peut drastiquement changer la direction artistique du jeu. Mais comme ces options ont été prises en compte dès le début du développement, les équipes ont pu s’adapter.
C’est lors du State of Play 2019 qu’est révélé la date de sortie de The last of Us 2. Le jeu est prévu pour le 21 février 2020. Raconter trailer. Seulement un mois plus tard, un délai supplémentaire de trois mois est annoncé pour permettre aux équipes de terminer le jeu, repoussant la sortie du jeu à mai 2020. Une annonce mal prise par les joueurs, qui ont peur de voir le schéma d’Uncharted 4 se reproduire. Officiellement, Naughty Dog ne s’est jamais exprimé concernant les causes concrètes du retard. Mais officieusement, les bruits de couloirs racontent qu’il serait dû au downgrade graphique par rapport aux premiers trailers de gameplay présentés, notamment remarqué par certains membres de l’industrie. Naughty Dog aurait repoussé la sortie du jeu pour relever le niveau visuel.
Comme tout le monde le sait, 2020 va être une année compliquée. Et le début de cette année va l’être encore plus pour les équipes de Naughty Dog. En février 2020, après quatre mois sans nouvelle du jeu, le public apprend que The Last of Us Part II sera jouable pour la première fois à la Pax East. Une annonce suivie d’une autre bonne nouvelle : le jeu serait dans sa phase finale de production. À priori, aucun report supplémentaire en vue. Sauf qu’une épidémie mondiale se répand, et seulement une semaine après la prise de parole de Naughty Dog, Sony annule sa présence au salon. Le 14 mars, soit deux jours avant le confinement en France, Jason Schrier publie un article sur Kotaku pour dénoncer les conditions de travail au sein de Naughty Dog. Un article basé sur 13 témoignages anonymes de développeurs qui dévoile des conditions de travail inacceptables.
Suite à cet article, Jonathan Cooper, un ancien membre du studio, va faire un thread sur Twitter assez salé et pointer du doigt la façon dont le studio traite ses employés. Et comme si ça ne suffisait pas, Jim Ryan, le PDG de Sony, annonce une dizaine de jours plus tard le report de certains jeux, dont The Last of Us 2. Le 2 avril, Naughty Dog communique officiellement sur ce report et annonce ne pas savoir quand le jeu sortira. La volonté du studio est que tout le monde puisse obtenir le jeu en même temps, et la durée des problèmes logistiques autour de la distribution physique est inconnue. L’impression des disques, la livraison en magasin, toute la chaine logistique est bloquée à cause du coronavirus. Mais ce qui est sûr, c’est que tout le monde aura le jeu en même temps, que ce soit en physique ou en dématérialisé.
Et la malchance du studio ne va pas s’arrêter là. Quelques semaines avant la sortie du jeu, des leaks apparaissent sur le net et se diffusent à travers les réseaux sociaux. On y voit la mort de Joël et le fait qu’Ellie ne sera pas le seul personnage jouable. Les joueurs deviennent fous. Pour certains, voir leur personnage favori mourir est insupportable, Druckmann est un monstre sadique qui déteste ses personnages et prend plaisir à les tuer. Il fait n’importe quoi, parce que Joël n’aurait jamais fait confiance à des inconnus. Les joueurs connaissent mieux les personnages que leur propre créateur. Mais en plus, beaucoup de mensonges entourent ces leaks. Il y en a un par exemple qui explique que les Séraphites seraient des suprémacistes blancs catholiques, et bien évidemment que Druckmann est un vendu bien pensant bla bla bla. Une autre rumeur, fausse elle aussi, raconte que c’est un employé du studio qui a balancé les leaks pour se venger des conditions de travail horribles.
Malgré cette période difficile, le report ne sera pas trop long puisque le jeu finit par sortir le 19 juin 2020. Tout comme pour le premier, les critiques sont dithyrambiques et les ventes au rendez-vous. En seulement 3 jours, The Last of Us 2 se vend à 4 millions d’unités, devenant ainsi le jeu le plus vendu de PlayStation sur cette période devant Spider-Man.
Mais… le jeu divise. La proposition tranchée de The Last of Us Part II ne plaît pas à tout le monde. Au centre des critiques, le scénario, la narration et les thématiques traitées dans le jeu. Beaucoup de polémiques vont naître et causer beaucoup de tort au jeu. Il est par exemple reproché à Naughty Dog d’avoir créé un jeu qui embellit la violence. The Last of Us 2 sort au moment le plus fort d’une pandémie mondiale. On parle de confinement sur l’ensemble de la planète, les infos ne parlent que du nombre d’infections et de morts, des hôpitaux saturés, des pénuries, etc. Le monde entier déprime et cherche des petits lots de réconfort sur Animal Crossing. Alors quand sort un jeu post-apo, centré sur la haine et la vengeance et montre une violence souvent crue et choquante, certains joueurs restent sur le carreau et reprochent au studio de faire l’apologie de la violence. Personnellement, je ne pense pas que Naughty Dog ait cherché à enjoliver la violence. Elle ne sert que de support pour raconter une histoire sombre et floue moralement. Si The Last of Us 2 n’était pas si violent, son message ne serait pas si percutant. Je peux comprendre qu’on lui reproche sa violence exacerbée, mais elle est mise au service du réalisme dans un monde sans foi ni loi et appuie le non-sens d’une quête de vengeance.
Il est aussi reproché à Naughty Dog d’avoir menti pendant la compagne promotionnelle du jeu, d’avoir truqué les bandes-annonces pour délibérément tromper le public. Ce qui est effectivement le cas, puisque toutes les interviews et tous les trailers protègent minutieusement les éléments importants du scénario. Neil Druckmann a par exemple assuré plusieurs fois qu’Ellie serait le seul personnage jouable, certaines scènes ont été modifiées dans les trailers, et Abby est restée une parfaite inconnue tout au long de la campagne marketing. Un procédé pourtant déjà utilisé par Kojima dans la promotion de Metal Gear Solid 2, mais qui à l’époque n’avait pas à se soucier des réseaux sociaux où s’expriment sans vergogne les joueurs les plus toxiques.
Si Neil Druckmann cherchait à diviser, vous aurez compris après tout ça qu’il a bien réussi son coup. The Last of Us Part II divise, dérange, et pousse certaines réactions à l’extrême. Ce n’est pas grave de débattre d’un jeu, au contraire même, mais par contre ça le devient lorsque les développeurs reçoivent des menaces de mort. Je vous laisse imaginer la détresse mentale dans laquelle doivent être les employés lorsqu’ils font face à la haine de parfaits inconnus pour avoir travaillé d’arrache-pied pendant des années. Au final, rien de tout ça n’affectera les ventes ni la réputation du jeu, les seuls ayant égratigné leurs images étant encore une fois les joueurs qui passent pour de sombres débiles incapables d’accepter ce qui ne va pas dans leur sens.
David Erlich, dans une interview de Druckmann pour Indewire, relève un élément intéressant : dans le premier jeu, on peut ne pas apprécier Joël, mais on reste en adéquation avec ses actions, parce qu’il fait tout ça pour protéger Ellie. Dans le deuxième opus par contre, si on comprend au début ce qui motive les actes sanguinaires d’Ellie, on finit par être dépassé. Au point où, au bout d’un moment, le joueur est totalement déconnecté des personnages qu’il incarne, avec le point culminant dans le passage de la ferme où Ellie choisit la vengeance plutôt que sa famille. The Last of Us 2 est l’un des blockbuster à ne pas donner au joueur ce qu’il veut, tout en le forçant en quelque sorte à assister impuissant à la descente aux enfers de personnage qu’il apprend à apprécier.
The Last of Us Part II est un grand jeu. Pas forcément un bon jeu. Ça, ça dépend de vous. Mais c’est un grand jeu. Parce qu’il a marqué l’industrie de son empreinte grâce à un parti pris tranché. Que ce soit par sa violence exacerbée, son ton sombre, ses visuels incroyables, une narration différente, ses options d’accessibilité ou le soin apporté aux détails, c’est une expérience à part. Le jeu est marquant, pour le meilleur ou pour le pire, et il ne laisse personne indifférent. Comme Death Stranding, il fait partie de ces jeux qui cherchent à proposer autre chose qu’une aventure aseptisée. Il fait partie de ces rares jeux qui font avancer l’industrie dans le bon sens, celui qui consiste à prendre des risques qui ne plairont pas à tout le monde mais offriront quelque chose de vraiment différent. S’il est encore trop tôt pour voir l’influence qu’il aura sur les jeux vidéo, il est absolument certain qu’il en inspirera beaucoup. The Last of Us 2 est une suite comme on en voit rarement et qui mérite d’être réfléchie, analysée et discutée. Personnellement, le jeu m’a atteint bien plus que je ne l’aurais pensé, il a fait de moi sa marionnette et m’a emmené exactement où il le voulait. J’ai détesté Abby, criant vengeance au moins aussi fort qu’Ellie, avant de finalement accepter que l’ennemi, ce n’est pas toujours l’autre. Ça a été pour moi une des plus fortes expériences que le médium a pu me faire vivre, et je n’en suis pas ressorti indemne.
Un jeu unique, certes, mais à quel prix ? The Last of Us a été le fruit d’efforts considérables. Trop considérables. Beaucoup de gens ont été jusqu’à sacrifier leur santé – parce que oui, bosser 100h par semaine pendant des mois augmente fortement la probabilité d’avoir des problèmes –, et Naughty Dog s’est créé une réputation de studio à éviter. Il était déjà réputé pour ses crunchs intensifs, mais il est désormais passé à un autre niveau. Les gens ne veulent plus y travailler car accepter de bosser pour Naughty Dog, c’est accepter de tout donner sans compromis. C’est certes avoir une meilleure paye que dans d’autres studios, mais c’est ne pas compter les heures, s’épuiser à la tâche au point de se ruiner la santé. C’est sans aucun doute une incroyable émulsion créative, mais c’est aussi un lieu qui vous empêche de voir vos enfants grandir, raison pour laquelle Christophe Balestra a démissionné. The Last of Us 2 était le jeu le plus ambitieux du studio, et je crois qu’il lui a coté bien plus cher que prévu. Attention toutefois, mon but n’est pas ici de diaboliser Naughty Dog. Comme le disent les développeurs eux-mêmes, des gens très talentueux y sont présents et c’est un honneur pour beaucoup de développeurs de bosser sur des jeux aussi ambitieux. Sans la minutie et le sens du détail qui amène ce crunch intensif, la formule Naughty Dog ne serait pas ce qu’elle est. Et les choses semblent changer petit à petit, les têtes pensantes du studio semblent elles aussi vouloir résoudre le problème.
La question finale, c’est : est-ce qu’on a fini d’entendre parler de The Last of Us ? Bien sûr, la réponse est non. Un remake du premier jeu est sorti en septembre dernier sur PlayStation 5, et sortira à une date encore inconnue sur PC. Au-delà de ses qualités visuelles, des améliorations de gameplay et de l’utilisation de la DualSense, le jeu a beaucoup fait parler de lui à cause de son prix. Le remake d’un jeu sorti en 2013 vendu 80 euros a fait grincer beaucoup de dents. À noter aussi que le studio a annoncé ne pas avoir crunché pendant le développement, ce qui est une excellente nouvelle qui donne de l’espoir pour le bien-être des employés.
À côté de ça, il y a aussi une série en préparation, dont la date de sortie a été annoncée pour le 15 janvier 2023. Réalisée par Craig Mazin, showrunner de l’excellente série Chernobyl, le court trailer promet une adaptation fidèle malgré la présence d’épisodes qui ne suivront pas le scénario du jeu. Mais que les fans de la licence se rassurent, Neil Druckmann a participé à l’écriture, on ne sera donc pas dépaysés, même s’il est difficile de savoir à l’heure actuelle si la série sera bonne ou non. Mais une chose est sûre, la musique sera géniale puisque Gustavo Santaolalla reprend ses instruments pour la série.
Et enfin, un nouveau jeu a été confirmé. Pas The Last of Us Part III, mais un stand alone multijoueur. À priori, ce sera un Free to Play avec des microtransactions centré sur la coopération et scénarisé. Très peu d’informations sont disponibles à l’heure actuelle, mais il ne serait pas impossible que ce jeu fasse la passerelle avec un certain The Last of Us 3…
Parce que oui, ce que beaucoup de joueurs attendent, c’est une partie 3 et la fin des aventures d’Ellie. En l’ayant connu innocente dans le premier et sombre dans le deuxième, une troisième partie permettrait de clôturer le développement de ce personnage central de la licence. Druckmann a par ailleurs affirmé avoir écrit un brouillon du scénario avec Halley Gross, même si rien n’est encore en production. Comment ça pourrait se présenter ? Personnellement, j’imagine bien une ellipse assez longue d’une dizaine d’années, où Ellie aurait le rôle de Joël dans le premier avec JJ par exemple. Si le jeu finit par exister, est-ce qu’on reverra Abby ? Difficile à dire, mais probablement, Druckmann ne laisserait pas de côté un personnage aussi important. Mais bon, ça, seul l’avenir nous le dira !